mardi 31 mai 2022

Enfer, paradis…

 Assez étrangement près d’un endroit où je me promène régulièrement, demeure un bâtiment qui est le dernier témoin d’un éphémère et tardif Kommando (KZ) du KL Natzweiler, à Schwindratzheim, au bord du joli canal de la Marne au Rhin.

NB

NB

J’y suis allé pour des raisons en partie pédagogiques. Je voulais voir de plus près cet 

endroit évoqué par l’excellente brochure réalisée par des lycéens et étudiants français

et allemands, Camp de concentration Natzweiler et ses camps annexes sur les deux rives 

du Rhin (pour une série d’expostions en 2019, je crois ; la brochure n’est pas datée).




Eh, non, ce n’est pas la pédagogie qui est infernale ici.


Contrairement à Bisingen ou Haslach, ce camp annexe était du côté actuellement

français de la frontière. Cela explique qu’il n’ait existé qu’à peine plus d’un mois (de 

fin août 1944 à début octobre 1944). Environ 600 déportés, transportés d’autres camps

annexes, y seraient tout de même passés.

A priori, le nombre de victimes est inconnu.


Le but de ce camp était d’aménager une mine pour y transférer des ateliers de 

fabrication d’avions Junker. La durée d’existence du camp ne laissa la possibilité que

de travaux préparatoires.

Il y a aujourd’hui ce panneau qui met en garde contre la dangerosité de galeries,

quelque part dans la colline qui jouxte le canal.


NB

En marchant un peu le long du canal, vers l’Ouest, vers Saverne, on est frappé par la

profusion de fleurs, la beauté de ces coins riverains de campagne intemporelle, posés

là par les ingénieurs du XIXe siècle. Puis on arrive à un petit regroupement de 

péniches – certaines semblent habitées – et de petits bateaux de tourisme. Coin que j’ai

trouvé étrangement idyllique, à deux pas (à peine plus), de l’ancien camp.


NB

NB

Il y a quelque chose avec les lieux (porte ouverte, là encore… et le mieux, comme 

souvent, est de se reporter à la lecture de Dhôtel...) Ce lieu-ci de me rappeler des

souvenirs, tout personnels et quasi- incommunicables, du bord de la Mayenne.


Pour revenir à la notion de pédagogie – qui, sortie systématiquement et

malencontreusement de son contexte par toutes sortes de baratineurs, me met

ordinairement en rogne ; « péda » vient de « enfant » : on ne devrait donc pas parler de

« pédagogie », par exemple, pour des citoyens adultes –, j’ai assisté lundi dernier à une

présentation de projet de coopération entre les archives d’Alsace, le Centre européen

du Résistant-Déporté et des collèges et lycées.

Cela avait lieu aux archives « d’Alsace », en fait celles du Bas-Rhin (?) et commença

par une conférence de Hans-Joachim Lang, journaliste et historien allemand qui a mis 

des noms – parfois plus encore : un parcours, une photographie… – sur les 86 Juifs

assassinés en août 1943 dans la chambre à gaz du KL Natzweiler pour enrichir la

collection de squelettes du professeur Hirt (de l’université de Strasbourg alors

allemande). Ils avaient été transportés exprès, à cette fin, d’Auschwitz.




Il y a quelque chose avec les lieux… H.-J. Lang de s’étonner à un moment que 

quelqu’un lui ait dit, à l’université de Strasbourg : « Die Mauren sind unschüldig » –

« Les murs sont innocents ».


Les murs de cette bâtisse au bord du canal ? Mais il ne s’agissait pas d’université, de

réserve et matrice de savoir…


En tout cas – je reviens aux archives –, malgré mon allemand imparfait, je me sentais

en « terrain connu » en entendant H.-J. Lang évoquer son désir de « connaître » les 

victimes, ne pas les laisser simplement à l’état de noms sur une liste. « Die Menschen

kennen zu lernen » – « Faire connaissance avec les personnes ».



Nils Blanchard



mercredi 25 mai 2022

Suède, Finlande, Södergran, Dhôtel

Récemment, dans le Göteborgs Posten du 17 mai dernier, un article de Karin Pihl (suite à la demande récente d’entrée dans l’OTAN de la Suède et de la Finlande) : « Vi svenskar borde bry oss mer om Finland – Nous, Suédois, devrions plus nous intéresser à la Finlande ».

