lundi 3 novembre 2025

Encore des lits défaits / des disparitions

J'ai parlé déjà de lits défaits du blog (qui n’est pas en lien de celui-ci) Krickelins, qui plus est déjà vaguement de retour d’Auvergne. Draps froissés, traces d’on ne sait quels mouvements, plus ou moins nocturnes, plus ou moins conscients… N’y a-t-il là comme une allégorie d’une façon de voir la mémoire ? 

NB, Auvergne, fin octobre 2025

Alors que je m’apprêtais à aller voir son exposition dans le Limousin, devant donc me rendre en Auvergne – pour des raisons, voyez-vous ça, très dhôteliennes –, j’apprends la disparition de Gilles Sacksick, le 13 octobre dernier. Il était membre d’honneur de la Route inconnue, du fait de son amitié avec André Dhôtel. Et l’on peut discerner entre les deux créateurs une certaine correspondance d’univers, pourrait-on dire, peut-être.



J'ai écrit il y a quelques années un article sur des correspondances, oui, entre Dhôtel et le peintre Balthus. Certaines de ces correspondances – Balthus et Sacksick sont un peu de la même famille de peintres – peuvent se retrouver entre Dhôtel et Sacksick : des univers ordinaires en apparence, plutôt ruraux, des atmosphères d’attente. J’avais cité en exergue une citation de Jean-Claude Pirotte qui peut illustrer cette correspondance : « Il disait qu’il suffisait de regarder sans préjugé pour découvrir la permanente et merveilleuse innocence du monde, et sa sauvagerie, et cette étrangeté familière qui ménage sans cesse la surprise. » (Préface à la Chronique fabuleuse.)

Capture d'écran - Krickelins

Mais ces dernières nuits de la fin du mois d’octobre, entre Ouest de la France et Auvergne, j’ai assez mal dormi. C’est aussi que je participai à un travail d’inventaire d’une bibliothèque (on en reparlera, peut-être), travail passionnant mais remuant toutes sortes de poussières, comme autant de constellations de pistes de travail et de connaissances, mais… allez comprendre pourquoi : changements de températures, d’altitudes, d’oreillers ? Toujours est-il qu’un mal de tête, par moments, sournois, revenait…
Peut-être aussi qu’une bibliothèque – un peu complète… – est une image d’une vie… qui renvoie à la nôtre, à nos manques, à nos urgences ?

Photo de Tadzio (Björn Andrésen) - Capture d’écran

De retour d’Auvergne, précisément, je musarde sur divers sites. Parmi eux, un blog « gay » (Je suis partout n’est pas ma tasse de thé, mais je vais partout, ou pour le moins çà et là où il y a des choses intéressantes à lire, tant qu’il n’y a pas trop de sectarisme) : Gay Cultes.

Ceci me fait penser à cette réplique du personnage joué par Claude Rich, père de celui joué par Jean-Pierre Bacri (disparus eux aussi) dans le formidable Cherchez Hortense, de Pascal Bonitzer. Père et fils sont dans un restaurant japonais ; le fils se rend compte que son père folâtre avec le serveur charmant. Il lui demande des explications. Le père répond qu’il lui arrive de coucher avec des hommes, mais qu’il n’est pas homosexuel pour autant. Troublé, le fils quitte à un moment la table. Il revient…

« – Ça va mieux ? [Demande le personnage du père.]
– Oui… Parfaitement. [Répond le fils, qui fait mine de s’intéresser à nouveau au dossier qu’il a apporter avec lui, pour demander un service à son père, qui siège au Conseil d’État.] Euh… donc… euh… Mais, j’ai… j’ai pas très bien compris : tu couches, euh, avec des hommes, mais… tu n’es pas homosexuel…
– Il y a en chacun de nous une part de l’autre sexe. Seuls les imbéciles refusent de le reconnaître.
– Peut-être. Néanmoins…
– Je n’ai aucun goût pour ces casiers identitaires ridicules où tout le monde se bouscule pour entrer, pour ce communautarisme répugnant qui cherche à s’imposer partout, créer la haine de tous pour tous et finira par tout détruire. Je couche avec qui je veux. Et personne ne me collera une étiquette. »

Bon, mais tout cela pour dire que dans ce blog-là, j’apprends le décès récent de Björn Andrésen, « världens vackraste pojke », « le garçon le plus beau du monde », d’après un documentaire de 2021, l’acteur suédois de Mort à Venise, l’adaptation par Luchino Visconti du livre de Thomas Mann. (Il en a été question ici, aussi, entre autres là…)

Clic, clic… (Ou clic-clac?) Lits défaits de la mémoire du net.


