lundi 1 décembre 2025

Retour au musée de l’aquarelle, 2

En 2023, au musée de l’aquarelle de Tjörn, il y avait dans la salle-sas d’entrée une installation de papillons noirs, de Carlos Amorales, intitulée Nuages noirs. Il était expliqué que la chose, qui donnait une impression un peu oppressante, était constituée de 15 000 papillons.

NB - Carlos AmoralesAqvarellmuseet, 2023


Quelque chose d’un peu japonais, comme ces origami de grues pour le pèlerinage des Sept divinités du bonheur (roman de Keigo Higashino).

NB - Carlos AmoralesAqvarellmuseet, 2023


Bon, mais on avait laissé le billet précédent sur les noms de Arne Jacobsen, Sofia Delaunay, Josef Frank, artistes du vingtième siècle.

Arne Jacobsen était un architecte danois, dans la mouvance du fonctionnalisme. Ayant des origines juives, il passe les deux dernières années de la guerre en Suède, où il se consacre à la peinture de motifs pour impressions.
Cela donne lieu à des fêtes florales dont les couleurs et la beauté printanière contrastent avec les raisons de son séjour en Suède.

NB - Arne Jacobsen, détail, Aqvarellmuseet, 2025

Parenthèse de deux ans dans une vie, après quoi Jacobsen retourne à son architecture – avec vues sur la nature par les ouvertures…

NB - Arne Jacobsen, détail, Aqvarellmuseet, 2025

Vieux rêves de vie à la campagne ; Alphonse Allais, etc. Mais Duplomb and co nous enseignent que l’on s’est bien compliqué la vie. Ne prend-on le risque, en habitant certaines campagnes en France (et ailleurs sans doute aussi) de contracter cancers, alzheimer et autres joyeusetés parkisonniennes, du fait de pesticides ?
Quant à la civilisation urbaine et ses plastiques…

J'ai été voir récemment Héloïse Combes, dans une vallée retirée des Cévennes. Là, bourgs anciens comme forêts semblent traverser les injures de nos temps presque sans encombres.
Oui, mais une électrosensible peine néanmoins à y trouver de parfaites « zones blanches » ; et des arbres, m’a-t-il été signalé, ont souffert de la chaleur excessive.

L'étrange dans cette nature néanmoins est, semble-t-il, sa capacité à dépasser l’homme – en bien et en « mal ». Les motifs des peintres et architectes le montrent : il y a une beauté comme extérieure. Un autre monde ?

L'embrasement des siècles, page 126 (éditions Sous le Sceau du Tabellion), dans le poème « La force de plier » – plier des origami ?… – :

« Mon corps et les arbres
Rêvent
Mon corps est un saule
L'aulne est un poème
Le poème est mon corps de faunesse
Que fomente l’esprit des bois

Il est rugueux ce poème
Et vois cet érable éthéré
Qui japonise avec la brume

Mon corps les lie avec sa sève »

NB - Bohuslän

Bon, mais Sofia Delaunay. Elle a quelque cousinage historique avec Edith Södergran. Ayant des origines juives comme Arne Jacobsen, elle est née en Ukraine (du temps de l’Empire russe) et, enfant, a vécu à Saint-Pétersbourg et passé de ses étés en Finlande. Elle a créé ce qu’on appelle l’orphisme, en 1911, ayant rejoint Paris.
On connaît son deuxième mariage qui lui donne son nom de Delaunay. Là, toutes sortes de ponts d’intérêt seraient à développer, ses relations avec le dadaïsme, des peintres comme Léopold Survage, André Lhote… Elle participe à l’exposition des arts décoratifs de 1925
On reparlera peut-être de ceci ou cela.

À Tjörn, couleurs de tableaux abstraits.

NB - Sofia Delaunay, détail, Aqvarellmuseet, 2025


NB - Sofia Delaunay, détail, Aqvarellmuseet, 2025

Qui pourraient être liés – il était question de motifs – à ces dessins de maillots de bain de 1928, somme toute à leur place en ce lieu – rappelez-vous, une plage, dans le musée même pour ainsi dire. Du reste : un lieu pour la baignade humaine, des lieux réservés aux bêtes ; oies et autres…

Sofia Delaunay - Maillots de bains, 1928 ; Capture d’écran

Reste Josef Frank. Viennois, marié à une Suédoise, il part en Suède en 1933, fuyant les persécutions nazies.

NB – Josef Frank, détail, Aqvarellmuseet, 2025

Chez lui aussi – il est réservé quant au fonctionnalisme – on retrouve quelque chose d’un dialogue entre la ville et la campagne.