NB - Près d'Ekenäs

Et de développer, notamment :

« Men det är också tragiskt att det ska till ett krig för att vi i Sverige ska inse att Finland är viktigt för Sverige. I Finland är kunskapen om vad som händer i Sverige generellt hög. Detsamma kan man tyvärr inte säga om svenskars kunskap om Finland.
Vi svenskar kan faktiskt pinsamt lite om vårt grannland i öst. (…) »

« Mais c’est désolant, aussi, qu’il faille une guerre pour que nous autres Suédois considérions que la Finlande est importante pour la Suède. En Finlande, on est généralement très au fait de ce qui se passe en Suède. On ne peut pas en dire autant malheureusement des connaissances des Suédois sur la Finlande.
En fait nous en savons ridiculement peu sur notre voisin de l’Est. (…) »

Après, elle évoque un sondage tendant à montrer le manque de connaissances des Suédois sur la Finlande. Puis elle rappelle l’existence (et l’importance) de la minorité suédoise en Finlande, les arguments à son encontre, du parti d’extrême droite « Les Vrais Finlandais » notamment.

Enfin, elle conclut son article :

« Svenskan är inte bara en del av vår gemensamma historia och det språk som bägge våra nationalsånger är skrivna på. Det är också en nyckel till gemenskap och samarbete mellan länderna »             
« Le suédois n’est pas qu’une part de notre histoire commune – et la langue de nos deux hymnes nationaux. C’est aussi une clé vers le rapprochement, la coopération entre nos deux pays. »

Je ne peux m’empêcher de sourire un peu. Penser que les Suédois vont pouvoir se rapprocher de la Finlande par le biais des suédophones de Finlande, n’est-ce pas sous-estimer un… léger agacement viscéral des Finnois à l’encontre des Suédois (suédophones de Finlande compris), pour plusieurs raisons plus ou moins raisonnables :
– le passé de dominateur de la Suède (jusqu’en 1809 en effet),
– une certaine position d’élite des finlando-suédois,
– un ressentiment (en reste-t-il?) plus ou moins justifié contre l’attitude de la Suède pendant la Seconde Guerre mondiale,
– une certaine différence culturelle (en gros : les Suédois – de Suède – assimilés à des bobos, ou à des nouveaux riches un peu vulgaires…)

Étrange, par ailleurs, que l’article ne fasse nulle mention des tensions récentes liées à la pandémie du Covid, le mépris, les quolibets que la politique suédoise (qui est celle de tous les Européens aujourd’hui) a suscités.

NB - Près d'Ekenäs

Il est grand temps, là, d’évoquer en ce blog une grande plume suédoise de Finlande : Edith Södergran, dont on peut en partie lire l’œuvre sous le prisme des complications de son appartenance nationale (compliquée d’autant plus qu’elle venait – et a fini – de Carélie, qui sera prise plus tard par les Soviétiques, qui à son époque subit durement la guerre civile (1918).
Mais de cela on reparlera bien sûr…

Puisqu’il fut indirectement question d’André Dhôtel au dernier billet – via la parution d’un article sur le Cahier André Dhôtel n° 19 dans le blog Argoul [lien] –, je veux ici initier une comparaison, assez étrange sans doute, qui m’est venue en lisant ces temps-ci précisément les poèmes d’E. Södergran.

L'un de ses plus connus est Jag – Je.
Il commence ainsi : « Jag är främmande i detta land, » (« Je suis étrangèr(e) en ce pays, »).

Or j’évoquais ce thème du… pays problématique, dans un article dans un autre Cahier André Dhôtel, le 17, consacré aux Derniers écrits de l’écrivain.


C'est que dans un de ses derniers poèmes, Le départ, Dhôtel « devient cet étranger qui nous est si proche : Comment donc ce pays / que je connais trop bien / a-t-il pu devenir / un pays étranger ? (…) »

Ah, le recueil (posthume) des poèmes auxquels travaillait Edith Södergran à sa mort s’intitule : Landet som icke är – Le pays qui n’est pas.
On connaît, évidemment, de Dhôtel Le pays où l’on n’arrive jamais.

Suédois de Finlande, André Dhôtel ?


Nils Blanchard

vendredi 20 mai 2022

Guerre et neutralité

Toujours le débat sur la neutralité en Suède.
Ne peut-on considérer qu’une adhésion à l’OTAN n’est peut-être pas exactement similaire à une inscription à une plateforme de films en ligne ?

