lundi 28 mars 2022

Aux alentours de l'enfer

Un peu patraque, pour différentes raisons, il y a quelques jours, fait un tour rapide au Struthof, en fin d’après-midi, pour repérer des marches possibles. Il y en a une, du camp à la carrière, pas très connue. « Là haut » les déportés rejoignaient, sans les rejoindre (il y avait des entrées différentes), des travailleurs civils qui s’activaient aussi aux ateliers de la carrière.

NB

Très belle journée encore, mais toujours cette fraîcheur, tenace, sous les futaies.
J'y étais à l’heure où le musée ferme ses portes. En ses alentours, aux alentours de l’enfer, impression d’être très loin de tout. Cette fois, quelques branches en fleurs.
Sur la route, émissions sur la guerre en Ukraine. Quel rapport ?

Récemment, sur quelque site inavouable du net (réseaux dits « sociaux »), j’ai trouvé ce commentaire de Roger Dale, sur une « performance » récente, une peinture sur la situation de guerre en Ukraine, Paysage sauvage.

« Une aile était en jaune, l'autre en bleu ; les couleurs du drapeau de l'Ukraine et au centre des tâches de rouge qui dénonçaient la violence. Là-dessus, je voulais imposer un paysage paisible, de mémoire. On fait ce qu'on peut... » Roger Dale.

Au Struthof, pour sauvage qu’il soit, le paysage souffre encore la marque d’une certaine humanité, très inhumaine. Un camp de concentration était une petite ville en soi, sauf qu’elle n’était pas faite pour garantir des conditions de vie, mais des occasions de mort.

Une autre marche mène à l’auberge, en face d’un bâtiment, actuellement en « rénovation », qui fit office de chambre à gaz.
Sur un panneau explicatif : une photo d’anciens SS du camp, devant l’auberge, en 1943. (Cette auberge, abandonnée aujourd’hui, avait servi de logis, aux débuts du camp notamment, aux SS du camp.)

CERD – musée de l’ancien camp du Struthof

Assez fascinante, cette photo, qui montre des jeunes gens presque tous souriant, d’aspect vaguement sympathique, l’air un peu maladroits, presque timide pour l’un ou l’autre. Ils n’auraient pas l’uniforme, comment devinerait-on qu’on a affaire à des SS ? On pense à cette notion de banalité du mal ; Hannah Arendt.
1943. Les premiers déportés ont été amenés au Struthof en mai 1941.
Au milieu de la rangée de ceux qui sont assis devant, il me semble bien qu’on peut identifier Franz Ehrmanntraut. Lui ne sourit pas ; il a l’air très à l’aise, col de chemise ouvert. C’est un des pires bourreaux que le complexe Natzweiler ait connu.

CERD – musée de l’ancien camp du Struthof

En 1943, Ehrmanntraut (dont même ses supérieurs se méfiaient) commence d’« encadrer » des N.N., notamment français, chargés de construire l’étrange cave de béton qu’on appelle la « Kartoffelkeller ». Il les encadre, ce qu’il veut dire qu’il les massacre, « gratuitement », assisté de son redoutable chien.
Il apparaît à plusieurs reprises dans mon livre. C’est lui, notamment, qui accompagne Elmar Krusman à l’été 44 – 45 chez cette employée de mairie qui a témoigné après la guerre, pour qu’il lui couse un manteau. À côté de la brute, le déporté « suédois », dont l’employée ne connaît plus le nom quand elle en parle, tremble. On ne sait pas si c’est de peur, de froid, de fièvre. Des trois. Il mourra peu après.

Cette dame, peut-être, sans doute pas une méchante femme… Elle n’avait pas mesuré la portée du sujet sur lequel elle avait été interrogée à plusieurs reprises, sur cinquante ans… Elle n’était sans doute pas… une intellectuelle, au sens où l’entend Edgar Morin (né la même année qu’Elmar Krusman) que j’entendis avant-hier à la radio : quelqu’un qui doit s’efforcer d’avoir une pensée globale, qui dépasse, englobe, différentes spécialités et connaissances. Pour Edgar Morin, cette « mission de l'intellectuel (…) est très importante aujourd'hui. Parce que nous sommes dans un monde d'experts et de spécialistes qui, chacun, ne voit qu'un petit bout des problèmes, isolés les uns des autres ».

