mercredi 27 avril 2022

La Finlande à Paris (et un peu la Suède)

Deux expositions concomitantes, à quelques centaines de mètres l’une de l’autre, Albert Edelfelt au Petit Palais, Akseli Gallen-Kallela au musée Jacquemart-André, ont lieu à Paris, en ce moment.

NB

 
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Tous deux sont issus de familles finlandaises suédophones. (Tous deux, en même temps, étaient patriotes, attachés à une Finlande autonome, allant vers l’indépendance, alors qu’elle était encore sous domination russe – je parle de l’avant Première Guerre mondiale…)

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Pour quelqu’un qui connaît un peu la Finlande, et qui aime la peinture, l’Ateneum (le musée d’art d’Helsinki) est un repère important.
Y sont représentés notamment des peintres finlandais fantastiques, comme les deux pré-cités, mais aussi Oskari Paatela, Helene Schjerfbeck… La liste pourrait se poursuivre, elle se poursuivra en ce blog, très vraisemblablement.

Ce qui caractériserait peut-être les peintres nordiques, et surtout les finlandais, c’est une certaine lumière. À la fois forte et tamisée, comme insaisissable, fugitive. Reconnaissable entre toutes cependant. (Et chaque pays a sa particularité ; la lumière finlandaise n’est pas la même que celle des tableaux norvégiens, ni suédois…)

Celle d’Edelfelt est liée aussi à la mer, la côte du sud du pays, au large peut-être d’Åbo (Turku) ou Ekenäs (Tammisaari).
J'en reparlerai, j’en reparlerai.

NB

Mais à Paris, aussi, il y a de belles lumières.
Allez...

NB - Du pont du Carroussel. 

Edelfelt, Paris… De quoi se plaint le peuple ?

NB


Nils Blanchard


jeudi 21 avril 2022

L’automne de la neutralité ?

Il y a ce débat, en ce moment en Finlande, en Suède, sur l’entrée éventuelle dans l’OTAN et donc la fin de la neutralité de ces deux pays.

NB - Bohuslän

Les débats dans les deux pays nordiques, comme dans leur coopération militaire, vont de pair. Mais il semble que la Finlande soit plus encline à entrer dans l’OTAN que la Suède. Ainsi a-t-on vu la dirigeante du parti finlandais du Centre, Annika Saarikko, dont la formation était jusque là plutôt hostile à une alliance militaire, évoluer sur le sujet et s’exprimer en suédois pour enjoindre le royaume voisin à ce que les deux pays avancent le plus possible main dans la main vers une entrée dans l’OTAN (Göteborgs Posten, 9 avril 2022).

Une certaine différence – divergence ? – sur le sujet, entre les deux pays, s’explique assez facilement (outre leurs différences démographiques, culturelles…) par l’histoire et la géographie.

La Finlande est voisine directe de la Russie, et a subi notamment la guerre d’hiver en 1939-1940. Puis il y a eu cette période de « finlandisation » imposée par les suites de la guerre de continuation.
La Suède, elle, a maintenu sa neutralité pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui ne l’a pas empêchée de secourir matériellement, par l’envoi de volontaires (et seulement ainsi – le premier ministre Per Albin Hansson ayant refusé aux troupes alliées de traverser la Suède pour secourir la Finlande contre Staline) la Finlande pendant la guerre d’hiver.

La neutralité de la Suède pendant la Seconde Guerre mondiale, sa conduite vis-à-vis de l’Allemagne et de l’URSS, ces thèmes mériteraient d’être approfondis, et certaines conclusions à nuancer. On y reviendra sans doute ; ce n’est pas tout à fait le thème de ce billet.

NB - Bohuslän

Ce sur quoi je voulais insister ici, c’est sur la différence entre neutralité et pacifisme.

La Finlande comme la Suède ont, à peu près toujours, tenté de maintenir des armées relativement puissantes, bien que pays neutres. En avril et mai 1940, la Suède avait décrété une mobilisation générale, qui a vraisemblablement participé à convaincre Hitler de ne pas l’attaquer.