NBBohuslän. On devine, à gauche, la silhouette 
de la forteresse de 
Carlsten (Marstrand) dont il est question plus bas...

Le 17 mars dernier, Robert Azar de publier un article sur la guerre de Crimée (1853-1856) dans le Göteborgs Posten : « Viktigt att minnas Krimkriget – Il est important de se souvenir de la guerre de Crimée. »
Pourquoi donc ?

Après avoir rappelé les forces en présence (France, Royaume-Uni associés à la Sardaigne, à l’Empire Ottoman, contre la Russie), R. Azar note que ce conflit européen oublié utilisa les avancées technologiques liées à la Révolution industrielle (chemin de fer, marine à vapeur, presse informée grâce au télégraphe…)
Pour empêcher les Russes de trop s’étendre vers le Bosphore au détriment de l’Empire Ottoman de plus en plus faible, les occidentaux intervinrent, et obtinrent comme on le sait l’avantage.
On proposa à la Suède de rejoindre les puissances occidentales. Cela ne fut pas vraiment le cas, mais la neutralité fut écornée.


Pourtant, « Liksom i våra dagar fruktade man att kriget skulle sprida sig till Östersjön och Sverige. Man debatterade om utökade anslag till försvaret, koleran grasserade och Carlstens fästning försattes i krigsdugligt skick. Stämningarna i landet präglades av revanschlystnad mot "arvsfienden" Ryssland, som hade erövrat Finland märkesåret 1809. Den liberala pressen utpekade tsar Nikolaj I som en despot, medan ultrakonservativa kretsar såg ett bålverk mot de revolutionära rörelserna i Europa i tsarismen. »

« Comme actuellement, on craignait une contagion de la guerre à la Baltique et à la Suède. On débattait de l’augmentation des crédits militaires, le choléra sévissait [la maladie faisait alors des ravages en Crimée], et la forteresse de Carlsten était remises aux normes de la guerre. On sentait dans le pays une soif de revanche contre l’“ennemi héréditaire”, la Russie, qui avait pris la Finlande en cette funeste année 1809. La presse libérale présentait Nicolas Ier comme un despote, lors que les cercles ultraconservateurs voyaient dans le tsarisme un rempart contre les mouvements révolutionnaires en Europe. » 

Alors, la Suède laissa les Occidentaux utiliser le détroit de Fårö ; en 1854, la forteresse de Bomarsund (Åland) est détruite par une flotte anglo-française. Et finalement, le roi Oscar Ier entre dans une alliance défensive avec la France et l’Angleterre.

Ruines de Bomarsund - Photo internet

Au traité de Paris (1856) sera décidée la démilitarisation complète des îles Åland, russes à l’époque, finlandaises aujourd’hui (mais suédophones).

Robert Azar revient sur le sujet le 8 mai (toujours dans le Göteborgs Posten), en rappelant que la neutralité suédoise est ancienne, n’est pas qu’une conséquence de la Seconde Guerre mondiale. Elle remonte formellement à une déclaration écrite du roi Karl-Johan (le fondateur de la dynastie Bernadotte actuelle, Charles XIV Jean) – bien évidemment, note R. Azar, rédigée dans un français élégant.

Pour en revenir à la notion de guerre, qui nécessite un peu plus de circonspection que des prises de position à la va-vite de gens pétris d’idées reçues (les « caprices téméraires de la volonté » comme disait Blaise Pascal), un adepte d’arts martiaux pourrait expliquer que le combat est précisément ce qu’on essaie d’éviter en s’y préparant. Mais une fois qu’il a lieu, c’est un bouleversement – je reviens à l’échelle d’un État, a fortiori d’un continent – qui peut avoir des conséquences sur le long, le très long terme.
J'enfonce une porte ouverte, peut-être. Après la guerre de Crimée, intervint celle de 70 ; trop confiant en ses succès passés, le Second Empire s’y est détruit. Au-delà, 70 explique en grande partie le déclenchement de la guerre de 14. Qui elle-même...

Nils Blanchard


Rapport, ou pas de rapport ?

Guerre, premier des inédits récemment retrouvés de Céline à être publié…

Quant à Tolstoï – Guerre et paix – n’est-ce pas pendant la guerre de Crimée qu’il avait développé une certaine détestation des Français ?