Nils Blanchard

mardi 28 octobre 2025

Balade / traces / forêt

À l'occcasion de ce samedi ensoleillé (dernier jour de l’été en fait cette année), sitôt la « Kartoffelkeller » visitée, j’ai gravi – en voiture… – un peu encore le Mont Louise pour arriver à un point à 1000 mètres d’altitude. De là, d’un lieu où il y a des « Pierres de mémoire » : petite marche ; je me suis un peu enfoncé dans la forêt.

NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)

Mais à propos de voiture, ce lieu, près, autour de l’ancien camp de concentration de Natzweiler, a quelque chose quand même de particulier.
En allant à l’aller au Struthof, sur la petite route en zigzags bien après Rothau, une femme en voiture me coupe délibérément la route, tout en faisant une sorte de signe de la main, d’excuse ? de fatalité ? Elle était à un stop ; démarre juste quand j’allais la croiser.
Heureusement, conducteur somme toute expérimenté, j’avais comme subodoré la chose, n’allais pas très vite (on était de toute façon à un virage) et étais prêt à piler, ce que j’ai fait, tout en déviant à droite pour éviter l’imprudente – ou la folle ?

J'ai pensé à diverses choses, diverses symboliques dont on pourrait parer cette conductrice. Puis bien sûr j’ai eu autre chose en tête.

NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)

Mais j’y ai repensé au moment de ma promenade. Ce lieu.

Il y a là des panneaux qui datent de 2006, posés alors sans doute pour illustrer un « Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme ». De l’autre côté de la route, un panneau détaillé indique les randonnées possibles sur le thème. Il est criblé de balles (ou de jets de pierres?)

NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)


NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)

Itou, il faut en convenir, un panneau à proximité marquant l’entrée d’une zone forestière :

NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)

Des gens par ici ont-ils des pulsions incontrôlables : tirer sur des panneaux (entre autres) mémoriels, couper la route d’autres automobilistes ?

Songe aussi à Benoît Duteurtre, en entendant des motos faire rugir leurs moteurs.

Évidemment, plus vraisemblablement, on a simplement un faisceau de hasards…

Retour à « mon » côté de la route, vers ma balade, et aux panneaux de 2006. L’un est quasiment effacé.
On est presque dans l’archéologie des ferrailles indicatrices.

NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)

On y lit sans trop de difficulté, néanmoins : « “Toi qui marches sur le sentier, libre et sans crainte, / entends le message des pierres, mets-toi debout, deviens sentinelle / œuvre à ce que, plus jamais, le murmure du vent dans les branches / ne soit étouffé par la plainte des opprimés.” Juin 2006 »

Il ne reste que le panneau inférieur (l’inscription) ; le haut du panneau a disparu.
Un peu plus loin, une autre inscription.

« Libre et sans crainte » ?

Celle-ci est criblée de balles aussi, et difficile à lire.

NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)

Écriture (étrangement) manuscrite : « Pierre de la Mémoire // Ici, au point culminant du Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme, / et la croisée des chemins, point de convergence entre passé et futur, / se dresse la Pierre de la Mémoire. / Les pierres couchées, de granit rose, ont symboliquement été prélevées / dans la Grande Carrière du Struthof et représentent l’homme opprimé, / humilié dont les droits fondamentaux ont été bafoués. / La pierre dressée, de granit gris, provient des abords de la RD 130 / menant au village du Hohwald, village natal du Dr Adélaïde Hautval, / médecin résistante, déportée par solidarité. / Cette pierre dressée symbolise / l’Homme debout dans toute sa dignité et sa grandeur. / Que cette Pierre de la Mémoire rayonne dans l’édification de notre futur. »

Plus loin encore, des indications mises à bas.

NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)

Puis c’est la forêt et un étrange silence – hormis quelques pétarades de motos plus ou moins loin – ; une douceur, aussi, de dernier jour d’été.

NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)


NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)


NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)


NB - Struthof (Chemin de la Mémoire et des Droits de l’Homme)


Nils Blanchard


Ajout. – Il y a quelques jours, publication d’une étude de l’OCDE relevant, d’après ce qu’en dit la presse, un mal-être des professeurs un peu partout dans le monde mais notamment en France.
Bon. C’est la même OCDE qui fait paraître régulièrement les pseudo « enquêtes » PISA qui ont consciencieusement sapé depuis des décennies maintenant le travail desdits professeurs.
Une idée d’économie pour le gouvernement : sortir de l’OCDE, ce qui soulagerait la France (ce serait sans doute symbolique, mais…) de sa participation au budget de ladite organisation (5,1 % nous dit-on sur son site), et du « travail » de fonctionnaires, notamment de l’Éducation Nationale, qui sous-traitent les fameuses « enquêtes » PISA ; ceux-là pourraient être mis devant des classes.

Un point néanmoins dont ne saurait être rendue responsable l’OCDE (quoique… n’y conseille-t-on pas de mettre les jeunes élèves devant des écrans?), c’est l’effet délétère, particulièrement sur certains enfants, des « réseaux » « sociaux » et autres smartphones.

– Ajout d’étiquettes de l’article précédent : Télérama, Bernur, Haguenau.



NB

vendredi 24 octobre 2025

Octobre / Deux ans, dix ans après – Une sorte de fuite hors de la réalité

Les jours, semaines, années passent avec les mêmes problèmes, dossiers, qui s’empilent toujours plus lourds sur les bureaux des gens. Face à eux, beaucoup se découragent, n’osent même pas soulever la moindre feuille, s’en prennent aux intellectuels, à l’élite. Ces gens évoquent les « écolos », « punitifs »… alors qu'eux-mêmes s'envoleront comme des poupées de papier sous le moindre souffle argumenté.

NB - Haguenau, octobre… 2024

Deux ans déjà que je voulais citer cet article de Gabrielles blogg (en lien de celui-ci, etc.) du 20 octobre 2023 : « Oktoberblåst » (« Vent d'octobre »).

« 2023 är det varmaste år som uppmätts hittills i världen, och årets september blev den i särklass varmaste septembermånad som noterats. Och vad gör vår usla regering åt klimatet? Det verkar ju gå åt fel håll när det gäller detta som med så mycket annat.
Varma perioder har förekommit tidigare under den tid det funnits liv på jorden, men det farliga nu är att förändringar sker så snabbt. [Elle cite Alasdair Skelton :]”Det är inte temperaturökningen i sig som är farlig, utan det som är farligt i dag är hastigheten. Det som normalt sker på 50 miljoner år händer på 50 år.” »

« 2023 est l’année la plus chaude qui ait jamais été mesurée, et septembre cette année a été haut la main le septembre le plus chaud jamais noté. Et que fait notre triste gouvernement pour le climat ? [Rappel, il est question déjà il y a deux ans du gouvernement de Tidö] On semble être sur le mauvais chemin, en cela comme en bien d’autres choses.
Il y a eu des périodes de réchauffements dans l’histoire de la vie, mais ce qui est dangereux actuellement, c’est la vitesse des changements. [Elle cite Alasdair Skelton :]Ce n’est pas l’augmentation des températures en soi qui est dangereuse aujourd’hui mais sa rapidité. Ce qui se déroule normalement en 50 millions d’années prend 50 ans.” »

Une tarte à la crème : « On ne savait pas, on n’en a pris conscience que très récemment ». Pardon !
J'ai été écologiste dès mon enfance (comme beaucoup d’enfants du reste).
Le nom de René Dumont ne m’était pas inconnu.

Un autre personnage, Claude Lorius, est mort précisément en 2023. Nicolas Delesalle écrivait à son propos dans Télérama, le 27 octobre 2015, à propos du livre La Glace et le Ciel de Luc Jacquet :

« Comment fut récompensé le premier lanceur d'alerte de l'histoire après Cassandre ? On lui écrivit des élégies ? On lui tressa des couronnes de lauriers ? On jeta à ses pieds un tapis de pétales de roses ? Non, Claude Lorius, chercheur au fameux laboratoire de glaciologie et de géophysique de l'environnement de Grenoble, dut affronter pendant presque vingt ans incrédulité, mépris, moqueries et railleries.
Il faut avoir vu le regard condescendant du commandant Cousteau, l'un de ses plus grands contempteurs (avec Claude Allègre) sur FR3, dans une émission présentée par Jean-Marie Cavada à la fin des années 80, juste après la publication dans la revue Nature de trois articles qui prouvaient la corrélation entre la concentration de gaz carbonique et l'élévation moyenne des températures du globe. »

