vendredi 29 décembre 2023

Miscellanées, Auvergne et autres blogs, et chats, et neige, 5

L'hiver, donc.
Attention, Kafka n’est pas très loin.
« Écrire doit être la hache qui brise la mer gelée en nous. » 

NB - Auvergne, printemps 2023

Mais c’était de Marie-Hélène Lafon dont on parlait au début de cette série de billets plus ou moins à partir de l'Auvergne ; j'ai lu récemment Le roman du fils (Buchet/Chastel, Libella, 2020).
M'y a touché un détail, vers la fin (je trouve que c’est là que le roman devient intéressant, quand il ne parle plus du fils, mais de la mère comme indigne, Gabrielle, qui préfère Paris – simplement Paris, apparemment – à… tout le reste.
Il est question d’un de ses voisins d’immeuble (pages 158-159) ; le récit se fait via une concierge :

« (...) l'hiver dernier, heureusement qu’il avait fait très froid à ce moment-là, le locataire était mort depuis trois jours, dans son lit, quand elle l’avait trouvé, son chat aussi était mort, elle ne disait pas crevé, et depuis plus longtemps que ça, il l’avait arrangé comme une momie (…) comment imaginer ça, un homme qui présentait si bien et avait monté ses cinq étages jusqu’au dernier jour. On frôlait des précipices glacés de solitude. »

Peut-être. Pas forcément… Ça sonne un peu faux.

Mais, bon. Ça m’a ramené à autre chose.

Une certaine sauvagerie-solitude, dans une grande ville. L’anonymat de Paris n’est pas si isolant toujours ; il peut être protecteur, disait-on là...

Ça ramène à autre chose, donc, une des rares personnes qui rapprochent les thématiques de ce blog : Thierry Maricourt. J’en reparlerai plus longuement. Un de ses recueils de poèmes, Miel de neige (La Passe du vent), est préfacé par Jean-Claude Pirotte. Un de ses récits, L’Excuse de la vie / L’Arbre, le doute (Syllepse), par Pierre Drachline. Or tous deux ont été membres d’honneur de l’Association des amis… d’André Dhôtel. Et par ailleurs, Thierry Maricourt anime un site formidable sur la culture des pays nordiques. C'est là, mais je n’arrive toujours pas à le mettre parmi la liste des sites en lien permanent au mien. Ces listes en lien, vous savez, c’est à droite, en haut, sur ce blog… Trop à droite pour lui ?


Or Thierry Maricourt peint très bien cette « sauvagerie solitude », dans Le chevreuil (SCUP, 2018), pages 255-256 :

« Il ne se lie pas, bien que son allure, cheveux blanc et visage radieux, incite à lui sourire aimablement. Les villes sont peut-être peuplées d’innombrables individus à son image, éjectés du cours tumultueux de l’Histoire pour une quelconque raison, qui ont trouvé une cachette où se réfugier, des moyens de subsistance à la limite de la légalité, et qui survivent sans attirer l’attention sur eux.
Parfaitement intégrés, apparemment, dans le paysage social, on ne les retrouve qu’après leur mort, lorsque les voisins se plaignent de l’odeur infecte qu émane d’un appartement (…) On les retrouve (…) un chat maigre et momifié à leurs pieds. »

C'est l’auteur lui-même qui m’a envoyé ce beau livre, après avoir été le premier à écrire sur mon Elmar Krusman ; les deux livres avaient en commun la Seconde Guerre mondiale.

Couverture: Jean-Félix Annic

Un peu solitaire-sauvage moi-même ?
Si j'avais un peu plus de temps... La tentation d'Argos... Me retirer dans l'un de ces lieux à cent lieues de tout ou presque.
Peut-être le nord de la Suède de Gabrielle (tiens…) Björnstrand (blog Gabis annex, 11/12/2023) :

« Enorma mängder snö. Och ingen vind. Snön ligger kvar i träden och skapar en skulpturpark utanför mitt fönster. Jag har varit ute i stort sett varje dag med sparken (…) Och så åkte vi till kyrkan i lördags, jag och grannarna. Julpsalmer med kören och allsång och glögg. En gitarrist sjöng solo. Bra stämning, mycket barn. Alla var där.
Mitt liv här uppe är mycket enkelt och naturnära, med P2 som i stort sett enda dagliga underhållning. (…) »