Paru, hier, sur le site Argoul un article sur le Cahier André Dhôtel n° 19, sur la revue 84, dont il a déjà été question ici. Revue… d’après-guerre… On en reparlera.

NB


samedi 14 mai 2022

Voix blanches ? Neutralité, tissage

Demain dimanche, le gouvernement suédois donnera sa réponse par rapport à une entrée éventuelle dans l’OTAN (que l’on dit décidée...)

Frans Lindberg

Je prépare depuis quelque temps un billet sur le sujet de la neutralité, des débats récents autour d’une éventuelle entrée dans l’OTAN. Je suis aussi, entre deux conférences… J’évoquais ainsi en novembre dernier à l’INALCO les Esto-Suédois qui, peut-être, ne pouvaient réellement être considérés comme une nation à part entière, parce qu’ils n’avaient pas d’ennemis, ou plus exactement refusaient, se refusaient de les affronter (jusqu’à l’exil final en Suède). Évidemment, je résume beaucoup, beaucoup trop sans doute...
Ne peut-on quand même faire un raccourci et parler de neutralité (mais absolue, ce que la suédoise a rarement été) dans le refus des Esto-Suédois de prendre de front (aux XIXeme – XXeme siècles) les barons baltes, les Russes, les Estoniens, les Soviétiques, les Allemands des armées nazies… Après, c’est à peu près fini : quand les Soviétiques reviennent en Estonie en 1944, neuf-dixièmes des Esto-Suédois ont quitté le pays.

Bon, mais, en gros, résumé de prises de position récentes sur le sujet de la neutralité, en Suède.

Dans le Göteborgs Posten du 3 mai dernier, article de Hans Sternlycke, dont le titre résume bien le propos : « Fred skapas inte med krigsallianser » (« La paix ne repose pas sur des alliances militaires »).

Arguments : 
- une entrée de la Suède dans l’OTAN n’aidera pas particulièrement l’Ukraine,
- les États-Unis ont pu fort mal se comporter par le passé… (évoque très rapidement certains coups d’État, bombardements… j’ajouterais à titre personnel le blocus en Irak…),
« Våld föder våld! » (« La violence engendre la violence ! ») et l’OTAN serait d’après l’auteur plus une alliance agressive que défensive,
- de grandes décisions en Suède (sur le nucléaire, l’adhésion à l’EU…) ont donné lieu à des débats importants, ce qui ne serait pas le cas ici…

Inversement, dans le même journal, le 6 mai, Börje Qvarfordt démonte certains arguments des « anti OTAN », rappelant par exemple que les puissances nucléaires n’engagent pas leur armement nucléaire dans l’OTAN, ne le lui laissent pas à disposition mais le contrôlent nationalement.
La veille, très remonté contre Poutine (ce que l’on comprend…) Thomas Nydahl, dans son blog Nydahls Occident, rappelait que l’échec de l’ONU, lors des guerres de Yougoslavie et, finalement, la nécessité à l’époque de faire appel à l’OTAN.

Les arguments des « pro-OTAN » me semblent plus sensés, tant ceux des « anti » portent la marque, çà et là, d’anti-américanisme primaire.
Pourtant, j’aurais plutôt tendance à donner raison à Hans Sternlycke, en considérant qu’il faut aussi des pays qui suivent une autre voie. Qu’un « état » de droit international profite plus de la multiplicité des avis, des intérêts, que d’alliances rigides dressées les unes contre les autres.
Pourquoi voudrait-on que les Suédois fassent comme les autres ? Puis la neutralité en Suède relève d’une longue histoire (mais, donc, j’en reparlerai…)
Enfin : plus personne ne parle du prédécesseur de Joe Biden, dont la mouvance pourrait revenir un jour au pouvoir…

Voilà, pour l’instant, sur la neutralité.

Quant au tissage, je lisais récemment dans le livre de Michel Lamart, déjà évoqué ici (Le Chaudron fêlé, collection « Les Plaquettes », À l’Index, 2022), au 3e chapitre intitulé « Voix blanches », ce 10e aphorisme :

« Parole et tissu : même mot en Dogon. Le tissage est une activité masculine, comme partout dans cette région d’Afrique. On ne travaille pas de nuit : cela équivaudrait à tisser l’ombre. Ombre et bruit sont de même nature. Les paroles des ancêtres chantées par le tisserand ne doivent en rien être dérangées. La parole est une bande de tissu qui sort de la bouche. Elle se transmet mais ne doit pas être coupée sous peine de mort du groupe. »

On me demandera quel rapport cela a avec les Suédois, d’Estonie ou d’ailleurs. Allons voir sur le site de l’Institut suédois de Paris l'Institut suédois. Exposition « Longing », du 13 mai au 14 août (2022).

