mercredi 29 juin 2022

Le soir

 Dans Stasimon, son blog qui existe depuis 2005, l’écrivaine, traductrice Hillevi Norburg évoque, entre autres, une certaine vie quotidienne. Il en a été question ici, cela pouvait avoir un lien avec la guerre en Ukraine, dont il semble qu’on ne soit pas sorti aussi vite qu’on aurait pu croire à un moment.


NB, Suède, été 2021


Cela peut aussi avoir un lien avec les écrits de quelqu’un que j’ai eu beaucoup 

de plaisir à connaître – lui et sa famille. On dira, pour simplifier, des

suédophones de Finlande – il y a… quelques années. Un peintre, abstrait : 

Jan Kenneth Weckman.


Mais poète, aussi.

On va en juger ; mais j’en reviens à Hillevi Norburg, dans Stasimon, le 14 mars 

2022 : 


« Barnen är sjuka, förkylda. Vi har lagt dem för natten, vår pojke i sitt eget 

rum, vår dotter i vaggan som står i sovrummet. Kvällen tillbringar vi i

vardagsrummet, framför varsin skärm. (…) När de inte mår bra, när de 

är ledsna eller krassliga, är det som att jag långsamt tappas på energi. (…)


Samtidigt arbetar jag vidare med min översättning av Maupassants 

skräcknoveller, också idag har jag på något sätt fått ihop mina sidor för dagen.

Jag trodde aldrig att jag skulle kunna arbeta såhär, upphackat och ansatt a

distraktioner, men det går. Även om ansträngningen lämnar mig utmattad när

kvällen kommer. »


« Les enfants ont un rhume. Nous les avons couchés pour la nuit, notre 

garçon dans sa chambre, notre fille dans le berceau de notre chambre. Et

nous passons cette soirée dans le salon, chacun devant son écran. (…) 

Quand ils ne vont pas bien, qu’ils sont tristes ou souffrants, c’est comme si je

me vidais lentement de mon énergie. (…) 


En même temps, je travaille à ma traduction des nouvelles de Maupassant, et

aujourd’hui j’ai pu quand même en avoir mon lot de pages pour la journée. 

Jamais je n’aurais pensé pouvoir travailler de cette façon, harcelée, assaillie

de distractions, mais ça se fait. Même si les efforts requis me laissent épuisée,

quand vient le soir. »


                    NB – Intérieur, Suède. Ces rideaux, comme un voile 

                                 (lectures, travail) sur la réalité…


Ou, plus récemment, le 23 juin :


« Det är torsdag, men jag behandlar dagen som en fredag eftersom det är

midsommar imorgon. Alltså har jag, efter att ÅTERIGEN varit sjuk tillsammans

med barnen, gått till caféet där jag ägnat förmiddagen åt att läsa klart en

avhandling om Maupassant nihilistiska fantastik och hur den kan kopplas till 

Schopenhauers filosofi. »


« C’est jeudi, mais je passe la journée comme un vendredi vu que demain 

c’est Midsommar [la Saint-Jean]. Ainsi, après avoir été À NOUVEAU malade

et mes enfants avec, j’ai passé la matinée au café où j’ai relu un essai sur le 

nihilisme fantastique chez Maupassant, et comment ça peut être lié à

Schopenhauer. (…) »



NB – Suède, été. Nihilisme fantastique ?



Mais J. K. Weckman, dans son livre de poèmes de : Du, stanna här – titre 

qu’on pourrait traduire, en français, par : Toi… Reste là (Söderström, 1978),

parle aussi d’une certaine vie quotidienne ; de soirées, d’enfants… Ainsi un 

long poème, magnifique, commence ainsi : (sans titre, page 15) :


« Barnen somnade äntlingen

och jag försöker städa universum.


I morgon börjar allt på nytt

(…) »


« Les enfants se sont enfin endormis

et j’essaie de faire le ménage dans l’univers.


Demain tout recommence

(…) »



Nils Blanchard



P.-S. – Hillevi Norburg a publié il y a un mois un roman, Messalina (éditions

Augusti). On y reviendra.


Il a été évoqué, ici, Mademoiselle K, à ne pas confondre avec une autre, un

autre K ; il y a quelques jours est « sorti » un nouveau titre d’elle,

Chloroforme.