« Énormes quantités de neige. [On a déjà cité ce blog, en lien de celui-ci (à droite, à droite…) Sa tenancière vit très au nord de la Suède.] Et pas de vent. La neige reste sur les branches et ça crée un parc de sculptures, devant ma fenêtre. J’ai été dehors à peu près chaque jour avec le spark*(…) Puis nous sommes allés à l’église le samedi, avec les voisins. Chants de Noël avec chœurs et tous chantant, et vin chaud. Un solo de guitare. Bonne ambiance, beaucoup d’enfants. Tout le monde était là.
Ma vie là haut est très simple et proche de la nature, avec P2** comme à peu près la seule distraction. (…) »

* Vous souvenez-vous ? On a déjà évoqué cet objet, sorte d’hydre de luge et de déambulateur.

** Une des radios nationales suédoises. (Programme n° 2.)

Mais gare, là, à ne pas se trouver dépendant du RSA, en ces jours étranges où des députés de droite ont fait passer un projet de loi à l’Assemblée pour obliger les chômeurs de longue durée à se prévaloir de recherches actives, formations, que sais-je…

NB - Auvergne, printemps 2023

Une chose est sûre : cette droite-là n’est pas gaulliste. « Imaginerait-on le général de Gaulle »… comme dit l’autre… fliquer ainsi des gens en difficulté ? D’abord, de Gaulle était chrétien. Puis il avait un certain sens de l’honneur. Ah, mais… ce terme risque de n’être pas compris par certains. De ma part : snobisme… intellectualisme?


Nils Blanchard

vendredi 22 décembre 2023

Retour sur l’enfance

On avait fini le billet précédent sur l’article d’Argoul (en lien de ce blog, page dédiée) sur Le tableau de Savery.


Autocitation de citation : « Le critique n’est pas une buse ; il évoque bien le problème posé par les derniers chapitres du livre de Martin Fahlén : La magie d’enfance s’est effacée ; ce tableau n’est plus le sien. Il est exposé en public. Son cadre amoureusement collé s’est fissuré, il a vieilli, comme l’auteur. »

Est-ce exactement cela ? Ce qu’on peut aussi regretter, et tenter de retrouver dans l’enfance, c’est une certaine pureté, en ce sens d’absence de corruption. J’enfonce une porte ouverte, encore faut-il s’entendre sur ce dont on parle exactement. Il ne s’agit pas d’honnêteté intrinsèque de l’enfant. Ce serait même plutôt l’inverse, chez un André Dhôtel, par exemple, avec Georges Leban, invétéré menteur, d’autres.
L'absence de corruption ne concerne pas là non plus celle du monde autour (même si…) Non, je veux parler d’une corruption (encore pourra-t-on dire que le terme est inadéquat) par soi-même : au-delà de la simple corrosion de l’âge, le travail de la mémoire et de la réflexion, leurs changements de cap. En l’occurrence, la mémoire a quelque chose de scientifique allant d’errement en errement, évitant parfois les écueils les plus récents (pas toujours).Un enfant n’a pas me semble-t-il (jusqu’à quel âge?) une mémoire aussi travaillée, et une réflexion, ça va un peu ensemble, aussi reculée. Est-ce une « magie » ?

Hessel Miedema, capture d'écran

Et là arrive soudain la notion de paradis. Elle me titille depuis quelque temps déjà ; je l’ai évoquée avec Peer de Smit. Et voilà qu’il y a eu – ce n’est pas fini semble-t-il – toute une série d’articles dans le blog Alluvions, en lien de celui-ci, sur l’enfer d’abord, mais aussi le paradis. On y reviendra... Les murs du paradis de l’enfance (le paradis est d’abord un espace clos, me faisait remarquer Peer de Smit) sont cimentés de rêves, contes, naïveté (peut-être), illusions… Mais ils ne sont pas étanches, correspondant avec ce qu’il y a derrière, séculaire pour ainsi dire. Toujours est-il que, dehors, il faut être habillé. À l’intérieur, non. Adam et Eve, quand ils sortent du paradis, sont nus. Ils sont un peu comme ces personnages de Hessel Miedema.

Hessel Miedema, capture d'écran

Bon mais au Moyen Age, cependant, les choses étaient plus complexes : les morts sont nus au moment de la résurrection (premier étage du tympan ci-dessous), puis ils s’habillent pour aller au paradis (deuxième étage, gauche), restent nus s’ils sont jetés en enfer (droite).

Tympan de la cathédrale de Bourges. Capture d’écran

Les anges aussi sont habillés de longues tuniques. Le Christ, lui, est torse-nu.