NB

Début du commentaire sur le site :

« Les six artistes de l’exposition LONGING – fils tissés, récits croisés viennent des quatre coins du monde. À travers leurs tissages, ils évoquent leur histoire et interrogent les notions d’origine, d’héritage, d’appartenance, de la famille, de la spiritualité et de l’existence. Le sentiment de vide partagé ces derniers temps par une grande part de l’humanité, les a rassemblés autour d’un thème commun, longing en anglais – à savoir, ici, le désir de se trouver ou de se retrouver, la nostalgie du passé, le regret des êtres disparus ou des rêves inaccomplis. »

Ce qui me ramène à une de mes connaissances, Martin Fahlén – j’y reviendrai… –, qui en 2021 a publié un livre sur l’industrie du lin développée à travers les décennies par une partie de sa famille (paternelle), sur l’Ångermanälven.

Le tapis d’Anna – Sur les traces d’un colporteur du Nord - ISBN 978-91-519-9179-5


Nils Blanchard


jeudi 12 mai 2022

Petit clin d’œil à Stockholm

Non, ne rêvez pas, rares et chers visiteurs de ce blog : je ne vais pas faire un article tous les jours.

NB - Stockholm

Seulement, après une interruption de plus d’un mois, la traductrice Hillevi Norburg, déjà évoquée quelque part ici, a redonné de ses nouvelles sur son blog, Stasimon. Sans doute était-elle accaparée par quelque traduction de Proust ou Maupassant…
Ses enfants traversent çà et là des petites maladies, toux… J’en reparlerai, pour évoquer un billet d’elle plus ancien… (Sans doute avez-vous compris que je me suis octroyé une fois pour toutes le privilège de me jouer de certaines contraintes temporelles…)

Mais hier, le 10 mai, donc, elle parle, entre autres, de la pluie à Stockholm.
En France depuis quelques jours, il fait chaud ; on commence à parler de sécheresse.
Si personnellement je supporte bien la chaleur, les élèves dans les cours, beaucoup moins. Je peste régulièrement contre la mode de réduire les vacances d’été, alors même que le réchauffement climatique se fait nettement sentir…
(Des amateurs d'André Dhôtel ne devraient pas me donner tort.)

Sans transition : extrait et traduction du billet de Hillevi Norburg :

« Det är grått ute. Barnen hostar fortfarande, kanske ännu mer nu. (…) Världens töms på lite av sin färg när de inte är friska. Solen förstår hur det ligger till, den gömmer sig bakom molnen. (…) Efter lunch, när jag kommit hem igen bakar jag en äppelpaj med min son. Den blir söt och knäckig, men sonen är ändå mest intresserad av att äta grädden vi har till. Sedan ser vi gamla avsnitt Pippi Långstrump (…) Det är i någon mening i samma kategori som äppelpajen; för mig är det kanske smaken av trygghet och barndom (…) På kvällen kommer regnet, det smattrar mot fönstren. »

« Il fait gris dehors. Les enfants toussent toujours, peut-être même un peu plus. (…) C’est comme si le monde se décolorait, quand ils sont malades. Le soleil comprend ça, il se cache derrière les nuages. Après le déjeuner, quand je suis rentrée, je fais une tarte aux pommes avec mon fils. Elle est sucrée, craquante, mais l’enfant est plus intéressé par la crème qui va avec. Ensuite, on regarde un épisode de Fifi Brindacier (…) Dans un certain sens, c’est à mettre dans la même catégorie que la tarte aux pommes ; pour moi, c’est peut-être ce goût d’enfance, de sécurité. (…) Le soir vient la pluie. Elle crépite à la fenêtre. »

Puis cette pluie-là : c’est dans le Bohuslän.

NB

Post scriptum. Le 9 mai dernier, que d’aucuns redoutaient, a été une relativement bonne surprise : V. Poutine en a rabattu sur ses menaces nucléaires.
Il a été bien sûr rappelé le bilan effrayant des pertes soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale. On peut se souvenir ici qu’Elmar Krusman pourrait avoir été comptabilisé parmi les Soviétiques, même si, au KL Natzweiler (et dans les documents du musée actuel du camp), il apparaît comme suédois.