Été voir à l’Institut suédois, rue Payenne, à l’occasion d’un court passage à

Paris pour l’assemblée générale de La Route inconnuecette exposition

LONGING, déjà évoquée. Elle vaut le détour et on en reparlera…



vendredi 24 juin 2022

« Si tu n’y es jamais allé »

Trouvé par hasard sur le net la reproduction d’une lettre d’André Pieyre de Mandiargues au peintre Félix Labisse, dont je n’ai pas l’année. Je n’ai que le jour, simplement : un 6 août.

On pourrait rechercher… Mais en l’occurrence, là n’est pas la question.







Mandiargues ne devait pas être complètement étranger à la Suède, puisqu’on trouve de lui une lettre de 1962, écrite de Stockholm, où il fait escale au cours d’un voyage de plusieurs semaines (cette missive est vraisemblablement adressée à Maurice Nadeau).

Mais, deux choses : l’auteur finit sa lettre (à F. Labisse, d’une page) là-dessus :

« Je viens de découvrir en Allemagne un endroit d’une beauté vraiment idéale et qui semble tombé tout droit du rêve : le parc de Wilhelmshöhe, à côté de Cassel [Kassel]. Il faudra que tu ailles là un jour, si tu n’y es jamais allé. »

J'y suis allé, il n’y a pas si longtemps, à l’occasion de recherches aux archives de Bad Arolsen, non loin de là, pour mon livre. C’est en effet un fort bel endroit.

NB - Kassel


NB - Kassel


NB - Kassel

Le musée, dans le château, est d’une richesse surprenante. Rez-de-chaussée consacré aux Antiquités, puis les peintres aux étages : Rembrandt, Poussin, divers peintres allemands bien sûr, comme Martin Schaffner, des Italiens, Miradori, Le Titien, Cesari, Manetti… et des Flamands comme Roelandt Savery.

NB - Orphée de R. Savery, Kassel (détail)


NB - Orphée de R. Savery, Kassel (détail)

Bon, mais Savery – on s’approche de la question ? –, je ne me suis pas arrêté devant ce tableau par hasard. Pas complètement. Il est beau, il est vrai.
Mais c’est aussi que j’avais commencé de lire, à l’époque, un livre suédois que je me suis mis depuis à traduire : Märtas tavla, de Martin Fahlén.


Les trois premières lignes de la quatrième :

« I vuxen ålder hittade författare oväntat en kär tavla av Roelant Savery i Boston. Savery var hovmålare hos Rudolf II i början av 16-hundratalet. » – « Devenu adulte, l’auteur retrouve incidemment un tableau qui lui est cher, de Roelandt Savery, à Boston. Savery était maître-peintre auprès de [l’empereur] Rodolphe II, au début du XVIIe siècle. »

On en reparlera…

Et il est vrai que l’endroit est charmant. La promenade dans le parc lui-même du château où se trouve le musée, je l’ai faite en automne. Bien par hasard, là je cheminai assez longtemps aux côtés d’un groupe de Suédois de Finlande.

Que font tous ces hasards ensemble ?

Il y en a un autre, dans la lettre : l’adresse de l’écrivain ; il habite alors au 11 rue Payenne, qui est l’adresse actuelle de l’Institut suédois à Paris. (Surréaliste, tout cela ? Félix Labisse… Et Leonor Fini habitait au-dessus de lui rue Payenne…)

En bon épistolier, en 1967 – quand les travaux commencent dans l’hôtel de Marle qui va accueillir l’actuel institut suédois –, A. Pieyre de Mandiargues a déménagé rue de Sévigné.

NB - 11 rue Payenne


Nils Blanchard


mardi 21 juin 2022

Brodern / Le frère

Mon frère m’a signalé une erreur dans un billet précédent, du 2 juin « Corps, genre ». La compagnie dirigée par Thibault Rossigneux n’est pas « Le sens des mots », mais « les sens des mots » (j’ai corrigé bien sûr).

Bror Marklund (Stockholm)

(Pourquoi cette statue ? Un simple jeu de mot sur le prénom de l’artiste.)