Mais il a été plusieurs fois, indirectement, question de guerre et de totalitarisme en ce qui précède.
Et ça me ramène, je n’y peux rien, à Héloïse Combes, qui a quelque chose d’une guerrière dans ses poèmes de L’embrasement des siècles.
Guerre contre ce qui détruit la / sa nature. Faisceaux d’ondes qu’elle, sent, qui nous enserrent dans leur (merca)danse… comme des papillons noirs ?

NB - Carlos Amorales, Aqvarellmuseet, 2023


Nils Blanchard


P.-S. Je le confesse, ce billet a été écrit il y a déjà quelques temps puisque l’exposition évoquée était celle de l’été (et automne) dernier.
Bon, mais cela me permet d’évoquer deux expositions signalées par l’Institut suédois de Paris (site en lien de ce blog…) La première – « Hors-champ » est celle de la coloriste Anna-Lisa Unkuri, à la galerie Guillaume (Paris). Elle explique d’entrée : « J’aime représenter des personnages, souvent des femmes et des enfants, et aborder de nombreux thèmes, des questions d’identité aux souvenirs d’enfance et la façon dont ils structurent nos vies d’adultes. Ce ne sont pas de simples portraits, mais des figures évoluant dans des espaces poétiques où l’imagination et le réel s’entremêlent. »
Et peut-être y reviendra-t-on…

La seconde exposition est celle de Carin Ellberg, à la galerie Andréhn-Schiptjenko (Paris) et s’intitule "Coastal settlers and species from the sea".

jeudi 27 novembre 2025

Exclusion / bas matériaux et dématérialisation

Longtemps, les vêtements, draps, avaient une valeur réelle. Je me souviens de testaments du XVIIIème siècle étudiés mentionnant des « couettes » dans les legs. On a l’impression aujourd’hui qu’une profusion de produits jetables retire comme d’autant d’humanité.

Helena Westermarck - Wikipedia

 Les pires arguments sans doute sont ceux qui essaient de faire vibrer les cordes sensibles de la commisération pour défendre ces marques géantes en ligne venues de Chine qui vendent n’importe quoi. On a entendu des « Mais il y a des gens qui peuvent ainsi se payer des choses qu’ils ne pourraient pas autrement »… Et allez pour un tour de larmes dans les chaumières, dûment rémunéré en montagnes de déchets de polyester, tonnes carbone de transport inutile, sans parler des conditions de travail des employés des sociétés concernées.
À cela, Agnès b. rétorque (sur France culture, le 5 novembre dernier) : « Moi j'aime les vêtements qu'on garde longtemps, qui sont de bonne qualité, avec des bonnes matières. (…) On achète ça et on est tranquille pour très longtemps. C'est le contraire de Shein. » « On n’a pas besoin d’autant de vêtements », rappelle-t-elle aussi, en se souvenant qu’elle-même, quand elle n’avait pas les moyens de s’acheter des produits coûteux, chinait (ne « sheinait » en aucune manière).

Ellen Thesleff - Capture d’écran

À peu près au même moment où j’entendais Agnès b. faire une démonstration de bon sens somme toute inhabituelle sur nos ondes (même sur une station comme France culture) – n’affirma-t-elle pas par surcroît : « Ce qu’on appelle les réseaux sociaux font beaucoup de mal aussi. Je ne trouve pas du tout que ce soit « social », ces réseaux. » –, on apprenait que les tickets de métro papier n’en avaient plus que pour quelques mois à Paris. Il faudra désormais acheter des sortes de cartes, ou avoir une « appli » sur son « smartphone ». Et allez, retour du monde entre guillemets.
Pas entre guillemets, l’ambition j’imagine de la RATP, et peut-être derrière elle de la mairie de gauche de Paris : se débarrasser de la pauvreté, en empêchant les gens sans abri de pénétrer dans les stations.

Ça me fait penser : un vieil ami parisien dans une brasserie non loin de chez lui, refuse que je paye : « Je suis chez moi... », dit-il, ou quelque chose d’approchant.
Le serveur, qui le connaît, opine du chef.
Moi : « Paris appartient à tout le monde... »

Mais ces cartes, dématérialisations, risquent de diviser les clients du métro entre « usagers » et « touristes ». Où seront les Parisiens là-dedans ?

Helena Westermarck - Wikipedia

Retour à « Shein », ce vendeur de chinoiseries à bas coût : il n’y a pas de raison qu’on ne puisse décider de bouter ces choses hors de notre pays… Tenez: il y avait une page « instagram » usurpant mon nom (et mon image)
J'avais envoyé un courriel un peu menaçant à… comment qualifier les gérants d’« instagram » : une société, une SA… bref, à ce truc. J’ai vérifié, du coup, l’effet de ma missive, projetant ensuite une visite au commissariat de police : la page en question a « miraculeusement » – il faut mettre des guillemets partout quand on parle de ces… choses – disparu…

Nos États de droits peuvent encore mater les fâcheux.