La témoin se contredisait dans un même entretien, tâchant de minimiser toute responsabilité éventuelle. Mais elle était capable aussi d’un raidissement, quand le fils du commandant du camp (de Bisingen) Pauli essaie d’obtenir d’elle un témoignage favorable pour son père, elle refuse. La vie, la normalité reprenait ses droits, oui, mais certaines choses n’étaient pas possibles.

NB

Aujourd’hui, cette auberge reste là, fermée. Passablement morbide. Pas loin, des gens s’activent à d’autres choses.


Nils Blanchard


jeudi 24 mars 2022

Camille Claus et le début du Bonheur fragile

Il se trouve – c’est un hasard – que je travaille et vis présentement en Alsace. Il se trouve qu’Alfred Kern (1919-2001), auteur du Bonheur fragile, était alsacien.

Poème et illustration de Camille Claus;exposition du Centre culturel alsacien, Strasbourg, 2021. 

 

Mais ce n’est pas par le biais régional que j’ai connu les livres de l’auteur du Clown, du Jardin perdu, c’est parce qu’il avait noué, au tournant des années 40 et 50, une solide amitié avec André Dhôtel. Tous deux avaient activement participé aux aventures des revues 84 et aussi Les Saisons. C’est un peu une autre histoire. C’est pourtant peut-être vers cette époque qu’Alfred Kern avait rencontré un autre ami d’André Dhôtel, alsacien lui aussi, le peintre, illustrateur et journaliste Camille Claus.
Lui a une riche actualité, liée à son centenaire, intéressante (expositions ici et là en Alsace, actuelles, passées ou à venir) bien qu’un peu retardée par la crise sanitaire.

Là, c’est indirectement que je veux en parler un peu. En effet, au début du Bonheur fragile (prix Renaudot 1960), dédié à Camille Claus, Alfred Kern emprunte en partie la vie de son ami pour en attribuer des pans à son personnage principal (et narrateur), Paul Bachère.
Or au début du roman, Paul Bachère rentre, au milieu d’une colonne de militaires allemands, d’Isdriza. Et Isdriza, on peut le deviner, c’est en Courlande (Lettonie), près de la Baltique, où Camille Claus est passé.
Puis, il est fait prisonnier au camp (soviétique) de Tambov, où se sont retrouvés beaucoup de prisonniers alsaciens incorporés de force. De là, Camille Claus ne revient qu’en décembre 1945, épreuve qui le marque à vie, qui marque aussi son art : « Les hommes de 1939 m’avaient arraché à ma réalité pour me plonger dans la leur. Depuis, je tente de recréer la mienne », a-t-il expliqué.
(Extrait d’Essais d’autobiographie, cité dans le livret de présentation de l’exposition au Pôle culturel de Drusenheim (printemps 2022).)


De la Baltique, dans le roman (les soixante premières pages ; le reste du livre concernant principalement le milieu littéraire, artistique fréquenté après-guerre par Kern comme Claus), en a ramené une image – une obsession ? –

« Je ne suis pas revenu d’Idriza. Le gel avait enlevé aux sons toute épaisseur. »


Il se trouve qu’un des derniers rescapés alsaciens du Tambov (un des derniers en deux sens du terme : il le quitta très tard, et est décédé récemment, en 2018), est passé lui aussi par les rivages de la Baltique, et de rivages qui l’ont rapproché singulièrement des parages d’Elmar Krusman. Il a en effet été en poste entre l’automne 1943 et le printemps 1944 sur l’île d’Odensholm. Il y est resté plusieurs mois, sans avoir su apparemment que la population qui y vivait avant-guerre était suédophone.

On reparlera de tout ça...