Bon. Mais revient (il faudrait un autre mot, plus « fort », que « revenir ») ce thème de l’enfance parce que j’ai commencé de lire (entre autres…) Vapeurs d’enfance, que j’ai eu récemment, qui est paru récemment aussi, de Michel Lamart (éditions unicités, 2023). Ce livre est composé de beaux textes, personnels, comme des petites nouvelles instantanées, sur l’enfance de l’auteur (avec une dernière partie consacrée à des poèmes). On y reviendra vraisemblablement.

Couverture : Jérémie Lamart

Il y est question, page 82, de sommeil. Enfant, le lit du narrateur, au sommeil difficile, « craquait comme un gréement martyrisé par les vents de l’océan. (…) Je me débattais dans le noir absolu, jusqu’à ce moment délicieux et effrayant où, renonçant à l’épave du polochon, je me laissais couler dans l’abysse sans fond de la couche (…) »

Le sommeil est aussi ce qui nous relie à l’enfance. On n’y triche pas de la même manière. On y est peu corrompu « par soi-même : au-delà de la simple corrosion de l’âge, le travail de la mémoire et de la réflexion, leurs changements de cap ».
(Auto-citation de porte ouverte.)

La maladie, dans un sens, relie aussi à l’enfance ; je parle là en tout cas des petites maladies sans conséquences. C’est peut-être lié à ce qu’en disait Jacques Brenner : « Le seul avantage de la maladie, c'est qu'elle vous libère de ce que vous teniez pour vos responsabilités. »

Bizarrement, Julia Eriksson, en lien de ce blog, tombe malade juste avant Noël, un certain Noël familial, comprend-on, d’enfance, quoi.

« Men så, vakna klockan nollfyra av att kroppen skakar, frossa och feber, termometerns siffror sakta tickandes uppåt: 38,5 38,6 38,7. Och så besvikelsen och sorgsenheten följt av skulden. Varför kunde jag inte bara vara hemma och ta det lugnt i veckan? (…) En bild: jag liggandes i min ensamma etta på julafton ätandes en apelsin. »

« Mais alors, réveillée à quatre heures le corps tremblant, frissonnante et fiévreuse, les chiffres du thermomètre montant avec assurance : 38,5, 38,6, 38,7. Et là, la déception et la tristesse, suivies de la culpabilité. Pourquoi ne suis-je pas restée simplement à la maison, tranquille, cette semaine ? (…) Une image : je suis couchée dans mon studio solitaire le soir de Noël, mangeant une orange. »

Sorte de prison de la maladie.

(Au moins n’a-t-elle pas affaire, je l’espère en tout cas, à quelque sous-klamminette estampillée Château pour essayer de la culpabiliser davantage.)

God Jul ! Joyeux Noël !


Nils Blanchard

lundi 18 décembre 2023

Miscellanées, Auvergne et autres (et autres blogs), 4

Déjà décembre ; hiver depuis quelques semaines ; un coup de froid, un redoux, mais humide et gris... Lien avec l’Auvergne ? Aucun, sans doute. Si ce n’est une sorte de chamboulement des saisons (mais là bas, par exemple sur le Puy de Dôme, ça peut être simplement naturel).

NB - Auvergne, printemps 2023

Mais c’est que j’étais resté dans des thèmes d’été (puis d’automne, un peu) ces derniers temps, jusqu’à ces octets de fer du dernier billet, venus me poursuivre après un passage à Göteborg cet été.

On aurait presque envie de retourner plus de cent ans en arrière, via un documentaire sur le Göteborg Posten, où l’on voit notamment cette photographie de 1909. Là, les octets de fer étaient encore assez loin d’éclore.

Aron Jonason, Göteborgs Stadsmuseum, Enfants à Järntorget, hiver 1909

Les jeunes garçons ne passaient pas leur jeunesse rivés à des crétineries de réseaux sociaux. Étaient-ils plus heureux, plus malheureux ? Ils ressemblent quand même sacrément aux enfants d’aujourd’hui. C’est le décor qui a changé bien sûr. Puis, le noir et blanc.
Comme un cocon.

Il y a ce blog d’une Suédoise, si j’ai bien compris, qui s’est installée sur Åland avec ses enfants – en Finlande, donc ; et un peu en Suède parce que c’est très suédophone (svédophone devrait-on dire?) là-bas ; une sorte de lieu de métamorphose – un cocon peut-être. Les photos sur ce blog sont quasiment toutes en noir et blanc.
Elle s’appelle Ulrika Nettelblad. Dans un article d'octobre publié fin novembre, elle évoque des lectures.