Nils Blanchard


Triche. Rajout d’étiquettes du dernier billet : Jennie Augusta Brownscombe, The Guardian.

Ajout. J’ai « publié » ce billet ce matin. On est l’après-midi… Et voilà que je consulte la page de la Route inconnue (en lien de ce blog, dans la liste à droite, etc.), consacrée à André Dhôtel, et vois qu’une lecture est prévue ce soir rue Bonaparte !


Bon, Yves Lepesqueur, on connaît ; il a déjà été cité ici (voir index, à droite, version ordinateur, e tutti quanti…)
Mais Cécile A. Holdban, m’était – bêtement, forcément – inconnue.
Or, outre lire André Dhôtel, cette poétesse a publié un livre où apparaît sur la couverture une autre connaissance de ce petit blog, Edith Södergran !

dimanche 23 novembre 2025

Les faux amis ?

Abandonner son allié en pleine guerre – et au moment où l’hiver commence –, lors qu’on sait que son aide est capitale (et qu’on l’a, au passage dûment monnayée), cela ne pourrait-il pas être assimilé à de la trahison. Pour le moins, cela peut faire penser à la notion de « faux ami ».

William Halsall, Le Mayflower dans le port de Plymouth - Wikipedia

On sait qu’un « faux ami » est un même mot (ou très ressemblant) employé dans deux langues différentes avec des significations particulières.
Par exemple, « traitor », en anglais (traître), est plus proche du français « traiteur » pour ce qui est de la prononciation.

Bon mais cela pour dire qu’on peut employer des mêmes mots, mais avec des significations, et des conséquences totalement différentes.
D. Trump prétend œuvrer à la paix (et demanda, tel un enfant gâté, qu’on lui donnât un prix Nobel comme une sucette qu’il aurait vue dans une vitrine). Mais la paix qu’il construirait, si ses « 28 points » (Nathalie Loiseau parle de « torchon », le Guardian relève des formulations directement traduites du russe…) étaient « validés », ce serait la primeur (on parlait de traiteurs) à la violence, à la dictature poutinienne au-delà de la Russie.

Jennie Augusta Brownscombe, Thanksgiving - Wikipedia

Vingt-huit points. A-t-il seulement pensé (un de ses conseillers ? – mais ces gens ont l’air absolument incultes –) aux quatorze points de Wilson aux traités de Paris ? Trump ferait le double, tant il est génial ? (Pour lui, tout est affaire de quantités ; en quoi il se distingue d’un traiteur qui doit veiller à une certaine qualité de ses produits…)
Les quatorze points de Wilson, fondus dans les traités de Paris, furent en partie un échec, peu respectés – notamment le droit à l’autodétermination des peuples… Quid du droit à l’autodétermination à Louhansk et Donetsk ?

J. L. G. Ferris, The first Thanksgiving - Wikipedia

I
l menace donc (à nouveau), le président des États-Unis, de retirer son aide à l’Ukraine, et pose un ultimatum à Zelensky avant Thanksgiving jeudi de la semaine à venir (selon le Washington Post) – ironie dont l’idée ne doit même pas l’effleurer.

Je lis dans un article du Figaro, de Valérie Samson (26 novembre 2024) que « Thanksgiving est un jour férié aux États-Unis. Cette fête a été fixée le quatrième jeudi de novembre par le Président Franklin Delano Roosevelt en 1941.
() La célébration nationale sous sa forme moderne remonte à 1863, en pleine guerre civile, lorsque le président Abraham Lincoln a proclamé un Thanksgiving national qui se tiendrait chaque mois de novembre. Mais ses origines remontent à 1621 : elle commémore la première récolte des pèlerins survivant du Mayflower»

Grand Dieu ! Faux amis des listes de « dignitaires » ; quels noms il faut ressortir, et comparer – et comparer ! – à celui de Trump… Lincoln, Roosevelt…

Valérie Samson poursuit : « Les pèlerins établirent la première colonie prospère de Nouvelle-Angleterre et célébrèrent en 1621 les fruits de leur première récolte, qu’ils partagent avec leurs voisins amérindiens pour les remercier de leur aide : ce que l’on a appelé ensuite le premier Thanksgiving.
(...)
Au-delà des ripailles et de l’occasion de se retrouver en famille, Thanksgiving, comme son nom l’indique, est aujourd’hui encore l’occasion d’exprimer sa gratitude. »