Au cœur de ce sujet, et d’abord géographiquement, il y a la question des îles Åland. Non seulement elles sont neutres (avec charge à la Finlande de les défendre éventuellement), mais elles sont aussi démilitarisées.

NB - Pas Åland, mais le Bohuslän

On reviendra sur ce sujet de la neutralité et du pacifisme, que j’ai illustré là d’images de l’automne dernier, à la suite du billet (5 avril) sur la propagande et Sovjet-Estland.
Sommes-nous vraiment à l’automne de la neutralité de la Baltique et du golfe de Botnie ?


Nils Blanchard


dimanche 17 avril 2022

Sanningen / la vérité (lectures)

Autre livre commencé à peu près à l’instant où je l’ai reçu : Le Chaudron fêlé, de Michel Lamart (A l'index, Les Plaquettes). (Lien avec les Suédois d’ailleurs ? Je sais qu’il y en a, personnels…)

La Vérité, Le Bernin, Galerie Borghèse, Palazzi Bernini (Rome)

C'est un livre d’aphorismes qui tournent autour de la parole. Quelque chose de paulhanien, là-dedans, cité d’ailleurs ; mise en abyme incessante du langage. La première partie s’appelle « Fêlures ». On y lit (page 8) :

« (9) La parole tendue décoche les mots, telles des flèches sur le fil vibrant du discours.

(10) Flèche et cible se confondent dans la parole. »

Eh ! La sculpture du Bernin reprise par Sanja Särman (billet précédent). Même si, peut-être, pour ce qui est de Svar till D, de Wera von Essen, on pourrait jouer avec la parole : « La parole tendue décoche les maux... »

Mais dans Le Chaudron fêlé, un peu plus loin page 9 (aphorisme 18) :

« Parler, c’est jouer avec la parole sans jouer avec les mots. »

Puis quant à la politique, la géopolitique… Entendu beaucoup parler de vérité (sanning-en) ces derniers temps, dans mes lectures suédoises surtout, et notamment en lien à l’actualité.

Dans le Göteborgs Posten du 8 avril dernier, Britt-Marie Mattsson titre sa chronique : « Förnekelsen ökar den ryska skuldbördan » (« Les démentis augmentent le poids de la culpabilité de la Russie »).
Et de commencer ainsi, paraphrasant vaguement, au passage, Staline : « Endast för dem som dödats är kriget över » (« La guerre n’est finie que pour ceux qui sont morts »). Puis d’expliquer comment « Rysslands ledare använder sig av begreppet “fake news” för att sprida lögnen om att allt fasansfullt som går att se är påhittat och riggat » (« Les autorités russes se sont emparées de l’expression “fake news” pour répandre cette vision mensongère selon laquelle toutes les horreurs qu’on nous montre seraient montées, construites de toute pièce »).

Elle arrive à cette conclusion : « Ukraina är inte ett unikt krig. Men sättet på hur brotten dokumenteras bär den nya teknikens prägel. Satellitbilder, mobilfilmer (…)
Krigets första offer är inte, som förr, sanningen. » (« La guerre en Ukraine est unique. Mais la manière avec laquelle les exactions sont documentées porte l’empreinte des techniques nouvelles. Images satellites, films sur smartphones (…)
Contrairement à ce qui se passait autrefois, la première victime de la guerre n’est plus la vérité. »)

Sanningen, donc. Wera von Essen, Svar till D, page 40 :

« Sanningen är, det som ingen säger, men det som han sa till mig i en dröm, bara ett dygn efter att han lämnade mig, han kom till mig i drömmen, ljus, som i psaltarpsalmernas öppningar mot mörkret, han log, åt oss, vårt drama, sitt eget, och han sa Det är din egoïsm som gör dig olycklig, Du måste börja leva för andra, och sanningen är det man inte säger (…) »