La nuance, à mon sens, est bien intéressante.
Déjà, de plus en plus, avec le niveau en orthographe de nos contemporains qui glisse dans des abîmes, dignes des plus vertigineuses failles océaniques, les mots auront plusieurs sens à prendre en compte, en fonction de leurs homonymies. Il faudra (faut?) se demander, quand un architecte vous écrira qu’il veut mettre tout en verre, s’il parle de la couleur ou de la matière…
Peu importe pour le moment : cette petite digression eut pour but simplement de remarquer qu’entre Michel Lamart et ses aphorismes sur les paroles, d’autres dont je reparlerai – et Paulhan ! –, je ne sors pas des sens des mots.
Soyons honnêtes, mon frère me permet d’introduire un autre sujet, celui d’un frère aussi, un autre frère, celui d’Elmar Krusman : Fridolf Krusman.
Je le savais, je le note dans mon livre (page 40), agriculteur, plus âgé qu’Elmar – il était né en 1912 –, intégré dans les troupes soviétiques : il meurt « sans doute à Mezen dans le nord de la Russie (Arkhangelsk), région où ont dépéri (du fait de l’impéritie de la logistique soviétique) une grande partie des incorporés esto-suédois, estoniens plus généralement, dans l’Armée rouge. » Sans combattre, vraisemblablement de fièvre, malnutrition, abandon.
(Le communisme supposé d’Elmar Krusman, dans ces conditions… À moins d’imaginer qu’il n’ait rien su – ou rien voulu savoir ? – du sort de son frère…)

SOV, juin 2022

Récemment, la SOV (en lien à droite de ce site), l’association esto-suédoise Svenska Odlingens Vänner – Amis de la culture suédoise a fait paraître un dossier sur ce sujet.
Fridolf Krusman apparaît bien. Il n’y a malheureusement pas de photographie.

On en arrive a un autre de mes thèmes de prédilection, si je puis dire : l’adversité, voire pire.

J'entendis le 16 juin dernier à la radio – hasard des télescopages de thèmes, parole, fratrie –, sur France culture (émission « À voix nue », avec Alain Lewkowicz), le 16 juin, la rabbin Pauline Bebe, expliquer :

« (...) Lorsque Caïn tue Abel, il ouvre la bouche (on le voit pas dans la traduction) : il lui parle mais on ne sait pas ce qu’il dit, la Bible est silencieuse… Et finalement, c’est une manière de dire que lorsque l’on n’arrive pas à mettre des mots sur un conflit, c’est la violence qui prend le pas sur les choses (…) »

Alfred Boucher, Caïn tue Abel, 1870.

Je ne sais pas s’il y a beaucoup de liens entre Abel et Caïn d’une part, mon frère et moi de l’autre – Elmar et Fridolf Krusman ? Les frères Krusman ont été tués à la même époque, en quelque sorte par des ennemis différents –, mais il se trouve qu’à cette conférence à Strasbourg dont j'ai déjà parlé (au Collège doctoral européen), j’ai évoqué, avec prudence, une comparaison entre les histoires de certaines communautés juives et les Esto-Suédois, en ce sens que ces derniers aussi étaient attachés à l’écrit.

Cela pourrait être approfondi.


Nils Blanchard


vendredi 17 juin 2022

Puisqu’il est question d’Ulysse

 À la recherche de je ne sais trop quoi, je feuilletais mon Que sais-je ? Sur Homère, de Jacqueline de Romilly.

Page 116, l’auteure remarque : « Le fossé entre Grecs et barbares 

[au temps des poèmes d’Homère] n’est pas encore creusé. Dans l’Iliade il 

n’y a absolument aucune différence entre Troyens et 

Achéens. Personne ne s’étonne qu’ils parlent la même langue, 

qu’ils observent les mêmes usages, que leurs règles morales 

ou sociales soient les mêmes, ou que leurs dieux soient les mêmes. 

(…) Homère ne conçoit pas un instant que l’ennemi puisse 

être différent. »


Les temps n’ont-ils pas beaucoup changé ?


On reparlera de la manière de voir les Russes, de certains de 

leurs voisins. Elmar Krusman, comment voyait-il ses ennemis ? 

Étaient-ils ses semblables, ses frères ? La brute, Ehrmanntraut, qui 

l’a mené devant cette employée de mairie de Bisingen, qui a décrit 

E. Krusman, sans le nommer, « tout à fait tremblant »…


Les Suédois d’Estonie en général ?


Lors de ce colloque que j’évoquais au dernier billet, sur 

l’évolution des contacts de langues et de cultures, je 

m’interrogeais sur la place des Esto-Suédois parmi les 

autres peuples, nations. Étaient-ils un simple groupe,

une ethnie, un peuple ? Ils étaient moins de 10 000, mais 

furent reconnus comme une minorité. Ils n’étaient plus seulement 

des Suédois (au moment de la guerre, ils avaient été séparés de 

leur patrie d’origine depuis au moins sept siècles).