No comment


Nils Blanchard


Ajout. – Bon, évidemment, au moment où je relis ce billet on m’informe que D. Trump est déjà en passe de changer d’avis (ce qui était du reste bien prévisible…)

Ça a été évoqué ici çà et là, timidement ; pourrait-on paradoxalement escompter du bien des agissements de l’actuelle administration américaine ?
Évidemment, la paix (mais laquelle, combien de temps durerait-elle?) serait à souhaiter en priorité.
Aussi, la fin d’un certain ordre sécuritaire mondial (OTAN…) pourrait laisser la place, un jour, à autre chose, meilleur…

– Rattrapage d’étiquette du dernier billet : Camille Claus.

dimanche 16 novembre 2025

De l’éternel problème du gagne-pain

Il m’est arrivé de dire au cours de ma carrière de professeur, en faisant mine de ricaner mais au fond avec le plus grand sérieux – mais être sérieux n’est pas toujours très poli – que j’attendais les vacances pour pouvoir me mettre sérieusement au travail.

Asuka Kazama ©, Paris, rue de l’Échaudé et pluie.
Collection particulière.

Au travail : rédiger un article, procéder à des recherches sur tel ou tel sujet, préparer mes cours d’université à une certaine époque du reste pas si éloignée, écrire… simplement écrire ; mais relire ensuite, forcément, et corriger… Cela demande temps et disponibilité, les deux ensemble, union dont on manque singulièrement quand on est professeur – j’ai renoncé à expliquer ça à certaines gens.

Or donc écrire ? Se dévouer entièrement à l’écriture ? Profiter, par exemple, d’une rente, d’une fortune, d’un braquage, que sais-je…
Certains auteurs affectent d’en discuter l’intérêt. Ce thème du travail (alimentaire) et de l’écriture ressort avec insistance chez plusieurs écrivains. Paul Léautaud, pour commencer, remarque régulièrement dans son journal qu’il faut avoir un métier (en plus de la manie d’écrire). Dhôtel, moins insistant, le dit dans cet entretien filmé par Pierre-André Boutang : « L’écriture c’est un peu en dehors. Pour moi c’est pas un métier ; et pourtant il faut un métier ! »

A. Dhôtel dans le film de P.-A. Boutang - Capture d'écran 

 On retrouve ces réflexions chez trois auteurs que je lis en ce moment : Angelo Rinaldi parce que j’ai appris récemment sa mort en mai 2025 – c’est un vieil ami parisien qui m’en a fait part –, Jacques Brenner parce que je relis son Journal (je l’ai chez moi vu que ce vieil ami parisien, précisément, m’en a offert les cinq gros volumes), et Wera von Essen parce que j’avance tranquillement dans son En emigrants dagbok que je me suis procuré lors de mon dernier séjour en Suède.

Angelo Rinaldi, dans un entretien avec Pierre Boncenne, le 1er octobre 1980 dans L’Express, évoque en fait d’abord la question – serpent de mer de bien des gens de plume – de la vie et de l’écriture :

« P.B. " L'œuvre préférée à la vie "?
A.R. On ne peut pas écrire et vivre. Il faut choisir.

P.B. Vous avez choisi d'écrire.
A.R. Jusqu'à présent, je n'ai pu que constater que le fait d'écrire m'a coupé d'une certaine vie. On ne peut pas faire deux choses à la fois. Je vous rappelle que je suis un salarié. Travaillant d'une part et d'autre part écrivant, je dois par conséquent renoncer à beaucoup.

P.B. Et si vous pouviez financièrement vivre de votre plume selon l'expression consacrée?
A.R. Au fond, je crois que c'est très vulgaire de vivre de sa plume. Vous êtes entraîné à donner au public toujours la même chose qui a fait votre succès. Un éternel remake. Il est très dangereux de vivre de sa plume et je préfère encore les sacrifices du travail de journaliste-critique aux facilités de l'argent venant par les seuls livres. L'argent gagné avec des livres me paraît suspect. Et au moins sur ce plan-là, je me permets de vous signaler que je suis à l'abri de la vulgarité. »


Chez Jacques Brenner – homme d’édition, libraire un temps, homme de revues… – on a l’impression au cours de plus de cinquante ans de Journal d’un long combat pour vivre de littérature (ce qui n’est pas forcément ou uniquement écrire…), cette littérature-là repoussant comme un aimant, paradoxalement peut-être, la possibilité de se consacrer vraiment à une œuvre. (À moins, bien sûr, que cette œuvre ait été son Journal, mais qui pour le coup – il n’en est pas moins à mon avis passionnant – a manqué de ce que Jacques Brenner savait si bien être pour les autres : ce que les Suédois appellent redactör ; comment traduire cela : un éditeur actif, accompagnant, guidant le travail de l’auteur…)