« (…) böcker som lämnat avtryck på samma sätt som gamla pojkvänner, flickvänner kan göra – även om man inte älskar dem längre, så minns man tiden man gjorde det, ett märke i huvudet för alltid. » « (…) des livres qui ont laissé une impression à la manière de vieux petits/petites ami(e)s – même si on ne les aime plus, on se souvient du temps où l’on faisait ceci ou cela ; une marque en notre esprit, pour la vie. »

Parmi les livres qu’elle évoque, Här ruvar havet, Flora Wiström (Norstedts). On lit à son propos sur des sites de vente :

« Här ruvar havet utspelar sig under ett par vindpinade sommarveckor i Bohuslän. Ida är där för att hälsa på sin pappa, Tommy. Hon har precis blivit lämnad efter ett flerårigt förhållande men berättar ingenting. Det finns så mycket de inte pratar om.
Dofterna på platsen - tång, ljung, enesnår - gör det omöjligt för Ida att värja sig mot minnena. »

« Ici la mer attend [le verbe ruva est difficile à traduire : ruminer, couver…] se déroule au cours de semaines d’été venteuses dans le Bohuslän. Ida rend visite à son père, Tommy. Elle vient d’être quittée après une relation de plusieurs années, mais de ça elle ne raconte rien. Il y a tant de choses dont ils ne parlent pas.
Les odeurs – algues, bruyères, genévriers – empêchent Ida de se protéger de ses souvenirs. »



Ça nous ramène à l’article d’Argoul (en lien de ce blog, page dédiée) sur Le livre de Savery. Le critique n’est pas une buse ; il évoque bien le problème posé par les derniers chapitres du livre de Martin Fahlén : « La magie d’enfance s’est effacée ; ce tableau n’est plus le sien. Il est exposé en public. Son cadre amoureusement collé s’est fissuré, il a vieilli, comme l’auteur. »

Problème de cadres à nouveau. De gens qui partent ; de secrets qui perdent vie. Car certains secrets ne sont-ils pas comme vivants ? Quelque chose d’une autre vie.


Nils Blanchard


Triche : Eh, tire-au-flanc… tricheur, oui, que je suis : j’ajoute aux étiquettes certaines qui auraient dû figurer à un dernier billet de cette série, mais il n’y avait pas de place bien sûr… : Bill Murray, APHG, Natzweiler Struthof.

jeudi 14 décembre 2023

La ville aux octets de fer

Je vais finir par passer pour un emmerdeur, familièrement dit. Dans un certain sens, c’est plutôt réjouissant ; sous un autre angle : n’est-ce pas aussi la marque d’une avancée en âge ?


On parle d’intelligence artificielle. On pourrait finir par se demander si les deux termes du concept ne sont pas fondamentalement contradictoires.

Toujours est-il qu’il y a un péage urbain à Göteborg. Il prélève ce qui s’appelle une « taxe d’encombrement ». Un de ces trucs qui vous « tracent » quand vous passez quelque part, puis vous envoient une gentille (ou pas) lettre pour vous demander de payer le prix de votre « encombrement ».
Bon. Quoi à redire ? C’est la loi ; pourquoi ne pas s’y plier docilement ?

Mais… tout simplement parce que je me souvenais – j’ai eu un peu de mal à en retrouver trace – que les habitants de la ville, lors d’un référendum strictement légal et officiel, avaient refusé la mise en place de ce dispositif.
Un article de « Egis group » mentionne la chose (egis-group.com). Je cite :

« En dépit des avantages présentés par les programmes de péages, l'acceptation d'un péage routier est généralement faible, comme à Göteborg où, après l'introduction d'un péage urbain, cinquante-sept pour cent des répondants avaient voté contre lors d'un référendum en 2014. Cependant, le choix de poursuivre le programme de péage s'explique par le cofinancement de vastes programmes d'infrastructures dans et autour de la ville. »

J'aime bien ce « Cependant, le choix de poursuivre le programme de péage s’explique... »


Une remarque au début de l’article n’est pas inintéressante non plus : «  force est de constater que le prélèvement d'une redevance routière remonte à très loin ». Eh ! Croient-ils si bien dire ? Ne retourne-t-on pas aux divers octrois d’ancien régime qui sont en partie la cause, pour la France, de la Révolution ? Le mur des fermiers généraux, qui donna cet alexandrin : « Le mur murant Paris rend Paris murmurant… » Mur avec ses différentes barrières…

Mais je l’ai déjà dit quelque part : Paris emmerde les étiquettes (de prix, aussi?) Göteborg aussi, dans un sens (on le voit avec ce référendum) ; mais elle n’a pas fait 1789, 1830, 1848, 1871...