(« La vérité est ce que personne ne dit mais ce qu’il m’a dit dans un rêve, un jour seulement après qu’il m’ait quittée, il est venu me voir dans mon rêve, lumière, comme les ouvertures du livre des Psaumes contre l’obscurité, il souriait, à nous, notre histoire, la sienne, et il a dit C’est ton égoïsme qui te rend malheureuse, Tu dois te mettre à vivre pour les autres, et la vérité est ce que nous ne disons pas (…) »)

La Vérité, Le Bernin, Galerie Borghèse, Palazzi Bernini (Rome)

Sourit-elle, cette Vérité du Bernin ? Il semble. Comme l’ange à la flèche de sainte Thérèse, ou l’ange (au sourire), de Reims (où vit Michel Lamart), ange dont je reparle bientôt ; on verra pourquoi. (En ces temps de suspense…)


Nils Blanchard


jeudi 14 avril 2022

Que voit-on ? (Lectures)

J'ai évoqué les « métamorphoses » de la propagande, au précédent billet. Hésité à mettre Kafka dans les « étiquettes ». Mes lectures en effet, en ce moment, tournent autour de lui. Autour, aussi, d’une auteure dont j’ai beaucoup aimé il y a quelques années En debutants dagbok (Le journal d’une débutante) : Wera von Essen.

Illustration de Sanja Särman

En l’occurrence, j’ai lu ces derniers jours Svar till D (Réponse à D) de 2021 (éditions Polaris).
(Au passage, la traduction en français du titre de ce livre passablement mystique pourrait donner D pour Dieu… Ça ne marche pas en suédois…)
Un lien entre Kafka, Wera von Essen ? Les Suédois d’Estonie ? (Outre que Wera von Essen est issue, si j’ai bien compris, d’une famille germano-balte…) Je ne crois pas.

On peut imaginer évidemment que le destin concentrationnaire d’Elmar Krusman ait eu quelque chose de kafkaïen.
Cette rencontre avec cette femme employée à la mairie de Bisingen – témoin qui est appelée K, dans mon livre (pages 88-92, 133-137)… comme le personnage principal du Château, mais c’est un hasard complet –, dans des pièces chauffées (en plein hiver), lui qui venait d’un univers vraisemblablement très froid... Ehrmanntraut, la brute SS dont on a déjà parlé, l’accompagnait quand il a été mené dans un bâtiment de la mairie pour rencontrer l’employée pour lui coudre un vêtement (E. Krusman était tailleur). Que lui avait dit Ehrmanntraut ? « Tu feras ce qu’elle voudras » ?


(Dans Le Château, K se retrouve au début du roman dans le froid et la neige, affaibli, on ne sait trop pourquoi, obligé de demander l’hospitalité à des villageois pas particulièrement avenants…)

Quant à K et Elmar Krusman, c’est un peu l’inverse de saint Martin donnant une partie de son manteau à un pauvre. C’est au contraire le pauvre, misérable au point qu’on essayât de lui ôter toute humanité, qui a cousu un manteau pour la femme de l’« autre monde ».

Elle s’en est souvenu, près de cinquante ans plus tard, un peu par hasard ; elle a dit à l’historienne Christine Glauning qui venait l’interroger (mon livre, pages 138-139) :

« Et là, il m’a demandé, je veux parler d’Ehrmanntraut, si j’avais quelque chose à coudre, il m’a dit qu’ils avaient un si bon tailleur, dans le camp. A cette époque- là, on n’avait pas vraiment de gros moyens, pendant la guerre, alors j’ai dit que oui, j’avais bien quelque chose à coudre. Et puis après, il est arrivé avec le tailleur, enfin le prisonnier, il est venu à la mairie. Il a pris mes mesures. »

(...) 