Jacques Brenner et le chien Falco - Capture d'écran


Wera von Essen, plus près de nous, En emigrants dagbok (5 mai 2021, page 66) :

« Jag vet inte vad jag ska göra om jag inte får pengar från förlaget (…) Essäerna bär inte min ekonomi. Jag måste betala sjugo tusen i skatt. Och så tio tusen varje månad för boende, räkningar, skulder. Hur ska det här gå till ? Problemet är att arbetsron försvinner, jag kan inte koncentrera mig på texterna (…) Det här är inte vad jag ville. Jag ville inte tvinga skrivandet, göra det till bröd. Det var av den anledningen jag hellre tog hotelljobb än att korrumperas av en byline. (…) Jag vill inte att litteraturen ska handla om försöjning, att den ska anpassas och kommersialiseras och få fel utgångspunkt. »

« Je ne sais pas ce que je vais faire si je ne reçois rien de la maison d’édition (…) Les articles ne me permettent pas de vivre. J’ai 20 000 couronnes d’impôts à payer. [Environ 2000 euros.] Puis aussi 10 000 chaque mois pour le loyer, les factures, crédits. Comment tout ça va-t-il finir ? Le problème est que je ne trouve plus le calme nécessaire au travail, n’arrive pas à me concentrer sur les textes (…) Cela n’est pas ce que je voulais. Je ne voulais pas avoir à forcer l’écriture pour en faire un gagne-pain. C’est pour ça que j’ai préféré prendre un travail à l’hôtel plutôt que me corrompre dans des écrits commandés. (…) Je ne veux pas que la littérature soit liée à la subsistance, qu’elle doive s’adapter et se vendre et partir ainsi du mauvais pied. »

Wera von Essen, photo de l’éditeur Polaris

Retour à Rinaldi. En décembre 2018, il donne un entretien à Zone critique, mené par Guillaume Narguet. Il se termine sur ceci :

« Et tous les artistes – écrivains, compositeurs, peintres – ont matériellement une vie difficile. [C'est très discutable me semble-t-il.Mais, comme disait Cioran, s’il faut rater sa vie, mieux vaut la rater à Paris qu’ailleurs. »

Du côté de la rue de l’Échaudé encrée par Asuka Kazama ?


Nils Blanchard


Ajout. Asuka Kazama (cliquer sur ce nom pour accéder à son site...) n'est pas une Suédoise d’ailleurs, peut-être pourrait-on dire une Japonaise d’ailleurs, encore que ses appartenances se floutent étrangement, étrangement car le « flou » est parfois très précis dans ses œuvres où la pluie souvent intervient presque comme artiste à part entière.

Elle a vécu notamment à Strasbourg après une première phase d'études et de travail au Japon. Là, elle passe par l’Université (un Master 2 notamment – où j’ai enseigné un peu, dans un autre département bien sûr) et par la HEAR - Haute école des Arts du Rhin, où ont enseigné Roger Dale, avant lui Camille Claus, dont ce blog parle çà et là. Et elle a obtenu le prix Théophile Schuler, de la Société des Amis des Arts et des Musées de Strasbourg en 2012.
Elle travaille maintenant à Paris, où elle enchaîne des expositions qui montrent l'étendue de son talent... 

jeudi 13 novembre 2025

Entre passivité et bêtise

J'ai été récemment témoin – et ça a été assez désagréable – d’une crise de passivité intellectuelle, de bêtise régionaliste d’une artiste que j’avais un peu aidée – j’admire toujours son œuvre du reste.

NB - Haguenau, septembre 2025 ; illustration à peu près de hasard

Bon, ça n’a pas une très grande importance et ne devrait pas figurer ici, sauf que j’ai lu – je ne suis pas rancunier… pas trop… ; voir le billet précédant... – un article récent de Thomas Nydahl, s'interrogeant lui-même sur un article de Torsten Fagerholm, dans le journal finlandais de langue suédoise Hufvudstadsbladet, le 25 septembre 2025. T. Fagerholm commence par se demander ce qu’ont à fiche de riches touristes russes à Biarritz ce dernier été. Il commente :

« Många upplever det som direkt provocerande att hundratusentals förmögna, oberörda ryssar obehindrat roffar åt sig från buffébordet av friheter som det demokratiska Europa erbjuder, samtidigt som Ukrainas folk genomlider ett fjärde år av terrorbombningar styrda från Moskva. »

« Beaucoup de gens peuvent vivre comme une provocation que des Russes aisés, indifférents, se gavent sans réserve au buffet des libertés offertes par l’Europe démocratique, lors que dans le même temps le peuple ukrainien subit sa quatrième année de bombardements moscovites. »

