mardi 16 décembre 2025

Vélos, égarement… En Suède aussi

Dans l’« égarement », en faisant de l’étymologie un peu fantaisiste peut-être, il y a le fait de ne pas se « garer », de rester libre et en mouvement. Ce qui n’est pas à confondre avec le fait d’être perché sur une selle, de fondre sur des gens en leur reprochant simplement d’être, parce qu’on se croit soi-même / parce qu’on est à la mode. Parce qu’on a bâti une sorte de rail virtuel dans sa cartographie interne auquel on voudrait que tout le monde se réfère.

Elias Martin, Göteborg, années 1780 ; Göteborgs Stadsmuseum - Capture d’écran

Un certain Roland Holm, le 21 juin dans le Göteborgs Posten (dans un article de lecteur, « Fria ord » est-il précisé avant l’article (« Paroles libres ») exprime les choses de la sorte :

« Den som rör sig fort – särskilt på cykel – tycks i dag ha tolkningsföreträde, medan fotgängaren betraktas som ett hinder. Denna kultur är inte bara farlig, utan också ett uttryck för en större samhällelig förskjutning där omtanke och respekt får stå tillbaka för självupptagenhet och arrogans. »

« Celui qui avance vite – surtout à vélo – semble jouir aujourd’hui de la priorité, lors que le piéton est considéré comme un obstacle. Cette vision des choses n’est pas seulement dangereuse, c’est aussi l’expression de quelque chose de plus profond dans notre société, où sollicitude et respect doivent laisser la place à l’individualisme et l’arrogance. »

« Självupptagenhet » (le fait littéralement d’être occupé par soi-même) ; on revient à ce que l’on disait des écrans.
L'auteur poursuit – il évoque Vasagatan ; n’est-ce pas dans ce quartier que vit Erik Winter, dont la dernière enquête (eh ! Il ouvrit quasiment ce blog…) vient de sortir ? On en reparlera très vraisemblablement… – :

« Flera gånger i veckan bevittnar jag, eller själv utsätts för, cyklister som i mycket hög fart passerar fotgängare utan att sänka farten, visa tecken på samförstånd eller lämna utrymme. I morse höll jag på att bli påkörd. »

« C'est plusieurs fois par semaine que je suis témoin, ou cible, de cyclistes qui frôlent à toute vitesse les piétons, sans ralentir, sans prendre en compte l’autre ni lui laisser d’espace. Ce matin encore j’ai failli être renversé. »

Elias Martin, Göteborg, années 1780 ; Göteborgs Stadsmuseum - Capture d’écran


Me revient à l’esprit cet argument du « Partagez la route ». Partager, cela signifie d’abord respecter l’autre, pour ce qu’il est. On est parfois face à des gens qui « planent » tellement – pardon, on nage dans une telle irrationalité (crétineries véhiculées par les réseaux sociaux, dingos développant leurs petites sectes dans leur coin…) –, qu’il faut parfois revenir aux réflexions les plus simples. C’est ce que fait Roland Holm :

« Det finns människor som är äldre, ser dåligt, har nedsatt hörsel eller svårt att röra sig. Ska dessa behöva analysera cyklisters rörelsemönster från 20–30 meters håll för att avgöra om de törs ta ett steg ut? Det är inte rimligt. Ändå verkar det vara just det som förväntas. »

« Il y a des gens plus âgés, qui voient, entendent mal, ou ont des difficultés à se mouvoir. Faut-il que ces gens dussent analyser vingt, trente mètres à l’avance le schéma de déplacement du cycliste pour anticiper une retraite ? C’est fou. C’est pourtant ce qu’on semble attendre d’eux. »

Puis de développer :

« Men det är cyklisten som är den snabbare, starkare parten – precis som bilisten i möte med cyklisten. I alla andra delar av trafiken gäller principen att den som är starkare ska ta större hänsyn. Varför frångår vi detta när det gäller fotgängare? »

« Mais c’est le cycliste qui est le plus rapide, le plus fort – comme l’automobiliste l’est par rapport au cycliste. Partout ailleurs dans le trafic, on considère que c’est au plus fort de faire le plus attention. Et pourquoi pas quand c’est le piéton qui est concerné ? »