« Et ensuite il me l’a fait essayer, c’était un suédois, ça je m’en souviens encore. Alors qu’il me faisait essayer le vêtement, il était tout tremblant et mal assuré. Et peu de temps après, j’ai appris qu’il était mort. »

Château de Hohenzollern, vu de l’ancien camp de Bisingen. NB

Wera von essen, dans Svar till D se demande (pages 29-30) :

« En gång talade vi om spjutet i hjärtat (…) han märkte inte till att det fanns en tillvändhet i mitt sovrum, han tog av sig sin tröja så att det hamnade på mitt altare, han såg ingenting, vi såg ingenting, jag undrade om vi skulle börja se varandra så småningom (…) »

« Une fois, on a parlé de la lance dans le cœur (…) il n’avait pas remarqué qu’il y avait ce centre d’intérêt dans ma chambre, il retira son pull qui atterrit sur mon autel, il ne voyait rien, nous ne voyions rien, je me demandais si nous allions commencer à nous voir, petit à petit (…) »

Le Bernin, l’Extase de sainte Thérèse, Rome

Qu’est-ce que l’employée de mairie a vu du déporté ? Qu’est-ce qu’Elmar Krusman a vu d’elle ? Leurs regards se sont-ils seulement croisés ?
(Ils avaient le même âge.)


Nils Blanchard


dimanche 10 avril 2022

De la propagande, vérité, mensonge...

En ces temps de mensonges, de dénégations robotiques, je suis tombé, à la suite de mes recherches dans mes photos d’Hapsal du billet précédent, sur ceci, de 2018.



La vérité, le mensonge, thème infini bien sûr. Les historiens ont cet avantage (limité, mais…) de passer après la vague, d’étudier ce que les passions, théoriquement, ne troublent pas, ou beaucoup moins. C’est de l’étude à froid.

Sovjet-Estland, n° 1, 17 octobre 1940, page 1

Il ne sera guère besoin de tout traduire de ce texte qui souffre de quelques erreurs de suédois. Titre, première colonne, deux premiers paragraphes :

Les Esto-Suédois vont à la rencontre d’un nouvel avenir, plus heureux

Alors que dans le tumulte guerrier des puissances impérialistes et capitalistes les vies de centaines de milliers de gens s’abîment, que les gens dans les pays occidentaux ont faim, que les denrées alimentaires, même dans les pays qui furent autrefois les plus riches sont rationnées, les peuples de l’Union soviétiques peuvent eux vivre dans le calme le plus profond et poursuivre leur formidable travail de construction du socialisme.
L'Estonie elle aussi a réussi à se sauver de la guerre impérialiste et de ses influences grâce à la sage politique de paix de l’Union soviétique et à la force de l’Armée rouge.

Est-il nécessaire de rappeler qu’en octobre 1940, l’Estonie a été intégrée de force dans l’Union soviétique (comme les autres républiques baltes) à la suite du partage du « gâteau » des clauses de l’abracadabrantesque pacte germano-soviétique ?

La réponse à la propagande russe des Esto-Suédois fut, dans les quatre années qui ont suivi, l’émigration des neuf dixièmes de la communauté vers notamment la Suède.

Étude à froid, l’histoire, et en se défiant – je crois m’en être un peu expliqué dans Elmar Krusman – des témoignages mal étudiés, mal assimilés… cela peut paraître aride… froid, oui.
Ne pas perdre de vue que derrière les chiffres, les listes, voire même les métamorphoses de la propagande, il y a, il y eut, des personnes.

« À suivre »… était-il promis à l’article du 5 avril.

Les invasions, les votes, se suivent, ne se ressemblent jamais complètement. L’histoire ne repasse pas les plats ; pas tout à fait les mêmes, en tout cas ; il y a toujours quelqu’un en cuisine qui change quelque chose.

Les lieux, aussi, se maintiennent parfois étrangement intacts. Et cette silhouette qui cherche quelque chose dans un sac : qui, quoi ?

NB

Ces personnes – personnages féminins, notamment – que montre magnifiquement Ingmar Bergman au fil de ses films.