Et ce qui me fait râler là-dedans, c’est qu’ayant égaré une première lettre qu’on m’a envoyée, et ayant donc payé trop tard, je me retrouve avec une prune de 50 euros.
C'est que les octets de fer veillent. Ce sont un peu les pendants (pendants, à tous les sens du terme) des oiseaux de fer du bijou d’André Dhôtel, L’Île aux oiseaux de fer, paru en 1956 (Grasset).
Étrange – faussement étrange ? – petit roman, il met en scène Julien Grainebis (celui des contes du même nom), qui arrive au cours d’un périple sur une île dominée par des oiseaux métalliques, eux-mêmes mus par la mise en place de quelque nouvelle technologie incontrôlée. La chose aurait pu être sans incidence si ces inquiétants passereaux n’avaient eu le permis de tuer à discrétion, fondant sur la proie que tout déviant pouvait devenir. Ah, aussi, sur cette île, des psychologues étaient aux manettes autant qu’ils le pouvaient…


Bon, je ne vais pas divulgâcher. Mais le dénouement du livre me rappelle soudain la manière dont une connaissance de Göteborg justement, cet été, a réussi à renouveler ses papiers auprès de la police suédoise (c’est à la police qu’on fait ce genre de chose en Suède). L’aporie était kafkaïenne ; l’ordinateur, sur lequel une des policières qui l’avait reçue avait le regard fixé, n’en démordait pas : pour obtenir des papiers à jour, elle devait présenter des papiers à jour. Mais ses papiers étaient précisément (depuis peu) périmés. C’est pourquoi elle demandait à les renouveler. Mais non, pour obtenir des papiers à jour, etc.

Je ne vais pas divulgâcher. Mais cette connaissance a obtenu ses papiers…
Ça s’est terminé un peu comme dans le roman de Dhôtel. Lisez L’île aux oiseaux de fer, réédité il n’y a pas si longtemps chez Grasset (Les Cahiers rouges). Il pourrait être, de plus en plus, d’actualité.

Peinture de couverture: Camille Claus

Aussi, un peu par hasard, j’ai écrit un petit article dans le bulletin n° 37 de la Route inconnue (juin 2014), relevant d’étranges convergences entre les inquiétudes de Stephen Hawking et le roman d’André Dhôtel L’île aux oiseaux de fer. Il s’intitulait simplement « André Dhôtel et l’intelligence artificielle ». Ça partait de la lecture d’un texte de The Independent, le premier mai (2014), de quatre éminents scientifiques : Stephen Hawking donc, Stuart Russel, Max Tegmark et Frank Wilczek, sur les enjeux des progrès actuels dans ce qu’on appelle l’intelligence artificielle.
Oui, c’était avant qu’on en parlât autant.

Et les grévistes suédois gagneront-ils face à Tesla qui, semble-t-il, voudrait artificialiser à sa manière leur code du travail ?


Nils Blanchard


P.-S.: J'ai évoqué il y a près d'un mois, le 18 novembre (voir plus bas) des démêlés avec des supérieurs hiérarchiques indélicats. La mode, de plus en plus, est d'aller au travail même quand on est malade, contagieux, d'envoyer ses enfants encore souffrants, dans les établissements scolaires, pour bien propager les virus.
Coutume locale? On déplore en ce moment, dans les deux départements alsaciens, une forte contagion de grippe, de Covid, de que sais-je encore. 

lundi 11 décembre 2023

Vérité et mémoire / cadre, et Savery

Dans Till sannigens lov, traduit en français par le titre Paula, ou l’éloge de la vérité, de Torgny Lindgren, le personnage principal est « encadreur », réparateur de cadre – y a-t-il un autre mot ?


 
Je vais peut-être faire ici des liens hasardeux. Mais il me semble que dans le roman de Torgny Lindgren, le personnage principal est comme jugé, et mal jugé par la société ; il est trop pauvre pour avoir le droit de posséder un tableau coûteux de Nils Dardel.