Nils Blanchard


mercredi 11 mai 2022

Haslach, première approche

Mon intention n’est pas de passer en revue tous les camps annexes du KL Natzweiler. Je suis allé visiter néanmoins le site de cet ancien camp, récemment, en tout cas une partie (Vulkan). Maurice Vissà y a été interné.
 
Monument sur le site Vulkan - NB

Situé en Forêt-Noire, à une quarantaine de kilomètres au sud-ouest de Strasbourg, c’était un petit camp, mais très meurtrier. 1736 déportés y sont passés sur une période comparable à l’existence du KZ Bisingen (septembre 1944 – avril 1945).

Pour y aller, traversée de petites villes allemandes sympathiques, encore bien industrialisées.

J'écrivais dans mon bouquin (le site de l’usine de Bisingen est occupé aujourd’hui par un terrain de sport ; et en arrivant à Haslach, je suis tombé sur un match de foot et un des sites – voir plus loin – s’appelle « Sportplatz ») : « Et on se demande aujourd'hui, dans ce lieu bucolique, où, tout près, ont lieu régulièrement des manifestations sportives sur le stade aménagé à l'emplacement de l'ancienne usine, comment a pu exister à cet endroit un tel édifice de malheur et de honte. »

C'est l’anachronisme du chercheur pris dans son récit, circonspect, aussi, devant certaines évolutions dans son propre pays.

Sur la route d’arrivée au site - NB


NB


NB

Sur cette dernière photo, on approche après une petite marche bien balisée le site de l’ancienne mine et de son mémorial, dont on distingue les panneaux, comme en attente du visiteur. Sentiment un peu difficile à définir.
Petite « déception » (comment dire?) cependant, sur ce site Vulkan : il y a beaucoup de panneaux d’information (mais en verre réfléchissant le beau soleil, et ayant pris beaucoup de poussières… pas très lisible), certes, mais exclusivement en allemand, langue que je ne maîtrise que bien moyennement. (Seul un panneau de réclame pour je ne sais quel programme européen est en trois langues : allemand, français et anglais).

Pourtant, beaucoup de nationalités – une vingtaine – sont passées par ce camp, et encore la liste ne concerne que les déportés identifiés (740 sur les 1736, 220 parmi les morts – dont il y eut plusieurs centaines...)

NB

Mais précisément, de quel camp parle-t-on ?
Trois petits camps, en réalité, dont les déportés ont travaillé à l’aménagement des usines souterraines Daimler, dans des conditions effroyables.

– Le camp Arbeitslager Barbe, connu aujourd’hui sous le nom de « Sportplatz », est une annexe du Kl Natzweiler (les deux autres n’en sont pas...) 400 déportés dont deux-tiers de Français sont placés en septembre 1944 dans d’anciens hangars de la Wehrmacht. S’y rajoutent en décembre 248 déportés du KL Flossenbürg.

– En décembre 1944 arrivent 650 déportés (200 résistants, 100 Alsaciens venus du camp de redressement de Schirmeck, 350 prisonniers de guerre soviétiques) qui logeront dans les galeries de l’ancienne mine, dans des conditions atroces ; on parle du « Höllenlager Vulkan » (Camp de l’enfer Vulkan).

– En décembre 1944 toujours, 300 déportés arrivent et sont logés un peu plus loin (au bord de la rivière Kinzig) dans ce qui va être un troisième camp : Kinzigdamm. Ceux-là, comme les prisonners de Sportplatz, allaient chaque jour aux mines Vulkan pour y travailler.

D'autres déportés arriveront encore au moins jusqu’en février 1945.

Ils ont vécu, aussi, dans des conditions inhumaines, certains ne quittant guère les galeries humides.
Encore une fois : impossible de dresser un bilan précis.

Sources : site Lieux insolites, 16 mai 2016.



 Sur l’ancien site de la mine - NB


NB

NB


Entrée de l’ancienne mine - NB

Je parlais de « déception », quant à l’usage unique de l’allemand sur le site. C’est peut-être aussi un parti pris : l’étude – et son partage – de l’histoire du nazisme et de ses horreurs étant considérée, peut-être, comme une affaire allemande avant tout. (Pas, simplement, un « mémorialisme » international un peu béat dont on nous rebat les oreilles…) Et force est de constater que cette affaire n’est pas négligée en Allemagne. On le voit, entre autres, à la multiplication des mémoriaux (Gedenkstätten), parfois modestes peut-être, mais sérieux pour ceux que j’ai vus.