Dieu merci, je n’avais pas la télévision alors. (Ne l’ai toujours pas, si ce n’est via internet…)

NB - Haguenau, octobre… 2024

Via Gabrielle Roland Waldén (Gabrielles Blogg) Alasdair Skelton poursuit, en 2023 :

« ”Resultatet blir klimatzoner som rör sig ofattbart snabbt. Arterna hinner inte anpassa sig. Det är det som är den absolut största faran med dagens uppvärmning (…) »

« ”Le résultat est que les climats évoluent incroyablement vite. Les espèces vivantes n’arrivent pas à s’adapter. Voilà le danger le plus important du réchauffement climatique actuel (…) »

Le problème du climat s’inscrit on le sait au centre d’autres calamités : production puis déversement incessante de plastique dans la nature, réduction des espaces naturels…

En octobre 1923 toujours, un auteur de blog en lien indirect de celui-ci (via Nordic Voices in Translation, Bernur…), Lennart Erling, dans Den långsamma bloggen, évoque un poirier plein de fruits, dont certains sont tombés au sol. Puis :

« Nu varnas för starka vindar, kanske storm. Det brusar i de höga träden. Det viner runt husknutarna. I år har redan tre träd fällts här på gården, knäckta av vinden eller för att de inte kunnat hålla sig upprätt i den vattensjuka marken.

Jag läser Werner Aspenström, omläsning, naturligtvis. Prosaböckerna "Bäcken" och "Sommar", som jag skrivit om här tidigare. Ett slags verklighetsflykt kanske, undan denna onda tid (…) »

« Maintenant s’annoncent des vents forts, peut-être la tempête. Les hautes branches bruissent sous son souffle, qui siffle autour des constructions. Cette année, trois arbres du jardin sont déjà tombés, cassés par le vent ou abîmés par l’humidité inhabituelle du sol. »

Je lis Werner Aspenström – relecture, naturellement. Les livres en prose Bäcken et Sommar sur lesquels j’ai déjà écrit quelque chose ici. Une sorte de fuite hors de la réalité peut-être, hors ces temps mauvais (…) »

Werner Aspenström (l'homme, pas le chat) - Capture d'écran

D
epuis, ce blogueur, Lennart Erling, est décédé. Reste à lire Werner Aspenström.


Nils Blanchard

dimanche 19 octobre 2025

Publications / Pistes de Travail

Hasard des services postaux, des commandes, des réceptions d’articles… reçu il y a peu deux publications : le dernier numéro de Kustbon, dans lequel un dossier de quatre pages est consacré à l’hebdomadaire Sovjet Estland, en lien à l’article de Nordiques. Reçu aussi le livre que j’évoquais sur Jeanne Letourneau, Clichés barbares.

NB - Hapsal (Estonie), vue de l’Aibolands Museum

Ce numéro de Kustbon est passionnant. Plusieurs sujets : l’exposition à Tallinn sur les Esto-Suédois (annoncée déjà ici). Aussi, des textes sur la petite île d’Odensholm (notamment au moment de la Seconde Guerre mondiale), île qui a été un de mes premiers centres d’attention au début de mes recherches sur Elmar Krusman, ceci pour des raisons aussi passionnantes qu’improbables ; j’y reviendrai peut-être.
Il est question aussi d’un étrange jugement, avec des Esto-Suédois impliqués, concernant un vol (présumé) sur une épave en 1756 ; mais plusieurs des prévenus meurent en prison.
(Quand on visite la prison de Marstrand, on voit un autre décor que celle de la station balnéaire riante de l’été ; on n’est pas très étonné que des prisonniers pussent décéder au dix-huitième siècle avant leur jugement, dans les prisons du Nord…)
D'autres articles encore, nouvelles diverses (dont la chronique des anniversaires et décès, où je retrouve étrangement des noms de moi connus, rencontrés au cours de mes travaux…), en Estonie et en Suède.

NB - Estonie, région d’où était originaire Elmar Krusman

Bien, puis sur quatre pages (34-38) : recension de l’article de Nordiques avec divers commentaires et des textes issus de Sovjet-Estland. Le tout, réalisé par Mattias Reinholdsson. (Et j’y apprends que mon livre a rejoint la bibliothèque de la SOV à Stockholm où il y a plus de 600 autres volumes sur le thème des Esto-Suédois et de l’« Aiboland » – les régions par eux fréquentées autrefois en Estonie.)