Thomas Nydahl (cette fois…) de nuancer :

« Det är en såväl delikat som relevant fråga. Men min följdfråga blir lika tydlig: ska ett folk som lever under diktatur och som drabbats av diktatorns krigspolitik också straffas? »

« Voilà une question aussi pertinente que délicate. Contre-question, directe : un peuple qui vit en dictature, qui subit la politique de guerre du dictateur, doit-il en plus être puni ? »

NB - Haguenau, septembre 2025 ; illustration à peu près de hasard

Thomas Nydahl poursuit : « Ett preliminärt svar är, att ett sådant straff förmodligen är oundvikligt. Hur skulle andra folk – historiskt och samtida – behandlas i samma situation? »

"Tout d'abord, une telle "punition" est inévitable. Puis, comment d'autres peuples (du passé et d'aujourd'hui) se conduiraient-ils dans la même situation ? »

L'histoire ne repasse pas les plats. Et je n’aime pas diffuser ici de mes opinions politiques – même si certaines transparaissent forcément de tout ce bavardage… Mais si l’on compare la situation de la Russie avec celle de la France. On peut se dire – en considérant les Russes comme des citoyens (ou d’anciens citoyens ?) – qu’un président comme Nicolas Sarkozy n’a pas été réélu. Les Russes pouvaient-ils encore, dans les années 2000, ne pas réélire Poutine ?

Ingrid Ruin - Publicité de 1928, Capture d’écran

Pour en revenir au propos de Torsten Fagerholm, il parle bien de « förmögna, oberörda ryssar » (« Russes aisés, indifférents »). N’est-ce pas un peu différent de la masse du peuple, pris dans les soucis et joies du quotidien, qu’on peut difficilement rendre responsable de la venue au pouvoir de tel ou tel.
Mais où commence l’opulence dispensatrice d’une responsabilité accrue ?

Au fond, n’est-il pas intenable de dire que les peuples sont irresponsables ; pourquoi alors le système de la démocratie ? Le moins mauvais des systèmes.

Churchill encore.

Les résistants, parmi lesquels certains ont fini à Natzweiler, sous la férule d’un Franz Hermanntraut, les Alexeï Navalny, eux ont voulu défendre une certaine responsabilité des peuples. Ils ont pris la leur.
À quel prix.


Nils Blanchard


P.-S. : – Rajout d'étiquette du dernier billet : Salla Leponiemi.

« Moins mauvais des systèmes », encore ne faut-il pas trop de démagogie. Ne pas laisser pénétrer les établissements scolaires, par exemple, de parents d’élèves parfois à moitié crétins – sous prétexte de « coéducation » – dont les plus bêtes essaieront forcément d’empêcher leur progéniture de les dépasser un tant soit peu.

Il fut un temps, en Égypte, où le ministère de l’Éducation s’appelait le Ministère du Savoir. Il est vrai qu’on n’y était pas encore en démocratie ; (on n’y est toujours pas du reste.)

Ingrid Ruin - Capture d’écran

– Ingrid Ruin, peintre finlandaise (d’expression suédoise…), a été russe dans un sens, vu qu’elle a connu l’époque (elle était née en 1881) où la Finlande était un Grand-duché intégré à la Russie…

– Rien à voir avec la passivité : dix ans qu'ont eu lieu les abominations des attentats de Paris, un vendredi. 

samedi 8 novembre 2025

Exclusion / Retour d’un blog ?

"Retour" de l’Ouest, il n’y pas si longtemps, par Fontevraud. Je voulais y voir le musée d’art moderne. On y arrive peu après 18h00, prévenus par internet que le musée fermait à 19h00. Ah, mais c’était compter sans le logiciel, qui n’acceptait plus personne à partie de 18h00.

NB - Fontevraud

Tant qu’on est là… L’abbaye, quant à elle, fermait à 20h00 à ce moment du mois d’août, on visite. Là, bien sûr, le logiciel ne refuse pas que l’on verse le droit d’entrée qui n’est pas modique dans ce musée privé.
On se retrouve évidemment très vite devant les quatre gisants. Aliénor d’Aquitaine, Richard Coeur de Lion… Qui étaient-ils exactement, quid des deux autres ? On ne peut être spécialiste de tout, mais on trouvera bien des explications quelque part…

Eh bien non. Et puis, si, peut-être sur un QR code. Le dépliant-guide de la visite, quant à lui, est très incomplet. Là : sentiment d’exclusion ; quand bien même l’un d’entre nous disposerait d’un smartphone, on ne sait ni ne veut s’en servir de la sorte.