Le blog Alluvions (en lien de celui-ci), que j’ai découvert récemment, évoque de manière curieuse ce film, pris dans une série (au départ aléatoire) de rapprochements entre la Pologne et la Suède…

(Dans ce blog, on parle aussi de Philippe Jaccottet, Lorand Gaspar, Tomas Tranströmer, Henri Thomas, Ernst Jünger, Franz Kafka, Maurice Genevoix, Bernard Maris, Hubert juin, Pierre Leyris… même André Dhôtel... et je n’ai pas tout exploré !)

(Un hasard à joindre au dossier : le passage d’Elmar Krusman par l’atroce camp de Stutthof (Dantzig) en septembre 1944.)


À suivre……………. (Mais je ne le marquerai plus…)


Nils Blanchard


samedi 9 avril 2022

L’en-tête de ce blog ; le Garçon au poisson


Il est temps de dire quelque chose de ce Garçon avec un poisson, qui illustre ce blog.
C'est totalement par hasard que je suis arrivé à m’intéresser à ce thème sculptural, dont on trouve relativement facilement sur le net d’autres exemplaires.

NB - Hapsal (Haapsalu), été 2018

Me promenant à l’été 2018 dans les rues de Hapsal (Haapsalu), en Estonie, en quête de renseignements sur le passé d’Elmar Krusman, je suis tombé sur cette ancienne place du marché suédois. Hapsal était en effet un centre de la communauté suédophone en Estonie. Et au cœur de cette place, cette statue, somme toute charmante, de garçon au poisson, que l’on doit au sculpteur Juhan Raudsepp.

Hapsal (Haapsalu), été 2018; la cocarde commémore les 

100 ans de l’indépendance (la première) de l’EstonieNB



Hapsal (Haapsalu), été 2018. On voit sur cette dernière photo au moins

                                deux autres poissons aux pieds du garçon. NB


Ce thème du garçon au poisson, d’où vient-il ?

On retrouve beaucoup ces sculptures, dans des villes d’Europe du Nord notamment. L’association du garçon et du poisson est-elle à lier au symbole chrétien du poisson ? Ou est-ce l’enfant – enfant de pêcheurs ? Beaucoup de Suédois d’Estonie étaient aussi pêcheurs… – à qui l’on doit donner le plus d’importance ? Son âge, sa bonne santé, son sourire – du moins sur cette œuvre – en faisant quelque symbole de bonheur, de prospérité, étant un reflet de l’optimisme d’une communauté.
Y a-t-il quelque chose à rapprocher de quelque conte maritime ?
Une autre explication encore ?

Optimisme ? La sculpture, toujours là, a été installée en 1936. À cette époque, les cieux commençaient à sérieusement s’assombrir pour les Esto-Suédois.
Dans un premier temps de son indépendance, la République d’Estonie avait alloué aux minorités (Russes, Allemands, Suédois, Juifs…) une certaine autonomie (pages 20 – 25 de mon livre).
Possibilité de publier, d’ouvrir des écoles, des associations, d’utiliser leur langue avec l’administration dans les communes où ils étaient majoritaires… Les Esto-Suédois vont ainsi partager un représentant au parlement avec les Germano-Baltes. Aussi, une réorganisation des terres leur permet de bénéficier de petites fermes. Le point d’orgue de cette époque est sans doute la création du lycée suédois de Hapsal.

Je reparlerai aussi de ce qui se passait de l’autre côté du Golfe, où la minorité suédoise, en Finlande, était beaucoup plus importante. Il y a eu d’ailleurs des relations étroites entre le deux minorités, notamment dans le domaine de l’éducation.

Mais ensuite, un raidissement national de l’Estonie, du fait notamment de sa situation précaire entre les deux totalitarismes, entraîne une série de mesures vexatoires à l’encontre des minorités, notamment linguistiques. On parle d’« estonisation » – mot qui n’a rien à voir avec la « finlandisation » dont on entend parler ces jours-ci, à propos de débats sur la neutralité de la Finlande et de la Suède (voire de l’Ukraine).