Et en lien à mon livre, son illustration de couverture, on trouve cette citation sur le site du peintre Roger Dale, de… Camille Claus :

« Le regard de Roger Dale est d'une rectitude absolue. Il fixe, avec la concentration physique et philosophique du tireur à l'arc zen, le réel. Il ne fixe que cela – ce qui est tout. La main de Roger Dale ne tremble pas, ne dévie pas, ne trahit pas : elle obéit. Avec une science remarquable, elle se soumet en se conformant à la sensation que l'œil enregistre et transmet au cerveau. Et voilà que ce point – et seulement lui, car tout ce qui est autour reste flou – cette portion de l'espace, déterminée avec précision, apparaît là, sur la toile. Un verre, une bouteille, le visage du peintre ou celui d'un ami (qu'importe le sujet, seule compte la peinture !) Sans la moindre concession ou indécision, la portion de réel captée n'est pas une reconstitution, ni un document photographique, ni de l'hyperréalisme, ni de l'expressionnisme, ni de l'idéalisme, ni du surréalisme, ni de l'académisme, ni du romantisme.
La peinture de Roger Dale est celle d'un moraliste. Dans notre monde où règne le factice, la dérision et le doute, c'est quelque chose de nouveau et de très fort. »

(Site du peintre Roger Dale: www.roger-dale.com)


Nils Blanchard


dimanche 20 mars 2022

Six ans après Gide

                  Pour un tout petit garçon,
                  et en mémoire de sa grand-mère.

Hier, j’ai fait la connaissance du fils de très bons amis ; magnifique petit bout d’homme de trois mois. J’ajoute qu’il est né dans une famille franco-germanique.
Cela me ramène à diverses réflexions, sur la guerre. On est censé entrer dans le printemps.

NB

Il y a près d’un mois maintenant, le 25 février, entendu dans un reportage radio (Radio-France) un combattant (futur) ukrainien, au bord des larmes, mais qui avait décidé de faire son devoir. Une mère d’un jeune homme caché (ukrainienne), pleurant aussi, devant la réalité de la guerre.

Guerre d'hiver, 1939-1940. Image: TT.  

Du point de vue d’un pays neutre comme la Suède, cette notion de guerre paraît peut-être particulièrement délicate à appréhender. La neutralité est une posture difficile à tenir dans certaines circonstances. Et on a vu bien des jugements à l’emporte-pièce sur l’attitude de la Suède, notamment, pendant la Seconde Guerre mondiale. Sans tomber dans l’uchronie, il est difficile de faire justice à l’histoire. Et c’est un sujet historique qui, à ma connaissance, demeure encore passablement en friche.
Et aujourd’hui même, la neutralité fait l’objet de débats en Suède et en Finlande, où d’après des sondages, les populations seraient favorables à rejoindre l’OTAN, mais les gouvernements, eux, sont plus circonspects (et pas uniquement par frilosité) ; cf. les interventions récentes de la chef du gouvernement suédoise Magdalena Andersson, du président finlandais Sauli Niinistö.

Je n’ouvrirai pas ici la vieille question de la préparation à la guerre pour mieux préserver la paix (un économiste, Tony Fang, dans le Göteborgs Posten aujourd’hui, d’expliquer : « Beväpnad neutralitet är den bästa vägen för Sverige » – « Une neutralité armée est la meilleure voie pour la Suède »). On sait que Winston Churchill, six ans après Gide, reçut le prix Nobel de littérature, de l’académie sise à Stockholm, donc.

NB
Churchill que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a paraphrasé le 8 mars, s’adressant aux parlementaires britanniques : « nous nous battrons dans les forêts, dans les champs, sur les rivages, dans les rues ».

Mais je voulais surtout évoquer ici le blog d’une écrivaine, traductrice suédoise, jeune mère : Hillevi Norburg. (Blog Stasimon, de Hillevi Norburg.)


Elle y écrivait, le 28 février : « Kriget kommer, men livet stannar inte upp för det. Kvinnor är gravida, barn föds – ibland uppstår komplikationer under förlossningen. Det är outhärdligt att tänka på. Min dotter föddes för tre och en halv månad sedan (…) Bilder på mammor som sover med sina små barn på tunnelbaneperronger: barnet avslappnat och oskyldigt i sömnen, mamman vaken och orolig, en beskyddande arm över den lilla kroppen som svepts in i filtar mot kylan… mitt hjärta brister. Men jag tänker också på de unga ryska värnpliktiga – de är bara pojkar. »

Mise en en abyme... je vais traduire une traductrice... de Proust, Rachilde... Une belle époque...