Une nation ? Ce qui semblait les caractériser, précisément, est qu’ils

n’avaient pas d’ennemis jurés. Peu de traces de batailles, de 

révoltes, de massacres dans leur histoire, mais des dominateurs 

dont on s’accommode comme on peut, des relations de voisinage 

plus ou moins tendues sans doute, une constante diplomatie, 

semble-t-il, pour préserver un mode de vie authentique 

– les fameux « privilèges » suédois – dans la durée. 

Quelque chose à mettre en rapport avec la neutralité suédoise 

depuis Bernadotte…

Carte des zones esto-suédoises; années 30 

Plus loin (pages 116-117), J. de Romilly remarque qu’Achéens 

(Grecs, donc) et Troyens partagent les mêmes croyances, les 

mêmes dieux. Puis : « Le fait est d’autant plus remarquable 

qu’Homère n’a rien d’un pacifiste, blâmant la guerre en tant 

que telle. Elle est comme un donné de la civilisation d’alors.

Elle a ses douleurs, mais aussi ses beautés. On peut, certes, 

évoquer avec nostalgie le temps de paix. (…) Et l’on n’y trouve 

pas non plus, nulle part, rien qui suggère une guerre nationale, 

entre peuples différenciés. La lutte entraîne une âpre 

compétition, mais point de haine : Troyens et Achéens

sont les uns et les autres des héros et des mortels, qui en tout 

se ressemblent. »

NB - Bohuslän

Pour ce qui est de la Seconde Guerre mondiale, c’est en quelque sorte 

l’inverse, surtout vue sous le prisme du système concentrationnaire.

Pour Boris Pahor, de Trieste (comme pour Elmar Krusman et les Esto-

Suédois), les choses ont commencé à se gâter avant même la 

guerre, avec l’arrivée du fascisme (avec le climat délétère pour 

les minorités qui s’est installé au cours des années trente en 

Estonie). De quoi rêvait Boris Pahor en invoquant Calypso ? 

D’un paradis à reconquérir ?



Nils Blanchard



P.-S. Sans rapport ?


Hier, J’ai vécu des heures vaguement kafkaïennes – j’évoquerai 

bientôt, en passant, l’Autriche-Hongrie –. Une batterie morte, 

en Allemagne, avant-hier  soir, très tard. Un réparateur fort gentil 

fait redémarrer ma voiture ; « Peut-être cela marchera-t-il ; après, 

il faudra la faire tester... » Je rentre chez moi, en France, sans 

couper une seule fois le moteur. Las, ce matin : obligé d’appeler 

à nouveau un réparateur, pour me relancer à nouveau et me 

permettre d’aller à un garage. On me promet quelqu’un pour 

neuf heures trente, puis dix heures. Je prends rendez-vous au 

garage, commande une batterie. Le temps passe…

Truc assistance (une personne dont j’ai oublié le prénom, 

appelons-la K) : – Vous comprenez… Effectivement… [Cet adverbe, 

tic de langage des sots de nos temps.] »

Onze heures.

K : – Ils ont peut-être un imprévu. Il faut comprendre.

Mais pourquoi ne communiquent-ils pas ?

À midi, j’appelle un taxi. Je ne peux plus attendre ; dois me rendre 

à mon travail. À treize heures, le garage de dépannage 

m’appelle : « On est chez vous. Pourquoi n’êtes-vous pas là ? »

Mais parce que je suis à mon travail. De petit fonctionnaire 

récemment mal noté (mais je crois que c’est un honneur – 

j’expliquerai peut-être pourquoi...)


D’autant plus ennuyé d’être sans véhicule que je dois nourrir, 

pour deux ou trois jours, des chats d’amis, en Allemagne.

Et Thomas Nydahl, hier justement, citation dans un billet intitulé : 

« Vänskapen gångbroar". Il est illustré par une photographie d'arbres 

entre le printemps et l'été.


« Skriv om stunderna

då vänskapens gångbroar

verkar hållfastare

än förtvivlan


Adam Zagajewski, ur Törst, i översättning av Anders Bodegård »


(« Écris sur les moments

où les pontons de l’amitié

semblent s’accrocher davantage

que le désespoir


Adam Zagajewski, extrait de Soif, traduit [en suédois] par Anders

Bodegård »)


(Bon, mais en ce qui me concerne, le désespoir… Il ne faut 

rien exagérer.)



En Mayenne – quelque part vers la civilisation

Rencontres avec des étrangers, qui parfois peuvent donner l’impression que l’on est très proche du premier inconnu venu. Puis, la plupart du...