Je n’avais pas spécialement remarqué ces problèmes en Suède jusqu’à présent, à part une nuit, un vélo qui m’avait foncé dessus (le cycliste était ivre), et que j’avais envoyé, par réflexe, et plutôt involontairement, dans le décor. Le pays traînait plutôt la réputation d’une excellente organisation en la matière, avec de « vraies » pistes cyclables, bien délimitées, et des « usagers » respectueux de leurs concitoyens, à la « nordique ».
Il est vrai que cela fait quelque temps que je ne me suis vraiment promené à Göteborg, chassé par les travaux qui m’ont rendu la ville impénétrable et infréquentable.
Ce qu’a noté le romancier Åke Edwardson aussi – il en a parlé dans Det trettonde fallet (Le treizième cas)… – ; je ne suis pas complètement fou…


Nils Blanchard

jeudi 11 décembre 2025

Impérialisme et folie

Il y a en lien de ce blog le site consacré à Gammalsvenskby : Svenskbyborna. On peut le lire en anglais et en suédois. En haut, juste en dessous le menu déroulant des différentes rubriques, une page spéciale, depuis plusieurs années maintenant : « Kriget / War information ». Faut-il traduire ?
Gammalsvenskby se situe non loin de Kherson…

NB - Canal de la Marne au Rhin, novembre 2025

La guerre / Informations de guerre. Elles se suivent et se ressemblent souvent, bien malheureusement.

Par exemple (les articles sont de Sofia Hoas) : « Rapport från Gammalsvenskby den 7  november 
Gammalsvenskby (Zmiivka) är i stort sett jämnad med marken. Endast tre personer finns kvar i byn.
Området utsätts fortsatt för ryska bombningar och vägarna är minerade.
Vi fortsätter att hjälpa internflyktingarna från byn som finns kvar i området.
() »

« 7 novembre ; rapport de Gammasvenskby
Lammalsvenskby (Zmiivka) est en grande partie rasée. Seules trois personnes sont encore dans le village. La zone subit toujours les bombardements russes et les routes sont minées.
Nous continuons à aider les réfugiés du village qui se trouvent toujours dans la région.
() »

Cela faisait déjà pas mal de temps qu’ils n’étaient plus que trois.

Site Svenskbyborna, capture d’écran

Plus récemment : « Rapport från Gammalsvenskby den 16 november
Gammalsvenskby/Zmiivka är i stort sätt totalförstörd. Det finns bara två personer kvar. En äldre kvinna som var kvar har avlidit. Ryska armén fortsätter sina terrorbombningar och vägarna är minerade.
Vi fortsätter hjälpa internflyktingarna från byn, som finns kvar i området, utom artilleriavstånd.
Även dessa byar utsätts nu allt oftare för ryska drönarattacker.
() »

16 novembre ; rapport de Gammasvenskby
Gammalsvenskby / Zmiivka est en grande partie totalement détruite. Il ne s’y trouve plus que deux personnes. Une vieille femme qui était encore là est décédée. L’armée russe poursuit ses bombardements de terreur et les routes sont minées.
Nous continuons à aider les réfugiés du village qui se trouvent toujours dans la région, hors de portée de l’artillerie.
Même ces villages sont maintenant soumis de plus en plus souvent à des attaques de drones russes. 
() »

Plus que deux.

NB - Canal de la Marne au Rhin, novembre 2025

Victor Hugo, évidemment ; « Si l’on n’est plus que mille, eh ! bien, j’en suis ! Si même / Ils ne sont plus que cent, je brave encore Sylla ; / S’il en demeure dix, je serai le dixième ; / Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ! »

Mais cette citation a-t-elle quelque chose de pertinent en l’occurrence ? On ne dit pas que les deux habitants restant sont là de leur plein gré.
Peut-être sont-ils trop vieux pour partir ; ou parviennent-ils à aider d’autres habitants des alentours.

NB - Canal de la Marne au Rhin, novembre 2025

Guerre purement impérialiste (du côté russe), à quoi s’ajoute une obstination qui confine à la folie.
Un « simple » empereur ne s’entêterait pas dans une guerre qui va bientôt atteindre ses quatre ans ; et combien de morts ?
Même Napoléon III, que Hugo pourfendait, s’est rendu à Sedan (après moins de deux mois de guerre). Ça se lit très bien, dans Zola, La Débâcle.