« La guerre s’approche, mais la vie ne s’arrête pas pour autant. Des femmes sont enceintes, des enfants naissent – avec parfois des complications lors de l’accouchement. C’est insoutenable d’y penser. Ma fille est née il y a trois mois et demi (…) Les images de mamans qui dorment avec leurs petits enfants aux entrées des stations de métro : l’enfant dormant sans méfiance, innocent ; sa mère éveillée et inquiète, un bras protecteur sur le petit corps enroulé de couvertures contre le froid… mon cœur se brise. Mais je pense aussi aux jeunes combattants russes : ce ne sont que des gamins. »

NB

Nils Blanchard   


jeudi 17 mars 2022

Retour de... l'URSS...

Le Monde, du vendredi 11 mars 2022, le Monde des livres, donc. Article de Camille Laurens, « Exercice de lucidité ». On parla la semaine dernière, sur un autre sujet, de discernement…
Là, il est question de la réédition, aux éditions Arthaud, du Retour de l’URSS, suivi de Retouches à mon « Retour de l’URSS » d’André Gide bien sûr. (Avec une préface de Jean-Claude Perrier.)

Bien sûr.
Camille Laurens note que la parole de Gide « “sans feinte et sans ménagement” nous donne encore à penser car il est frappant de constater à quel point elle colle à notre actualité la plus violente. »
C'est en juin 1936 que Gide, avec cinq de ses amis (dont Pierre Herbart, Louis Guilloux… Mais c’est une autre histoire…) vient se désenchanter en URSS de son admiration pour l’URSS, à l’occasion des obsèques de Maxime Gorki.
Le Retour de l’URSS : une étude de cas (pour parler comme nos bons pédagogues) de la manière de rejeter dans les cordes la propagande, la « manipulation idéologique », le « conformisme » les plus crasses.

On me demandera ce que cela vient faire là, car Gide n’est quand même pas allé à Gammalsvenskby (il est certes passé en Ukraine…) Mais, prix Nobel en 1947, cela ne donne-t-il pas à Gide une dimension suédoise ? Même s’il ne fit pas le voyage à Stockholm, après avoir hésité semble-t-il.

Médaille du Nobel - e-gide, 22/4/2016 ; vente à Christie's – Paris

Traduit en Suède, il était en lien avec certains intellectuels du neutre pays, notamment un « Suédois d’ailleurs », en l’occurrence un Finlandais, appartenant à la minorité suédoise de ce pays (Ekenäs) : Göran Schildt. Leur correspondance atteste d’une relation pas si… intéressante pour le Finlandais (qui était aussi un voyageur).

Le Daphné (bateau de G. Schildt) ; Wikipedia

Mais Gide fut aussi en relation avec Lucien Maury, qui présenta Barabbas de Per Lagerkvist (Stock, traduction de Marguerite Gay et Gerd de Mautort), pour l’édition de 1950 (belle année pour les éditions, mais cela, aussi, est une autre histoire…), avec une lettre du « contemporain capital ».

À Lucien Maury, Gide, en octobre 1950, finit une lettre de la sorte : « La langue suédoise nous a donné, nous donne encore des œuvres si remarquables que bientôt il va devenir indispensable, à l'homme qui se veut cultivé, de la savoir pour pouvoir bien apprécier le rôle important que la Suède s'apprête à jouer dans le concert européen ». (Source : site e-gide, article sur Barabbas du 12/9/2012.)

« Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Académie royale de Suède, à l’issue d’un débat passionné, concluait : “On a souvent reproché à Gide de dépraver et de désorienter la jeunesse…C’est l’ancienne accusation que l’on porte contre tous les émancipateurs de l’esprit”. Le Prix Nobel consacrait ainsi “l'accent unique d'une voix qui s'élevait au-dessus des tragédies pour affirmer obstinément le devoir de bonheur ... Par un paradoxe dont il goûtait l'ironie, l'écrivain de toutes les ruptures et de toutes les inquiétudes a été salué dans les dernières années de sa vie comme le plus classique de nos écrivains modernes” » (Pierre Lepape, Livret des célébrations nationales, 2001 ; source : e-gide, 22/4/2016 ; vente à Christie's – Paris.)

Pour en revenir à Göran Schild, lui, il a traduit Si le grain ne meurt, en 1946, puis 1947…, chez Les éditions Holger Schild (Helsingfors (Helsinki)).

