lundi 28 mars 2022

Aux alentours de l'enfer

Un peu patraque, pour différentes raisons, il y a quelques jours, fait un tour rapide au Struthof, en fin d’après-midi, pour repérer des marches possibles. Il y en a une, du camp à la carrière, pas très connue. « Là haut » les déportés rejoignaient, sans les rejoindre (il y avait des entrées différentes), des travailleurs civils qui s’activaient aussi aux ateliers de la carrière.

NB

Très belle journée encore, mais toujours cette fraîcheur, tenace, sous les futaies.
J'y étais à l’heure où le musée ferme ses portes. En ses alentours, aux alentours de l’enfer, impression d’être très loin de tout. Cette fois, quelques branches en fleurs.
Sur la route, émissions sur la guerre en Ukraine. Quel rapport ?

Récemment, sur quelque site inavouable du net (réseaux dits « sociaux »), j’ai trouvé ce commentaire de Roger Dale, sur une « performance » récente, une peinture sur la situation de guerre en Ukraine, Paysage sauvage.

« Une aile était en jaune, l'autre en bleu ; les couleurs du drapeau de l'Ukraine et au centre des tâches de rouge qui dénonçaient la violence. Là-dessus, je voulais imposer un paysage paisible, de mémoire. On fait ce qu'on peut... » Roger Dale.

Au Struthof, pour sauvage qu’il soit, le paysage souffre encore la marque d’une certaine humanité, très inhumaine. Un camp de concentration était une petite ville en soi, sauf qu’elle n’était pas faite pour garantir des conditions de vie, mais des occasions de mort.

Une autre marche mène à l’auberge, en face d’un bâtiment, actuellement en « rénovation », qui fit office de chambre à gaz.
Sur un panneau explicatif : une photo d’anciens SS du camp, devant l’auberge, en 1943. (Cette auberge, abandonnée aujourd’hui, avait servi de logis, aux débuts du camp notamment, aux SS du camp.)

CERD – musée de l’ancien camp du Struthof

Assez fascinante, cette photo, qui montre des jeunes gens presque tous souriant, d’aspect vaguement sympathique, l’air un peu maladroits, presque timide pour l’un ou l’autre. Ils n’auraient pas l’uniforme, comment devinerait-on qu’on a affaire à des SS ? On pense à cette notion de banalité du mal ; Hannah Arendt.
1943. Les premiers déportés ont été amenés au Struthof en mai 1941.
Au milieu de la rangée de ceux qui sont assis devant, il me semble bien qu’on peut identifier Franz Ehrmanntraut. Lui ne sourit pas ; il a l’air très à l’aise, col de chemise ouvert. C’est un des pires bourreaux que le complexe Natzweiler ait connu.

CERD – musée de l’ancien camp du Struthof

En 1943, Ehrmanntraut (dont même ses supérieurs se méfiaient) commence d’« encadrer » des N.N., notamment français, chargés de construire l’étrange cave de béton qu’on appelle la « Kartoffelkeller ». Il les encadre, ce qu’il veut dire qu’il les massacre, « gratuitement », assisté de son redoutable chien.
Il apparaît à plusieurs reprises dans mon livre. C’est lui, notamment, qui accompagne Elmar Krusman à l’été 44 – 45 chez cette employée de mairie qui a témoigné après la guerre, pour qu’il lui couse un manteau. À côté de la brute, le déporté « suédois », dont l’employée ne connaît plus le nom quand elle en parle, tremble. On ne sait pas si c’est de peur, de froid, de fièvre. Des trois. Il mourra peu après.

Cette dame, peut-être, sans doute pas une méchante femme… Elle n’avait pas mesuré la portée du sujet sur lequel elle avait été interrogée à plusieurs reprises, sur cinquante ans… Elle n’était sans doute pas… une intellectuelle, au sens où l’entend Edgar Morin (né la même année qu’Elmar Krusman) que j’entendis avant-hier à la radio : quelqu’un qui doit s’efforcer d’avoir une pensée globale, qui dépasse, englobe, différentes spécialités et connaissances. Pour Edgar Morin, cette « mission de l'intellectuel (…) est très importante aujourd'hui. Parce que nous sommes dans un monde d'experts et de spécialistes qui, chacun, ne voit qu'un petit bout des problèmes, isolés les uns des autres ».

La témoin se contredisait dans un même entretien, tâchant de minimiser toute responsabilité éventuelle. Mais elle était capable aussi d’un raidissement, quand le fils du commandant du camp (de Bisingen) Pauli essaie d’obtenir d’elle un témoignage favorable pour son père, elle refuse. La vie, la normalité reprenait ses droits, oui, mais certaines choses n’étaient pas possibles.

NB

Aujourd’hui, cette auberge reste là, fermée. Passablement morbide. Pas loin, des gens s’activent à d’autres choses.


Nils Blanchard


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