Fra Angelico, L’Annonciation - Wikipedia

J'ai reçu aussi ce livre, que j’évoquais il y a quelques jours, consacré à cette professeure d’arts plastiques rescapée du camp de Ravensbrück.
Comme il avait été dit au colloque de fin septembre, la finalité première des dessins des camps – essentielle, voire unique pour leurs auteurs – était le témoignage.
En l’occurrence, ceux de Jeanne Letourneau accompagne des pages de récit écrites peu après la guerre.

Le récit est passionnant et méritera une plus ample étude. En une quinzaine de (grandes) pages, on entre dans l’expérience de déportée de Jeanne Letourneau par petites touches, « petites » expériences qui sont autant de cas d’école, cas d’études sur le système concentrationnaire. L’auteure écrit avec sobriété ce qu’elle a vu, expérimenté, sans essayer d’en dire plus qu’elle ne sait, sans cacher non plus ce qui est difficile à dire.
Les gardiennes (Aufseherin), plus ou moins inhumaines, les relations avec les autres déportées de divers âges et nationalités, relations particulières dans ce camp de femmes parce qu’apparaissent çà et là aussi des enfants (garçons parfois), les transferts, les appels…
À cet ensemble, la professeure de dessin qu’était Jeanne Letourneau ajoute des réflexions, très courtes, passagères – c’est comme malgré elle – artistiques. Ainsi rencontre-t-on au détour du récit, aussi inattendus soient-ils, Fra Angelico ou Dürer. On parle aussi çà et là du Moyen Age, ce qui rejoint la conclusion de mon livre (ou plutôt, ce en quoi mon livre rejoint Clichés barbares…), mais, oui, on en reparlera.

Le terme « barbares », du titre, est étrange. Il peut désigner ce qui est fondamentalement étranger à l’expérience de vie antérieure de la déportée. Page 67 : « Que devenait parmi ces rebuts d’humanité aux mœurs les plus dépravées une pauvre prisonnière politique appartenant à un milieu honnête et sain ? » Il peut désigner ce qui est cruel et inhumain, au sens moderne du terme (page 73) : « On pense aux temps barbares aux “Brunehaut” et aux “Frédégonde”, à ces récits lus dans notre enfance en frémissant d’horreur. »

Le tout est très bien présenté par des auteurs locaux ; on y lira notamment avec intérêt divers développements sur la résistance en Anjou.


Nils Blanchard


Étiquette rajoutée du dernier billet : ONU.

mardi 14 octobre 2025

Retour de Paris et lit défait

Passé deux jours à Paris, pour diverses raisons bien sûr, et surtout pour le Salon de la revue, qui avait lieu à la Halle des Blancs-Manteaux, où il y avait, entre autres… La Route inconnue, l’association des Amis d’André Dhôtel, qui était représentée avec ses bulletins, ses cahiers…

NB - octobre 2025, Paris, rue G. Geffroy

Outre la Route inconnue, au salon, pêle-mêle, la revue La Rocambole, sur le roman populaire, La Faute à Rousseau, de l’APA (association pour l’autobiographie), les Cahiers Charles Fourier, les Études Romain Rolland, Jean Paulhan et ses environs, La Revue des revues bien sûr, L’Actualité Verlaine et… Le Haïdouc, des Amis de Panaït Istrati. Je ne cite qu’une petite partie de ce que j’ai repéré ; il y avait à faire… 
Ah, on me parle aussi des Nouveaux Cahiers Castoriadis. J’avoue que j’ignorais Cornélius Castoriadis, dont, pourtant, la biographie (Wikipedia….) me ramène à diverses pistes…

J'avoue… n’avoir pas été très consciencieux. J’ai un peu tenu le stand André Dhôtel bien sûr, me suis un peu promené… Puis j’ai chopé à un moment mal à la tête. C’était peut-être un appel de Paris. Je suis sorti marcher…

NB - octobre 2025, Paris, vers la rue Mouffetard

À cette marche-là ou à une autre – souvent, ces derniers temps notamment… je marche beaucoup à Paris ; flemme d’aller à telle exposition ou rencontre pourtant prévue ; je préfère me promener… « Ces derniers temps »…, sans doute tout simplement parce que je ne vis plus à Paris ; j’y vais peu de temps, plus ou moins mal posé dans des hôtels de hasard… J’y suis comme vagabond, ce n’est pas complètement désagréable. Vagabond de luxe : de quelques heures, et logé, nourri, blanchi… –, je me suis retrouvé place de la République.