Bon. J’ai eu vent d’une certaine actualité télévisuelle récente (je ne possède pas moi-même de télévision) et il semblerait, d’après ce que j’ai compris, que des émissions télévisuelles fissent désormais le procès de personnalités via la ressortie d’anciens « reportages ». Procès ? Lynchage… Lors que la présomption d’innocence est une des bases de l’état de droit !

Ce titre de Torgny Lindgren… L’éloge de la vérité. Qu’est-ce que la vérité ? Sur le plan judiciaire, dans un état de droit : c'est celle établie par un jugement dans les règles.

Là où l’on rejoint nos sujets, c’est que l’on retrouve cette citation de l’auteur (de ses Souvenirs, Acte sud, traduits par Lena Grumbach, 2013 – dans un article de Libération de Claire Devarrieux du 6 novembre 2013) : « Nous n’avons pas une seule mémoire, ai-je dit, nous en avons des milliards. Mes lecteurs et moi, nous n’avons jamais cru en la mémoire. » Moi-même n’irai pas jusqu’à dire que je ne crois pas en la mémoire, mais je me suis beaucoup interrogé sur elle lors de mon travail sur Elmar Krusman, notamment sur la mémoire des témoins.
Il s’agissait là il est vrai d’histoire, pas de justice. Mais les écueils, les problèmes, les précautions à prendre me semblent comparables.


Si je parle de cette histoire d’encadreur, c’est aussi parce que Le tableau de Savery, de Martin Fahlén (cf. la page dédiée sur ce blog) a fait l’objet d’un bel article – qu’il en soit remercié – d’Argoul, le 9 décembre.
Or dans ce livre, le narrateur et son père font office d’encadreurs du tableau familial, ce qui les rapproche. Un chapitre entier de l’ouvrage s’intitule « Le cadre ». Évidemment, le terme de « cadre » dépasse le cadre de son sens premier. On lit notamment, page 71 :

« Mais comment encadrer la peinture ? Cette question revenait régulièrement. Pour trouver le cadre idoine à notre tableau de Savery, Papa et moi visitâmes le Musée national à Stockholm, pour étudier différents cadres du début du XVIIe siècle.
Papa me demanda de faire des croquis à partir de ses commentaires sur les mesures, couleurs et formes. Nous étudiâmes longtemps un cadre après l’autre. Puis finalement il en trouva un beau, bien représentatif de la période, que nous décidâmes de copier. Ensuite, réaliser cet objet nous demanda un pénible et long travail.
Papa considérait qu’un travail manuel, en commun, serait parfait pour mon éducation. »


Je sors un peu du cadre : qu’on ait affaire à des puissants ou pas – qu’on puisse ou pas les encadrer (pardon…) –, éviter le lynchage, respecter la présomption d’innocence, le travail de la justice… ça constitue le cadre de l’état de droit.
Un Elmar Krusman, dans l’Estonie occupée par les nazis, a peut-être été dénoncé, pour communisme, peut-être aussi par quelqu’un qui croyait très bien faire, allez savoir… Arrêté, il a subi des parodies de procès, pour connaître finalement le destin que l’on sait.


Nils Blanchard

mardi 5 décembre 2023

Neige / tristes langages / Vit och svart

On passe du noir au blanc ; enfer ou paradis pour les uns, inversement pour les autres. Du coup pour illustration et sans grand lien au sujet, j’ai retrouvé cette photo de Paris. Je ne saurais dire, à l’instant, quand je l’ai prise. Peu importe.

NB

Des jours passés ont été un bombardement d’ignominie importée de Fricland : le rush du black
friday… Au moins un ministre, en France, discrètement peut-être, a-t-il été à l’encontre d’une certaine doxa à ce sujet, dans son gouvernement même vraisemblablement. Dans un article du Figaro du 14 novembre dernier (de Jérémy Pennors) – puis il y a eu une campagne d’information qui a fait jaser… –, Christophe Béchu de dénoncer le récit du Black Friday, « qui vante un modèle de surconsommation insoutenable (…) Je rêve d’un Green Friday où le récit de la sobriété, de la réparation, du réemploi serait mis à l’honneur comme contre-modèle de société. »

Dans le Göteborgs Posten, un article de Jonathan Andersson (le 28 novembre) narre l’histoire d’un vendeur du magazine Faktum, journal de sans-abris :