La transition est un peu… appuyée… On parle de l’Ukraine comme du grenier à blé de l’Europe.


Nils Blanchard


jeudi 10 mars 2022

Actualité superposée (mais peu stable) ; d’Anders Tegnell et de Gammalsvenskby

Je démarre ce blog, et ai pris, bien involontairement, un rythme d’un article tous les deux jours. Mon idée était plutôt – et ça le redeviendra – d’en faire un par semaine.

Göteborg, été 2021. "Je pensais qu'on ne verrait rien"; NB

Mais lisant les nouvelles sur le site du Göteborgs Posten, j’apprends l’annonce du départ d’Anders Tegnell de l’administration suédoise de la santé (Folkhälsomyndigheten). Deux époques se téléscopent : celle de l’épidémie, qu’on peut espérer vraiment, cette fois, sur son déclin, et celle de cette ignoble guerre commencée il y a deux semaines.

Quel soulagement, quand j’ai été en Suède cet été et cet automne, de pouvoir me promener dans les rues, entrer dans les magasins et restaurants (même si j’ai peu été en ville) sans masque ! Plus profondément, soulagement de voir qu’un pays pouvait se tenir à une politique claire et pensée – elle a pu bien sûr avoir des défauts – sans céder par panique moutonnière à la mode commune.

Dans l’article du Göteborgs Posten d’hier sur Anders Tegnell (de Filip Persson et Victor Blomdahl), j’ai relevé cette réflexion qu’il livre sur son activité d’épidémiologue d’État de la Suède :

« Vilka är dina viktigaste råd till honom?

Ha is i magen, och prata med folk så att man får en bra känsla för vad som händer och vad folk behöver veta.

På vilket sätt ska han ha is i magen?

– Att se varje situation och definitivt inte sitta och vänta för länge, men inte heller reagera innan man har tänkt igenom vilka alternativ som finns. »

Bon, là… problème de traduction : je traduirais « att ha is i magen » par « avoir des nerfs d’acier ». Mais mot pour mot, cela signifie : « avoir de la glace dans le ventre ». Pour le reste :

« Quels sont tes conseils les plus importants que tu lui donnerais [à son successeur] ?

– D'avoir des nerfs d’acier, et de discuter avec les gens, pour avoir une idée juste de ce qui se passe et de ce que les gens doivent savoir.

Avoir des nerfs d’acier… de quelle manière ?

– Il faut étudier toutes les situations mais, vraiment, ne pas tergiverser trop longtemps – sans pour autant réagir avant d’avoir soupesé les alternatives. »

Belle illustration, dans un sens, du « lagom » suédois dont on nous rebat les oreilles. Ou, pour employer un mot français, du discernement ?

A. Tegnell à Stockholm en 2020, crédit : Frankie Fouganthin – Wikipedia

Et aujourd’hui encore, difficile de ne pas attirer à nouveau l’attention sur l’actualité de Gammalsvenskby, près de la ville de Kherson prise par les Russes.

Eglise à Gammalsvenskby; CommonShare

Un lien : Anna Eborn: Nyheter från Gammalsvenskby

Mais, du discernement, du discernement… En temps de guerre, facile à dire.


Nils Blanchard


mardi 8 mars 2022

Guerre d'hiver, Tellervo

Un monsieur m’a parlé à un dîner, en Suède, il y a trois ou quatre ans, de ses souvenirs de ces enfants finlandais, réfugiés de la guerre d’hiver, qui attendaient en groupe, une précieuse pancarte (leur identité…) autour de leur cou.


Source: Riksarkivet, Sverige
Petit rappel : la guerre d’hiver commence commence fin novembre 1939, après que la Finlande, soucieuse de préserver son indépendance, ait refusé de céder aux instances de Staline (de céder, dans un premier temps, notamment la location du port de Hanko pour mieux protéger Léningrad…) et dure jusqu’au 13 mars 1940 (traité de Moscou). Suivront ensuite une guerre dite « de continuation », à nouveau contre l’URSS, puis un troisième conflit, cette fois contre l’Allemagne nazie.
Le 4 mars dernier, a été publié dans le Göteborgs Posten une colonne libre de Pentti Käppi, ancien enfant de la guerre de Finlande. Le titre : « Vad kommer att hända med flyktingarna från Ukraina? – Que va-t-il advenir des réfugiés d’Ukraine ? »
Il commence ainsi : 