NB - Paris, 12 octobre 2025, Place de la République

Là, je discerne ce tag sur le socle de la statue, appelant à « détruire Israël », à « abolir le sionisme », le tout dans un globish conquérant…
Dénoncer les atrocités du gouvernement actuel d’Israël est une chose, appeler à la destruction d’un État reconnu par l’ONU en est une autre, qui fleure de bien mauvaises odeurs.

Capture d’écran, Ville de Paris


Au cours de mes promenades, des panneaux publicitaires souvenirs de la panthéonisation de Badinter évoquée au dernier billet. Sur cette photo-ci (que j’ai récupérée sur internet), un cycliste.
J'ai eu l’impression cette fois à Paris que les cyclistes s’étaient mis un peu au pas ; ils viennent moins frôler le marcheur que dans mon souvenir. C’est une trop grande ville ; les piétons se défendent – il y a qui plus est une certaine tradition de râlerie. En plus, les cyclistes eux-mêmes sont boutés un peu hors par leurs cousins motorisés : trottinettes, vélos électriques et autres étranges engins à grosses roues, hydres particulièrement laids entre des vélos et des motos (peut-être ces choses ont-elles un nom?)
À Strasbourg, l’affaire est tout autre. On y verra peut-être bientôt fleurir des panneaux d’interdiction de passage aux piétons sur les trottoirs…

Bien. Mais le lit défait, là-dedans ?

C'est qu’au retour à ce qui est encore chez moi, en ce moment (à Haguenau), je furète sur quelques blogs où j’ai coutume d’aller de temps en temps. Kristin Lagerqvist (blog Krickelins), dont je parlais il n’y a pas si longtemps, remet ça avec son lit défait, que d’un côté, etc.
Elle s’apprête à le retrouver (le lit) :

« (...) jag är på väg till mitt paradis och jag kan knappt bärga mig. Uppe i ottan, faktiskt tidigare än jag behöver men jag har vaknat två gånger i timmen hela natten. Varför gör man alltid det när man vet att man ska upp tidigt? Är det för att kroppen är så rädd att försova sig så den inte riktigt somnar kanske…? »

« (...) je m’apprête à rejoindre mon paradis et je trépigne d’impatience. J’étais debout à l’aube, clairement plus tôt que nécessaire, mais je me suis réveillée deux fois par heure toute la nuit.
Pourquoi en est-il toujours ainsi quand on sait qu’on va se lever tôt ? Est-ce parce que le corps craint de ne pas se réveiller et qu’il ne s’endort pas réellement… ? »

La photo est la même que celle évoquée là. Je n’avais pas remarqué le livre ouvert.

Sur le mien, de lit défait, un Panaït Istrati que je me suis procuré au salon de la revue…

Mais le mien, de lit, est défait, mal fait, pour d’autres raisons sans doute que pour celui de K. Lagerqvist. C’est en lien à ce vagabondage dont je parlais sans doute ; vagabond en ma ville (ou l’une d’elles), mais mon logement est dans un ailleurs que je quitterai vraisemblablement assez vite (raisons professionnelles, etc.)


Bon, mais quant au sommeil ; je me rends compte que j’en ai bien peu parlé ici.

Eh, oui, deux fois par heure…

Il y a une exposition au musée Marmottan-Monet ; j’aurais pu aller la voir avec moins de flemme ; il n’est pas trop tard, bien sûr… Si j'ai bien dormi.

En lien au dernier billet, on sait qu’Hypnos était frère jumeau de Thanatos.



Nils Blanchard


jeudi 9 octobre 2025

Cohorte

« Forcé » encore une fois d’écrire un billet de circonstance.

La nuit précédant l’entrée au Panthéon de Robert Badinter, sa tombe a été profanée à Bagneux.

Édition suédoise du Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo

Je ne peux m’empêcher de plonger les gens qui ont fait ça dans cette cohorte des anonymes – parmi lesquels les gens qui s’« expriment » derrière on ne sait quels pseudonymes sur des « réseaux » « sociaux », et s’en croient très utiles et intelligents.