« Den mångårige Faktum-försäljaren står utanför Systembolagets lokaler i Nordstan. Fredag har bytts mot måndag och affärerna går marginellt bättre. Två försäljningar har gjorts under dagen – en till en gammal bekant och en till en äldre man. 
Fredagen, som hade lovat så mycket med både Black Friday och löning, var en annan historia. »

« Le vendeur de Faktum, avec derrière lui ses années d’expérience, se tient devant la boutique du Systembolag à Nordstan. On est lundi, vendredi est passé, et les affaires vont un tout petit peu mieux. Il a pu faire deux ventes dans la journée : une à un habitué, une à un homme assez âgé.
Vendredi, qui promettait tant (Black Friday et jour de paie), ça a été une autre histoire. »

En gros, ce vendredi noir, il n’a rien vendu.
(Nordstan est une grande galerie (couverte donc) au centre de Göteborg, contenant boutiques, restaurants, accès aux gares…
Le Systembolag est la chaîne monopolisant la vente de l’alcool en Suède, contrôlée par l’État.)

NB - Alsace

Dieu sait que je ne suis pas opposé à la culture anglo-saxonne – anglaise, américaine… mais on peut légitimement subodorer que l’usage incontrôlé, la frénésie, voire l’incontinence de l’usage (avec l’accent français plîîîîseuh) de termes anglais, soit la marque d’un relâchement intellectuel.
Ainsi des publicités pour attirer des candidats aux concours de professeurs, récemment en France, lâchant comme une trouvaille le mot « challenge »…

Dans un article encore de novembre (le 30 novembre) de Krickelins, l'auteure du blog d’écrire :

« Jag vaknar, ligger och skruvar mig, går upp och kissar och försöker sedan blunda igen. Det är svårt. Jag tänker på mina listor och leveranser. Sedan tänker jag på träning. Därefter tänker jag på att jag inte får bli sjuk och på att alla runt om som är sjuka. Hur ska jag värja mig?
Räknar på fingrarna. Hur många timmars sömn har jag fått egentligen?
Klockan är fem när jag ger upp, stiger upp ur sängen, dra på varm tröja och smyger nerför trappan mot dagens första kaffe. Utanför kör plogbilen. Fram och tillbaka. Fram och tillbaka. Ännu mer snö. (…) »

« Je me réveille, reste encore un peu au lit, nerveuse, me lève, vais faire pipi, essaie de fermer les yeux à nouveau. Ce n’est pas facile ; je pense à mes listes, mes livraisons. Puis je songe à faire du sport. Puis je me dis qu’il ne faut pas que je tombe malade avec tous les gens malades autour.
Comment vais-je m’en préserver ?
Je compte sur mes doigts : combien d’heures de sommeil, réellement ?
Il est cinq heures, je me lève, sors du lit et mets un pull chaud, vais doucement en bas prendre le premier café du jour. Dehors le chasse-neige. Qui va, qui vient. Qui revient. Toujours plus de neige. »

Ça, c’est dans le Bohuslän. Thomas Nydahl évoque aussi à peu près au même moment la neige en Scanie, qu’il juge « infernale » (parce qu’il est âgé et malade).

Et même en Alsace où c’est devenu si rare, il y a eu un petit tapis de blanc.

Mais voyez comme on retombe sur ses pattes : elle se lève à cinq heures. Vous y avez pensé, n’est-ce pas ? Il est cinq heures, Paris…


Nils Blanchard

samedi 2 décembre 2023

À Stockholm, à Gammalsvenskby / ici ailleurs

Un des intérêts (ou… l’intérêt?) d’internet est d’avoir accès, bien sûr, facilement à des nouvelles, des réclames, presque des quotidiens (pas les journaux spécialement ; les gens ne les lisent plus paraît-il) du monde entier.

 

En l’occurrence, via les liens de ce blog, on tombe sur une réclame (sur le site de la SOV) pour une journée au musée de l’histoire de la marine, à Stockholm, consacrée aux pays baltes, via un partage culturel sur le thème de Noël. C’est ce 2 décembre…

On entre dans décembre bien sûr ; besoin d’un peu de scintillements rêveurs pour se réconforter face au  froid qui s’installe, à l’obscurité… En France, qui plus est, les 2 décembre sont de fichue mémoire.

Bon, mais à Stockholm, l’hiver, le Mälar est vaguement pris dans les glaces, dans lesquelles les lumières s’en donnent à cœur joie. Il y a une étrange sensation d’espace, de possible.