Plaque du mémorial à Vulkan ; Roman Herzog (ancien président allemand) : « On n’est pas seulement responsable de ce que l’on fait, mais aussi de ce qu’on laisse faire. »
Peut-être R. Herzog avait-il lu John Stuart Mill : Bad men need nothing more to compass their ends, than that good men should look on and do nothing.”

Pour Haslach plus précisément (mais je viendrai peut-être à parler d’autres camps comparables en ce sens de la nébuleuse Natzweiler, comme celui de Katzbach à Francfort), quatre caractéristiques qui rejoignent celles de Bisingen où a été détenu Elmar Krusman :

– taille modeste du camp annexe,

– construction et développement à la toute fin de la guerre,

– mortalité très importante, concernant des déportés souvent au terme d’un long chemin de croix,

– présence à proximité d’agglomérations (et tentatives d’aide signalée dans des témoignages d’une partie de la population locale)…

Quatre champs universitaires, aussi, à explorer !

En repartant - NB

Nils Blanchard


samedi 7 mai 2022

Presse locale, entrelacement de sujets

De temps en temps (pas en Alsace), je lis la presse locale.


Dans ce Ouest France des 23-24 avril derniers, toute la dernière page est consacrée à l’ancien camp de concentration de Natzweiler.
Y sont rappelés certains points essentiels, notamment la mortalité dans le camp central (3000 personnes, sur trois ans et quatre mois je le rappelle), et l’existence de cette nébuleuse de camps annexes (dont Bisingen où Elmar Krusman est mort en avril 1945, il y a un peu plus de 77 ans). Au total : environ 20000 morts.


À l'intérieur du journal, un autre article, en lien à l’actualité : un rappel de l’épisode de famine qu’a connu l’Ukraine du fait de la folie stalinienne en 1931-1933.

C'est un hasard : beaucoup d’habitants de Gammalsvenskby (qui a vu passer ces derniers temps des troupes russes…) avaient alors quitté l’Ukraine.
C'est une histoire assez étrange, qui montre en tout cas qu’il paraît difficile aux Ukrainiens, quelle que soit leur origine, de quitter leur pays.

Habitants de Gammalsvenskby arrivant à Trelleborg en 1929 (source : TT)

Au début des année 20, les persécutions staliniennes entraînent une prise de contact entre la population de Gammalsvenskby et la Suède, notamment la croix rouge.
C'est en 1929 qu’un accord intervient entre la Suède et l’URSS, les habitants de Gammalsvenskby obtiennent des passeports pour partir et 885 arrivent à Trelleborg en août 1929. D’autres vont au Canada, parmi lesquels certains reviendront en Suède…
Là où les choses se compliquent, c’est quand quelques mois plus tard, certains des migrants arrivés en Suède (Gotland) décident de repartir pour l’Ukraine, soutenus par le parti communiste de Suède ; cela, bien sûr, donnera lieu à bien des commentaires...

Habitants de Gammalsvenskby repartant en Ukraine 1931 (source : TT)

Je me disais… S’il y a bien encore à Gammalsvenskby, non loin de Kherson, des descendants lointains d’Esto-Suédois de Dagö. On peut imaginer que ces derniers soient eux-mêmes des descendants de Vikings. De Suède…
Et parmi les récents occupants russes de Kherson, est-il exclu qu’il y ait eu quelque lointain descendant de ces Varègues, eux-mêmes descendants de Suédois ?
Parmi ces ancêtres de tous ces gens, est-ce si illusoire d’imaginer que deux d’entre eux aient vécu dans le même village, dans la même famille ? L’un dont le lointain descendant (par les Varègues) passa récemment en uniforme russe dans Gammalsvenskby, l’autre habitant ukrainien de ce bourg.
Le monde peut être petit.


Post-scriptum :

Entendu ce matin à la fin de l’émission « Concordance des temps », de Jean Noël Jeanneney (Patrice Brun y parlait de la démocratie athénienne), un extrait d’un discours d’E. Macron où il parlait quelques phrases de grec (moderne).
Question, sur un tout autre sujet, du génie de la langue, du lieu.