Un numéro de juin 1936 de Kustbon (l’ « organe pour les Suédois en estonie ») est particulièrement révélateur de cette période, et de l’état d’esprit pacifique des Esto-Suédois, essayant de s’adapter aux nouvelles contraintes, fêtant en même temps les premiers diplômés du lycée.

On remarque que le journal emploie les noms estoniens (Haapsalu pour Hapsal), comme le leur impose l’« estonisation » nationale…

Mais peut-être est-ce simplement un hasard si c’est un garçon avec un poisson qui a été choisi pour orner le marché suédois.
Très récemment, sortant du « NHC », le nouvel hôpital civil de Strasbourg (la section ophtalmologie), j’en ai vu un autre, d’enfant au poisson.
Étrange clin d’œil.

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Nils Blanchard


mardi 5 avril 2022

De la propagande… Sovjet-Estland

À la suite du dernier billet sur la revue 84, je peux tirer une autre publication de ma poche, tout aussi étrange, mais bien différemment : Sovjet-Estland, suédophone.


Elle tenta de remplacer auprès des Esto-Suédois (mais ses axes d’édition, son « marché potentiel », comme on dirait peut-être de nos jours, étaient tellement improbables…) une autre publication : Kustbon (qui existe toujours à Stockholm). On en reparlera, là encore…
Avec 43 numéros, généralement sur 4 pages, d’octobre 1940 à août 1941, elle a couvert une grande partie de la « Première occupation » qu’a connue d’Estonie – et notamment les zones esto-suédoises – par les Soviétiques.
Par leur propagande, et cette revue notamment, les envahisseurs soviétiques tentèrent de transformer les Esto-Suédois en une vitrine à destination des opinions occidentales, en premier lieu la Suède. Cette tentative s’est heurtée à l’incompatibilité foncière entre le projet soviétique et la quasi-totalité des Suédois d’Estonie, qui avaient plusieurs griefs contre l’occupant de l’Est.
D'abord, certaines zones côtières ou insulaires habitées par les Suédois d’Estonie ont été évacuées par les forces soviétiques à des fins stratégiques et militaires. Puis on remettait en cause leur mode de vie, en les privant de leurs domaines agricoles. Cela était aggravé par le quasi anéantissement de leur autre activité qui était la pêche, la navigation étant sévèrement limitée par les autorités d’occupation. Enfin, la soviétisation allait à l’encontre de la mentalité, la culture, de la petite communauté esto-suédoise (attachée à la religion, traditionnelle et résolument autonome).

(N. Blanchard, Elmar Krusman, L’Harmattan, 2021)

Ainsi, après une « première occupation » soviétique de l’Estonie (juin 1940 – été 1941), les Suédois d’Estonie, sous la « Deuxième occupation » (nazie), ont profité d’opportunités diverses pour quitter en masse leur pays, subodorant peut-être qu’une « Troisième occupation », soviétique à nouveau celle-là, succéderait à celle des Allemands propulsés par le plan Barbarossa. Les neuf dixièmes d’entre eux sont partis, en grande majorité vers la Suède.

J'ai eu l’occasion (et l’honneur, et le plaisir…) d’évoquer l’histoire de la revue dans le fort bel amphithéâtre de l’Inalco, lors du IVème Congrès de l’APEN.

On a accès aux numéros de cette revue grâce au site de Glenn Eric Kranking, qui a fait un de très intéressants travaux sur ce sujet. (Gustavus Adolphus College (Minnesota).)

Sovjet Estland est une mine d’article d’une propagande plus ou moins habile, naïve, mâtinée d’informations pratiques (sur des événements culturels, certaines évolutions législatives concernant par exemple la pêche…) Le suivi de l’actualité internationale y est souvent abracadabrantesque (mais sans la dimension poétique, rimbaldienne, que cet adjectif contient...) On y reviendra !