« Vi finska krigsbarn, som ännu lever och minns vårt barndomstrauma, kan inte undgå att dra paralleller med det orättfärdiga och oprovocerade våldet som riktas i Ukraina mot hela befolkningen och särskilt mot barn. Det första våldsverkaren gör är att döda sanningen. »

Traduction : « Nous, les enfants finlandais de la guerre, qui vivons encore et nous souvenons de nos traumatismes de l’enfance, ne pouvons nous empêcher de faire des parallèles l’injuste violence qui a été dirigée contre l’Ukraine innocente, contre toute sa population et plus particulièrement les enfants. Ce que le fauteur de violence fait en premier : assassiner la vérité. »

Ce téléscopage entre histoire et actualité a été noté par un chroniqueur du même journal, Håkan Boström, qui a rappelé le 28 février dernier que la Finlande, en son temps, avait « montré que l’on pouvait résister à la supériorité russe
 »… L’article n’est cependant pas d’un optimisme absolu : pour lui, aucun des deux pays ne peut vraiment gagner. – Tant il est vrai, la question fleure avec la philosophie, que l’on peut se demander ce qu’est « gagner une guerre »… – Håkan Boström note aussi que c’est la première fois, depuis justement la guerre d’hiver, que la Suède, longtemps chantre de la neutralité, soutient (par l’envoi de matériel) un protagoniste.

Dans une famille chez laquelle j’ai logé assez longtemps dans une région du sud de la Finlande encore très suédophone à l’époque, un garçon faisait son service militaire dans un régiment avec d’autres suédophones. C’était l’époque où la France allait supprimer le service militaire, ce qu’eux ne comprenait pas, ce qu’on comprend un peu mieux aujourd’hui…

Et pour en revenir à la guerre d’hiver, des images de l’époque nous ramènent cruellement à l’actualité ukrainienne.

Foule en gare de Helsinki, avant l'ouverture des hostilités fin 1939
Creusement de fossés préventifs dans le parc Kolmikulma, Helsinki

Il y avait dans ce parc Kolmikulma, il y a toujours, une statue de la déesse Tellervo, divinité de la forêt de la mythologie finnoise, que l’on doit au sculpteur Yrjö Liipola, en 1928. C’est à cause d’elle que l’on parle aussi couramment du parc de Diane (Dianapuisto), en confondant Tellervo avec cette dernière déesse.

Y. Liipola qui a aussi fait une statue qui s’intitule « Le cri ».

Nils Blanchard


dimanche 6 mars 2022

Les colonnes d'Hercule

Elles délimitaient la civilisation.


NB
J'ai l’impression de me répéter, puisque je suis retourné hier, comme dans mon livre, au Struthof préparer une sortie avec des élèves et…
C'est beau, évidemment, les Vosges, malgré tout.
Froid, aussi ; « ils » avaient bien choisi leur endroit. 4° grâce au soleil, mais un ressenti plus froid, à 800 mètres.

NB

(Du haut du camp, on distingue, outre les traces de neige, une des places anciennement occupées par des baraquements. Elles sont dédiées aujourd'hui aux différents camps principaux de concentration. Ici, inscrit sur la borne blanche: Bergen-Belsen.
Au loin à gauche, on distingue l'ancienne villa du commandant du camp.)

NB
(Places d'appel, espaces des anciens baraquements, qui descendent, au fond, vers les blocs cellulaire et crématoire.)

NB

(Cette partie du camp (flèche, cimetière des déportés français de différents camps de concentration) a été restaurée ces dernières années.)

Elmar Krusman (je me répète, je me répète…), malgré le titre du livre, n’a jamais mis les pieds dans ce camp central, lui ayant été déporté à Bisingen, camp annexe de Natzweiler (le Struthof), à environ 160 kilomètres de là… dans l’actuel Bade-Wurtemberg.
À Bisingen, il a travaillé très vraisemblablement, entre autres, à l’extraction de schiste. Au Struthof, il y avait la carrière de granite, qui a été aussi – surtout ? – atelier de moteurs d’avions notamment.
Des fouilles archéologiques ont commencé là il y a peu – un an ? – ; on en voit des traces sur certaines images.