NB - Fontevraud, août 2025


NB - Fontevraud, août 2025

Bon, mais la chose devient proprement provocation : dans cette antre culturelle, où partout des affiches louent les efforts du musée privé, des sortes de smartphones géants ont été installés çà et là. Il faut les tapoter du doigt pour qu’apparaisse on ne sait quel verbiage. On se met à la place de parents bien intentionnés qui se disent qu’ils vont soustraire pour quelques heures leur progéniture de l’influence des écrans…

NB - Fontevraud, août 2025

Au moins, soudain, un arbre. D’où sort-il ? Qui l’a peint ?

NB - Fontevraud, août 2025


                                                                                 *

Cela m’amène – ce n’est pas si loin – à un article, dans Dixikon (en lien de ce blog), de Maxim Grigoriev (du 4 septembre dernier) : « Att översätta världen » / « Traduire le monde ». L’auteur y évoque une série de conférences de Juan Gabriel Vásquez, autour du rôle de la fiction, à ne pas prendre pour argent historique comptant, mais qui peut viser néanmoins à des ouvertures, des connaissances inatteignables par les textes plus scientifiques. En bref, l’art différencie une fiction d’un amas d’infox... Et :

« Vi lever i dag”, skriver Vásquez, ”i en polariserad och uppretad tid”. Vår tillvaro har avhistoricerats. För honom är vi inte längre med i en gemensam berättelse, och romanens uppgift är därför att återetablera de narrativa länkarna som förbinder individen med den kollektiva historien; en människa, så att säga, med ”hennes land”. »

« Nous vivons aujourd’hui, écrit Vasquez, une époque polarisée, tendue.Notre environnement s’est déshistorisé. Pour lui, nous ne participons plus d’un récit commun, et une tâche du roman est du coup de rétablir les liens narratifs qui relient l’individu à l’histoire collective, pour ainsi dire une personne à son pays”.

Même des gens qui visitent la même abbaye sont ramenés à leurs intérieurs numériques plus ou moins scabreux, plutôt que se voir offrir une connaissance commune, universelle.

Capture d'écran


                                                                                  *

Capture d'écran - Blog de Thomas Nydahl

Pianotant précisément un peu par désœuvrement sur mon clavier d’ordinateur dans mes intérieurs numériques, je constate que Thomas Nydahl semble reprendre son blog.

15 septembre ; une photo de Malmö des années 50 – 60. « Ska bloggen öppna igen? Tanken har börjat gro. Den mörka känslan behöver ljus. Nu återstår bara beslutet. Huvudet är fullt. »

« Vais-je me remettre à ce blog ? Cette pensée a commencé de germer. Les idées noires aspirent à la lumière. Il ne reste plus que la décision à prendre. La tête est pleine. »

N'a-t-on pas là un peu l’inverse de ce que j’évoquais précédemment : un intérieur numérique comme une lumière ?


Nils Blanchard


Ajout, quelques jours après la rédaction du billet. Talleyrand je crois disait « Défiez-vous des premiers mouvements, ce sont les bons. » Peut-être Thomas Nydahl aurait-il dû suivre ses premiers mouvements (et il y en eut quelques uns, il avait déjà plusieurs fois annoncé qu’il cessait d’écrire dans son blog) et… cesser son blog. Il se « lâche » en effet, de manière assez pitoyable, le 20 septembre dernier, sur l’immigration permissive en Suède des dernières décennies (jusqu’au dernier gouvernement Tidö exclu…) Dans un texte passablement vomitif – il y a fort à parier qu’il disparaîtra d’ici peu du blog ; c’est tout le problème de blogueurs qui ne se relisent pas suffisamment, ne prennent pas de recul et qui regrettent trop tard ce qu’ils ont « publié », quand ils le regrettent…

NB - Le Rhin, septembre 2025

Il part d’un argument somme toute défendable : il s’en prend aux gens qui arborent malhonnêtement la nationalité suédoise (et là-dedans le « fameux » personnummer…) Mais c’est ensuite pour mélanger allègrement immigration et criminalité, sans argument aucun.
Beaucoup de « vrais » Suédois ne sont pas comme ça. Je peux en témoigner. D’ailleurs, parfois – pas qu’en Suède –, les xénophobes – façon milicien de Kungälv – donnent l’impression de mal comprendre leur propre environnement, partant le pays qu’ils prétendent défendre.

Bon, mais quelques jours plus tard encore, Thomas Nydahl parle du livre récent de Salla Leponiemi sur l'artiste finlandaise Elin Danielson-Gambogi... 