Nils Blanchard


mardi 3 mai 2022

Ekenäs et un chanteur belge


Non, non : pas de communauté suédoise remontant au Moyen Age en Belgique.

Simplement on a appris la mort récente du chanteur Arno.



NB -  Près d'Ekenäs
                                                                          
Alors que vient faire ici cette photo de la côte finlandaise en face d’Ekenäs (Tammisaari) ?
C'est qu’il y a maintenant pas mal d’années, j’ai écrit un roman (envoyé à un éditeur, refusé, remisé dans un placard, en partie oublié) dont la seconde moitié (de mémoire, donc) se passe à Helsinki et en Suède. Des Français – entre autres – plus ou moins, ou pas du tout (il y a un vieux monsieur à qui une ancienne amoureuse donne un rendez-vous) liés à ces pays y font des séjours ; ils s’entrelacent à des personnages du cru.

Bon, mais alors, Arno ?
Ce roman, une de ses versions en tout cas, s’intitule Pas heureux ni malheureux.
Et Pas heureux ni malheureux, c’est une chanson d’Arno. Voilà. Tout simplement. Je ne saurais trop en recommander l’écoute.

Allez, extrait :

C'est elle, la plupart du temps, qui prend des initiatives lorsqu’on est ensemble. Mais là, alors que nous étions réfugiés à une petite table au fond de son café de quartier ravivé par la pluie, il était clair qu’elle n’avait pas son allant habituel. Je me suis dit à ce moment-là qu’il ne fallait pas lui poser la mauvaise question. Enfin non, j’écris ça parce que j’écris... Je ne me suis rien dit du tout ; je lui ai demandé :
— C'est ton blondinet ?
— Non, ah lui... Ça fait deux semaines que je l’ai envoyé au diable, mais...
Mais, blondinet ou pas, elle ne voulait pas demeurer seule, détestait la classe d’hypokhâgne dans laquelle elle regrettait d’être entrée. Seul le professeur d’histoire lui plaisait et l’encourageait, par élimination, à poursuivre dans cette voie. Mais elle se sentait terrifiée à l’idée d’étudier les morts.
Elle trouvait ça malsain, l’histoire. Je me souviens que je l’ai trouvée très belle ; elle a dit soudain :
— Charles Ernest.
— Pardon ?
— C'est le nouvel album d’Arno. Pas heureux ni malheureux, Je veux nager...
En temps normal, elle aurait déjà tout envoyé paître. Or précisément... Elle se demandait si elle avait encore le droit de faire des caprices ; elle avait peur d’être déjà engoncée dans une vie qui ne lui plairait jamais. Terriblement peur.
On était en février, déjà en février, je me rendais compte ? Depuis notre dernière rencontre, elle avait eu le temps de s’amouracher d’un garçon puis de s’en séparer. Elle avait aussi écrit un petit roman qui ne valait rien et...
Je ne sais plus très bien de quoi on a parlé ensuite. On a dû évoquer notre semblant de pacte (…)

NB - Près d'Ekenäs

Oui, bien sûr, un peu d’autobiographie là-dedans. À l’époque où j’ai pris ces photos, il y a… plus de deux décennies, je passais un an en Finlande. Dans la Finlande suédophone.

L'eau a coulé autour des archipels ; Ekenäs maintenant a fusionné avec deux communes voisines (Karis et Pohja) et est devenue Raseborg (Raasepori).

Arno :

T’as rien à perdre

Let’s get out of this world

Il n’y a pas de malheur

À s’aimer soi-même


Aucune religion peut nous sauver

Quand il reste plus rien,

il n’y a rien à casser


On n’est pas heureux, ni malheureux


(…)


(A. Hintjens / A. Hintjens, S. Feys, S. Baelen – Arno’s Music, Delabel Éditions)






Post-scriptum :

Au moment où je « boucle » ce billet, il est question aux informations (radio, Le Monde) du rendu imminent du rapport de la commission historique indépendante chargée d’enquêter (à la demande de l’Université de Strasbourg) sur les activités de la Reichsuniversität Straßburg (université du Reich de Strasbourg) durant l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne nazie, et notamment sur les agissements de « médecins » de l’université en lien avec le camp du Struthof.


Nils Blanchard



Gris Mitterrand

Il a été évoqué dans ces liens le « gris Mitterrand » , à propos de l’architecture. On peut en parler aussi, dans un autre sens, à propos de...