Bon, mais il se trouve que pour peaufiner mon intervention à ce congrès, je passai quelques jours cet automne dans le Bohuslän. Aux antipodes de ce printemps de guerre.

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À suivre...


Nils Blanchard


vendredi 1 avril 2022

Aucun rapport, quoique… Le lieu, l’enfance, la guerre

Cela n’a aucun rapport (avec les Suédois d’Estonie et d’ailleurs), quoique… En fin d’année dernière, la Route inconnue, association des amis d’André Dhôtel, a publié son cahier numéro 19, consacré à la revue d’après-guerre 84.

Récemment, le site Ent'revues s'en est fait l’écho.
André Gide, entre autres, a participé à 84.
En période de guerre en Ukraine, cela ramène à André Dhôtel qui, dans la maison de sa cousine au Mont-de-Jeux (en face du Roche de Rimbaud dans les Ardennes), avait écrit un poème étrange, en 1952. Étrange, parce que si la guerre apparaît un peu (mais en arrière-plan) dans l’œuvre de Dhôtel, on ne trouve pas de raison à son évocation à ce moment. Était-ce simplement qu’en vacances sur des lieux où il avait été dans son enfance, et dont la guerre l’avait tenu éloigné (la première notamment), des souvenirs ont mêlé en lui ces trois thèmes : le lieu, l’enfance, la guerre ?

Ballade des dommages de guerre

Ah! mes amis quel beau ciel!
Mais tout d'un coup plus d ciel
Ni de gens ni de maisons
Les abeilles sans miel
Ont empli tout l'horizon.

Elles ont tué une église
Un berger, deux peupliers, trois paresseux
Qui jouaient aux cartes et perdaient leurs mises
Les enfants ont fermé les yeux.

Il y avait selon les statistiques
Cent trois soldats, mille roses et deux grands trains
Qui ont dû partir de bon matin
Pour des raisons politiques.

Les roses sont parties avec le jardinier,
Les trains emportaient leurs fardeaux immenses
Les soldats n'ont pas oublié les papiers
Qui justifient l'éternelle absence.

Prince, excusez nos maladresses
Désormais nous discuterons moins vivement
Seigneur ne partez pas sans laisser d'adresse
Et ressuscitez d'abord les enfants.

André Dhôtel, 19 septembre 1952.
(Bulletin de la Route inconnue, n° 14.)


On a vu dans ce blog qu’au travers notamment de cette revue 84 (le peintre écrivit dans le numéro 12), Dhôtel avait noué une amitié avec Camille Claus, qui envoya cette lettre illustrée à La Route inconnue.
En attendant, le Mont-de-Jeux est un endroit magnifique dans le sud de ces Ardennes qui ont été au cœur des conflits successifs des dix-neuvième et vingtième siècle (guerre de 70, 14-18, 39-45…)
On en a un écho dans l’entretien que donne François Dhôtel, le fils de l’écrivain, à Roland Frankart (Mont-de-Jeux), dans le cahier sur 84.

NB - Mont-de-Jeux



NB - Mont-de-Jeux

Cette petite brume est du matin, comme pour faire la toilette du jour qui se lève.

Hier, au Struthof (fameuse visite de classes), le camp était dans un brouillard complet quand nous arrivâmes. À peine distinguions-nous les formes de la flèche. Perçant cela, près de l’ancienne maison du commandant, la lueur de la « lanterne des morts ».


Errata

(J'en profite pour revenir sur mon dernier billet, cette photo de SS devant l’auberge du Struthof dont je parlai. J’ai vu qu’un article de Loïc Lutz, de décembre 2019, «  La vie et le quotidien des bourreaux du camp de concentration de Natzweiler-Struthof » qui paraît sérieux, présente l’image datée de 1944 (et donc pas de 1943).) – Blog Hypotheses. –


Nils Blanchard


April. Mais…

Dates, qui reviennent en ce blog. J’ouvre The Waste Land  ; évidemment : 1921-1922. «  A pril is the cruellest month, breeding / Lilacs out ...