Je ne sais trop que penser du système du Panthéon. En revanche, Robert Badinter – et, puisque sa tombe a été profanée, les siens –, l’abolition de la peine de mort, la dépénalisation de l’homosexualité (re-pénalisée auparavant par Vichy)… sont – quel qu’en soient les manières de leur rendre hommage – de bonne mémoire pour notre pays.

Rien à voir, quoique… Ces derniers mois, j’ai été confronté à des usurpations d’identité sur je ne sais (ne veux savoir) quels « réseaux » « sociaux », anonymement cela va sans dire (pour leurs « auteurs »).
(Je me suis tout de même fendu du remplissage d’un « formulaire » aux tenanciers de l’un de ces « médias »… ledit formulaire étant à peu près incompréhensible à l’honnête homme, utilisant des termes tels que « profil Threads »…)

Retour aux honnêtes gens ; Julien Clerc, entre autres… 

« Mais on ne peut certains jours
Ecrire des chansons d'amour »


Nils Blanchard


Rajout d'étiquettes du dernier billet : Tidö, Stockholm, ONU, Israël, extrême droite;

mardi 7 octobre 2025

Les saisons d’un blog… / Ticket 171

Les saisons d’un blog tournent plus vite que celles des maraîchers souriants de la réalité. (Sans compter qu’un média numérique reste, quoi qu’on fasse, numérique. On me dira que les livres aussi ont leur irréalité ? Peut-être…) 
Par ailleurs, je n’aime pas courir après l’actualité, mais…

NB - Automne, l’année dernière

 Ces pensées un peu à tort et à travers, parce qu’après l’annonce récemment de la mort d’un blogueur (qui était en lien indirect de ce blog – j’en reparlerai), je viens d’apprendre celle de Gabrielle Björnstrand, dont le blog Gabis Annex est en lien direct, lui, de ces pages.
C'est l’autre Gabrielle (en lien direct aussi, et à propos de laquelle je voulais justement dire quelques petites choses, depuis quelque temps – mais les articles s’encombrent en ce moment au point de « publication » ; « publications » que j’ai pris le parti de restreindre à environ six, sept par mois…) qui a annoncé sa disparition sur son blog

Il y avait comme une teinte d’éternel dans le blog Gabis annex, quand y étaient évoqués les paysages du nord de la Suède, les gens vivant là-haut, les particularités et problèmes pratiques liés au climat (froid, neige, isolement… lumières…)

NB - Automne, l’année dernière

Jean-Jacques Birgé, lui aussi en lien indirect, etc., écrivait dans son blog le 23 septembre 2024 – une année sur un blog passe à peu près comme quelques secondes, quand il en reste une trace copiée-collée quelque part… – ; « Avec le temps je me suis aperçu que la mémoire se fige et que nous finissons par toujours raconter les mêmes histoires, et surtout de la même façon. Il en est une que je me suis vu réitérer récemment. »

Précisément, l’intérêt d’un blog peut être de sortir de ses « bulles mémorielles » (qui doivent être plus ou moins imperméables d’une personne à l’autre) pour prendre du recul vis-à-vis de ses idées et expériences, faire des liens avec d’autres pensées. En bref : faire œuvre d’intellectuel. (Encore faut-il ne pas déverser ses âneries vomitives, non mâchées, comme je ne sais quelle bile, en réagissant sans recul à tout ce qui passe à portée.)

On vit dans un monde où l’on dispose de tellement d’informations, intéressantes souvent quand même pour peu qu’on aille les chercher ; où, peut-être – allez… sans doute – aussi, des évolutions ont cours comme jamais – crise écologique, intelligence artificielle, crise des démocraties… – qu’il est difficile de garder, précisément, ce recul.
Que faire œuvre de blogueur intellectuel relève d’un certain équilibrisme…

NB - Automne, l’année dernière

Un danger qui guette le blogueur, tel en tout cas que je semble me voir dans la glace, c’est de s’enfermer dans un « intérieur numérique ».
Aussi, qu’on le veuille ou non, ce blog – à plus ou moins courte échéance – est mortel (non, je ne paraphrase pas Valéry) et c’est très bien ainsi, salvateur. Il est une parenthèse.

« Intérieur numérique », cependant… Oui, mais liens, numériques, aussi. Ainsi ai-je l’impression que Gabrielle Roland Waldén de « Gabrielles blogg », que je n’ai jamais rencontrée ni même contactée (ça viendra peut-être un jour), qui pousse des coups de gueule contre les criminels contre l’humanité que sont Netanyahou et son gouvernement (Gabrielle Björnstrand le faisait aussi), ou contre l’alliance Tidö, mâtinée d’extrême droite, au pouvoir en Suède, contre l’agression russe en Ukraine… et qui s’intéresse par ailleurs à un navigateur du dix-huitième siècle (et à Stockholm!), est comme une vieille connaissance.