NB

NB


NB


Étrange désolation ; le lieu était abandonné depuis la guerre. Il rappellerait sous certains angles des images de l’actualité. On sait que Kherson, pas très loin de Gammalsvenskby (évoqué à l’article précédant), a été prise il y a peu par les Russes.
On devine dans certains bâtiments dégagés des galeries de béton en alvéoles, un peu comme la « Kartoffelnkeller »…
Peut-être, en été, cela pourrait tromper son monde, avoir l’air de quelque site de fouille italien. La Rome antique ? Malheureusement, le béton armé affleure de partout. Avant, les arbres et buissons dissimulaient cela. On voit qu’il y a eu pas mal d’arbres coupés pour les recherches récentes.

NB

NB

NB


On cherche vainement des prémices du printemps… Quelques chants d’oiseaux ; un pic vert je crois aperçu. Les futures frondaisons sont baignées d’une belle lumière, quoi qu’il en soit ; on pense vaguement aux séries de peintures de Roger Dale.

Puis en revenant, ces colonnes comme celles d’Hercule, qui marquent une des entrées de la carrière.


Nils Blanchard

vendredi 4 mars 2022

De la paix (des chapelles abandonnées à Gammalsvenskby)

Non, je n’ai pas été voir cette exposition de photos de Sam Vesterberg et Kari Hahne Lundström, qui ont photographié 53 chapelles abandonnées en Suède.


En même temps, quelques clics et pressages de touches sur internet mènent à ces photographies… – Chapelles abandonnées, donc, vues d’extérieur, de l’intérieur, en pleine campagne – qui mènent un peu au bout du monde.

Tenez, il y a un livre d’Åke Edwardson, dont le commissaire Winter résout des crimes dans la bonne ville de Göteborg, aidé par le non moins bon Fredrik Halders, qui a pour titre Huset vid världens ände. On peut traduire ça à peu près par… La maison du bout du monde. Et La maison du bout du monde, c’est un roman d’André Dhôtel, aussi. En fait, en français, le livre a été traduit sous ce titre : La maison au bout du monde. Et Edwardson en avait sorti un nouveau, en novembre, quand je me baladai précisément vers Göteborg. Mais il n’est pas en poche, j’ai trop à lire en ce moment… j’en ai reporté la découverte. Mais ça s’appelle : Det trettonde fallet, tout simplement. – Le treizième cas. – Allez… chez Selma Stories, on lit ce résumé :

« Kriminalkommissarie Erik Winter har varit hos familjen i Marbella. På planet hem lägger han märke till ett tyst par. I Sverige hamnar han i bilen efter dem. Plötsligt gör parets bil en våldsam gir och kör med fruktansvärd kraft in i klippväggen. Kvinnan i bilen heter Sara Brendner. Samma Sara Brendner blev trettio år tidigare vittne till det våldsamma mordet på hennes pappa, ett mord som aldrig klarades upp. »

Je traduis ? Je traduis…

« Le commissaire Erik Winter a été chez sa famille, à Marbella. Au retour, dans l’avion, son attention a été attirée par un couple silencieux. En Suède, en voiture, il se retrouve derrière eux. Soudain, la voiture du couple fait un virage brutal et fonce très violemment dans le mur de pierre. La femme dans la voiture s'appelle Sara Brendner. La même Sara Brendner qui, trente ans auparavant, fut témoin du meurtre brutal de son père, meurtre qui ne fut jamais élucidé. »


Ces chapelles. Elles sont abandonnées et pourtant, il se détache un étrange sentiment de paix de ces photographies.
Et, depuis le 24 février dernier, je pense à un village d’Ukraine, qui s’appelle Gammalsvensby. Mot à mot, le « vieux village suédois ». Ce sont des Suédois d’Estonie qui l’ont créé, venus de l’île de Dagö, transportés là, par quel caprice punitif ?, par des troupes, russes, de Catherine II.

On en reparlera.

Blason de Gammalsvenskby (Ukraine)


Nils Blanchard


En Mayenne – quelque part vers la civilisation

Rencontres avec des étrangers, qui parfois peuvent donner l’impression que l’on est très proche du premier inconnu venu. Puis, la plupart du...