NB - Stockholm en hiver

On a accès – je reviens à internet – aussi à des événements moins sereins, pour le moins. Le site en lien de ce blog, récemment ajouté, « Föreningen Svenskbyborna » (sur Gammalsvenskby), fait régulièrement le point sur la situation face à la guerre, dans ce village d’origine esto-suédoise dont on a déjà plusieurs fois parlé en ce blog. Là (on est près de Kherson), on a connu des jours meilleurs. Un rapport du 22 novembre dernier, de Sofia Hoas, s’intitulait : « Värsta dagen någonsin » / « Le pire jour jusqu’à présent ». Le 25 novembre, on lisait (toujours de Sofia Hoas) :

« Rapport från Gammalsvenskby.
Vädret är nu kallare i byn och det har kommit lite snö. Ryska armén fortsätter sina terrorbombningar med artilleri, tunga glidbomber och drönare. Senaste dagarna har även brandbomber använts, som gjort att bostadshus har brunnit ner.
(...) »

« Rapport de Gammalsvenskby.
Le temps est plus froid maintenant et il a neigé un peu. L’armée russe poursuit ses bombardements de terreur via l’artillerie, des planeurs et des drones. Ces derniers jours, il y a eu aussi des bombes explosives, qui ont entraîné des incendies de maisons.
(...) »

Gammalsvenskby était une survivance, à l’histoire mouvementée (ce « retour » d’une partie de la population en Suède, puis la décision d’une partie d’entre eux de repartir vers l’Ukraine…)
Gammalsvenskby, évidemment, aujourd’hui, c’est une fenêtre vers cette autre réalité, celle de cette guerre.

Le 28 novembre, c’est la maison communale qui a été mise en miettes par un bombardement.

Quoi qu’il en soit, derrière cette autre réalité de la guerre, des guerres, pointe, souvent, la situation des minorités, plus ou moins acceptées, plus ou moins intégrées peut-être, plus ou moins fantasmées. (Je ne parle pas là de « wokisme »...) La première de ces minorités est la juive bien sûr. Je l’avais en tête – cela apparaît un peu dans mon livre – quand je travaillais sur l’histoire des Esto-Suédois pour présenter l’environnement d’Elmar Krusman.

Et je suis retombé sur un article (relativement) ancien de Thomas Nydahl, du 31 octobre 2022) ; il est introduit par cette citation d’Imre Kertész, traduit par Ervin Rosenberg :

« Jag lever i en frivilligt vald och accepterad minoritetssituation, jag skulle lika gärna kunna kalla den: världsminoritetssituation, och om jag ville ge en mer exakt definition av denna minoritetssituation skulle jag inte använda rasmässiga eller etniska begrepp och inte heller religiösa eller språkliga. Min accepterade minoritetssituation skulle jag definiera som en andlig livsform som har sin grund i den negativa erfarenheten. »

« Je vis dans une situation minoritaire volontairement choisie et acceptée ; je pourrais l’appeler aussi bien : situation de minorité au monde. Et si je voulais en donner une définition plus exacte, je n’utiliserais pas des notions de race ou d’ethnie, pas plus que de religion ou de langue. Ma situation minoritaire acceptée, je la définirais comme un mode de vie et de pensée ayant ses racines dans l’expérience négative. »

On en reparlera, vraisemblablement.
Bon, mais pour en revenir à ma modeste personne, j’ai ressenti çà et là par le passé quelque chose qui approche peut-être de la « situation minoritaire », mais elle n’avait pas de racine négative. Au contraire, dans un sens, cela partait de voyage, d’imprégnation dans divers pays, Finlande, États-Unis, Suède principalement, voire Allemagne, Royaume-Uni ; çà et là en France tout aussi bien.
Je faisais partie de la minorité des voyageurs, des gens qui se posent à un endroit sans savoir nécessairement combien de temps va durer leur séjour, qui envisagent, vaguement, plus ou moins précisément parfois en fonction de rencontres, d’amours, de s’installer plus longuement.

Et dans un sens, je n’ai jamais vraiment posé mes valises.

NB - Stockholm en hiver


Nils Blanchard


Triche : J'évoquai Henrik Ibsen, L'ennemi du peuple au dernier post-scriptum, mais que je ne pus placer dans les étiquettes. Aussi: André Dhôtel, Jean-Claude Pirotte.

April. Mais…

Dates, qui reviennent en ce blog. J’ouvre The Waste Land  ; évidemment : 1921-1922. «  A pril is the cruellest month, breeding / Lilacs out ...