Elin Danielson-Gambogi, autoportrait - Capture d'écran


NB

lundi 3 novembre 2025

Encore des lits défaits / des disparitions

J'ai parlé déjà de lits défaits du blog (qui n’est pas en lien de celui-ci) Krickelins, qui plus est déjà vaguement de retour d’Auvergne. Draps froissés, traces d’on ne sait quels mouvements, plus ou moins nocturnes, plus ou moins conscients… N’y a-t-il là comme une allégorie d’une façon de voir la mémoire ? 

NB, Auvergne, fin octobre 2025

Alors que je m’apprêtais à aller voir son exposition dans le Limousin, devant donc me rendre en Auvergne – pour des raisons, voyez-vous ça, très dhôteliennes –, j’apprends la disparition de Gilles Sacksick, le 13 octobre dernier. Il était membre d’honneur de la Route inconnue, du fait de son amitié avec André Dhôtel. Et l’on peut discerner entre les deux créateurs une certaine correspondance d’univers, pourrait-on dire, peut-être.



J'ai écrit il y a quelques années un article sur des correspondances, oui, entre Dhôtel et le peintre Balthus. Certaines de ces correspondances – Balthus et Sacksick sont un peu de la même famille de peintres – peuvent se retrouver entre Dhôtel et Sacksick : des univers ordinaires en apparence, plutôt ruraux, des atmosphères d’attente. J’avais cité en exergue une citation de Jean-Claude Pirotte qui peut illustrer cette correspondance : « Il disait qu’il suffisait de regarder sans préjugé pour découvrir la permanente et merveilleuse innocence du monde, et sa sauvagerie, et cette étrangeté familière qui ménage sans cesse la surprise. » (Préface à la Chronique fabuleuse.)

Capture d'écran - Krickelins

Mais ces dernières nuits de la fin du mois d’octobre, entre Ouest de la France et Auvergne, j’ai assez mal dormi. C’est aussi que je participai à un travail d’inventaire d’une bibliothèque (on en reparlera, peut-être), travail passionnant mais remuant toutes sortes de poussières, comme autant de constellations de pistes de travail et de connaissances, mais… allez comprendre pourquoi : changements de températures, d’altitudes, d’oreillers ? Toujours est-il qu’un mal de tête, par moments, sournois, revenait…
Peut-être aussi qu’une bibliothèque – un peu complète… – est une image d’une vie… qui renvoie à la nôtre, à nos manques, à nos urgences ?

Photo de Tadzio (Björn Andrésen) - Capture d’écran

De retour d’Auvergne, précisément, je musarde sur divers sites. Parmi eux, un blog « gay » (Je suis partout n’est pas ma tasse de thé, mais je vais partout, ou pour le moins çà et là où il y a des choses intéressantes à lire, tant qu’il n’y a pas trop de sectarisme) : Gay Cultes.

Ceci me fait penser à cette réplique du personnage joué par Claude Rich, père de celui joué par Jean-Pierre Bacri (disparus eux aussi) dans le formidable Cherchez Hortense, de Pascal Bonitzer. Père et fils sont dans un restaurant japonais ; le fils se rend compte que son père folâtre avec le serveur charmant. Il lui demande des explications. Le père répond qu’il lui arrive de coucher avec des hommes, mais qu’il n’est pas homosexuel pour autant. Troublé, le fils quitte à un moment la table. Il revient…

« – Ça va mieux ? [Demande le personnage du père.]
– Oui… Parfaitement. [Répond le fils, qui fait mine de s’intéresser à nouveau au dossier qu’il a apporté avec lui, pour demander un service à son père, qui siège au Conseil d’État.] Euh… donc… euh… Mais, j’ai… j’ai pas très bien compris : tu couches, euh, avec des hommes, mais… tu n’es pas homosexuel…
– Il y a en chacun de nous une part de l’autre sexe. Seuls les imbéciles refusent de le reconnaître.
– Peut-être. Néanmoins…
– Je n’ai aucun goût pour ces casiers identitaires ridicules où tout le monde se bouscule pour entrer, pour ce communautarisme répugnant qui cherche à s’imposer partout, créer la haine de tous pour tous et finira par tout détruire. Je couche avec qui je veux. Et personne ne me collera une étiquette. »

Bon, mais tout cela pour dire que dans ce blog-là, j’apprends le décès récent de Björn Andrésen, « världens vackraste pojke », « le garçon le plus beau du monde », d’après un documentaire de 2021, l’acteur suédois de Mort à Venise, l’adaptation par Luchino Visconti du livre de Thomas Mann. (Il en a été question ici, aussi, entre autres là…)

Clic, clic… (Ou clic-clac?) Lits défaits de la mémoire du net.


Nils Blanchard

Retour au musée de l’aquarelle, 2

En 2023, au musée de l’aquarelle de Tjörn, il y avait dans la salle-sas d’entrée une installation de papillons noirs, de Carlos Amorales, in...