Et voilà que précisément, elle parle le 1er octobre (2025) de salle d’attente :

« Går till Provtagningen på det stora sjukhuset. Trycker fram en kölapp i apparaten. Jag sätter mig så att jag kan se när könumren ändras ovanför de 5-6 rum där proverna tas. 171 står det på lappen. Ser mig omkring. Här sitter 10-12 personer i olika åldrar och väntar. Flera står också lutade mot väggen vid ingången till det stora väntrummet. »

« Je suis allée faire des analyses au grand hôpital. Pris un ticket de queue. Je m'assois de telle manière que je puisse voir les numéros défiler au-dessus des cinq-six salles où l’on fait les tests. Mon ticket indique 171. Je regarde autour de moi. Il y a là dix-douze personnes de différents âges qui attendent assises. D’autres sont aussi debout contre le mur près de l’entrée principale. »

Puis de décrire différentes scènes autour d’elle. Les gens parlent peu. La blogueuse se demandera finalement si ce ne serait pas le moment, pourtant, de parler, de réchauffement climatique..., de quoi d’autre encore ?

« Väntrum på sjukhus är ofta så här. Det är tyst tyst tyst.
Alla de som väntar på sin tur har ju något hälsoproblem som ska åtgärdas och nu måste blodprov tas. Hur tankarna går hos dem som väntar går inte att veta. »

« Une salle d’attente d’hôpital est souvent ainsi. C’est silencieux silencieux, silencieux.
Tous ceux qui sont là ont un problème de santé à résoudre, et maintenant il faut faire un test sanguin. À quoi pensent les autres, on ne peut pas savoir. »




Ajout. Sur le temps qui passe… Plus de deux ans depuis l’ignoble 7 octobre. S’en sont ensuivi (le Hamas l’avait en partie prévu sans doute) la riposte-vengeance tous azimut du gouvernement mâtiné d’extrême droite d’Israël, les intenables atteintes aux civils de Gaza.
Dans le Göteborgs Posten, le 16 septembre dernier, Henri Ascher (pédiatre, professeur à l’Université de Göteborg) écrit (dans le cadre d’une polémique sur l’antisémitisme en Suède, ses liens avec les événements en Israël…) :

« Om man verkligen på allvar vill bekämpa antisemitismen krävs det åtminstone tre saker: Det första är, som Göran Rosenberg nyligen pekat på, att journalistiken är sanningsenlig. Det andra, att man erkänner att judar i Sverige inte är en stereotyp, enhetlig massa utan människor med olika uppfattningar och upplevelser: en del av ökad antisemitism, andra av rädsla för det och många som inte alls har sådana erfarenheter. Det tredje är att man slutar med den farliga urvattning av antisemitismbegreppet som det innebär när man använder det i politiska syften för att tysta kritik mot det som FN betecknar som brott mot mänskligheten och som även förintelseforskare, judar över hela världen liksom israeliska författare och mänskliga rättighetsorganisationer betecknar som folkmord. »

« Si l’on veut sérieusement lutter contre l’antisémitisme, il faut trois choses : La première est, comme Göran Rosenberg l’a récemment montré, que le journalisme soit fiable. La deuxième est que l’on reconnaisse que les juifs en Suède ne constituent pas un stéréotype, une masse uniforme de gens sans opinions ou expériences – expériences pour une part d’une montée de l’antisémitisme, pour une autre de son appréhension, et une autre grande part qui n’a pas du tout ces expériences-là. La troisième : mettre fin à la dangereuse banalisation du concept d’antisémitisme, utilisé à des fins politiques pour faire taire les critiques contre ce que l’ONU qualifie de crimes contre l’humanité, ainsi que des chercheurs spécialistes de la Shoah, des juifs à travers le monde entier, des écrivains israéliens ou des organisations de défense des droits de l’homme, qui parlent de génocide. »

Ça me semble sensé…


NB

Encore des lits défaits / des disparitions

J'ai parlé déjà de lits défaits du blog (qui n’est pas en lien de celui-ci) Krickelins , qui plus est déjà vaguement de retour d’Auvergn...