Nils Blanchard


Ajout. - On ne va pas commenter infiniment les propos de D. Trump. Le Göteborgs Posten néanmoins de relever récemment (via l’agence de presse suédoise TT) les propos du président américain dans une interview le 9 décembre : « – Vi hade ett möte och jag sade: ”Varför tar vi bara in folk från ’skithålsländer’ (shithole countries)? Eller hur? Varför kan vi inte få lite folk från Norge, Sverige? Bara ett par”(…) » (« – J’ai dit lors d’une rencontre : ”Pourquoi n’accueillons-nous que des gens de pays ’trous à rats’ (shithole countries)? Non ? Pourquoi ne pourrions-nous pas prendre aussi des gens de Norvège, Suède ? Quelques uns”(…) »)
Quand on pense, parmi bien d’autres choses, que le vice-président de ce monsieur a eu une audience avec le pape François, la veille de la mort d’icelui…
L'article de GP de commenter, par ailleurs : « ”Skithålsländer"-kommentaren 2018 väckte ramaskri världen över och Trump själv påstod att han blivit felciterad. Nu erkänner han alltså att det faktiskt var det han sade (…) » (« Ce commentaire sur les ’trous à rats’ de 2018 avaient entraîné un tollé dans le monde entier et Trump avait alors prétendu avoir été mal cité. Il reconnaît donc à présent que c’était bien ce qu’il avait dit. »)

- Ajout d’étiquettes du dernier billet : Elmar Krusman, Martin Fahlén, Roxana Azimi, États-Unis, Maryland.

samedi 6 décembre 2025

Sujets d'hiver

C'est peut-être l’hiver qui rend mes sujets plus sombres. Mais une certaine actualité aussi, et malgré tout.

NB - Novembre 2025

Il y a déjà bientôt un an, il a été fait allusion ici (en post scriptum…) un projet de surtaxer les « non-Européens » dans les musées nationaux français.
La chose semble malheureusement confirmée ; Roxana Azimi écrit dans Le Monde, le 27 novembre dernier : « La machine est lancée : dès janvier 2026, le Louvre, Versailles, la Sainte-Chapelle, l’Opéra de Paris et le château de Chambord appliqueront une tarification différenciée à l’adresse des visiteurs extra-européens. Tous font le pari que les touristes ne mégoteront pas une dizaine d’euros supplémentaires pour remonter le temps avec Marie-Antoinette, faire un selfie devant La Joconde, grimper le monumental escalier de Garnier ou communier devant de sublimes vitraux gothiques. Les grands musées le répètent en boucle : plus un touriste vient de loin, moins il renâcle à la dépense. »
Il est vrai que faire des milliers de kilomètres pour faire des « selfies » n’est peut-être pas ce qu’il y a de plus intéressant, néanmoins : ne nous honorerions-nous pas, au contraire de ces calculs de mauvais managers, d’accueillir au mieux les gens venant de loin plutôt que les plumer ?
N'a-t-on pas là de ce mauvais trumpisme que l’on dénonce pourtant à l’envie dans les dîners en ville : plus les gens viendraient de loin, plus ils mériteraient de payer…
Encore une fois : non. Et particulièrement pas dans les musées.

NB - novembre 2025

On me dira que ce n’est pas chose importante, et c’est peut-être vrai somme toute. Mais m’exprimant en ce blog « Suédois d’ailleurs », qui s’intéresse, aussi, avant tout peut-être, à des gens en marge des grandes communautés, en marge, ou en parallèle… venant d’ailleurs – malgré tout – d’une certaine manière à la rencontre de… voulant pouvoir s’arrêter, regarder, échanger… sans qu’on les enferme dans la case « touriste à plumer »…
Et à propos de mon livre Elmar Krusman, Martin Fahlén me disait récemment au téléphone qu’il avait l’intérêt, aussi, de traiter – indirectement – de petites nations, de leur droit d’exister avec les grandes, d’être également respectées dans un « concert » – bien cacophonique de nos jours – des nations. Mais cela ne passe-t-il pas par le respect – l’accueil – des gens, traités non comme des chiffres dans une case, mais comme des voisins, des hôtes ?

À Hongkong, un drame – incendie de hautes tours – digne des pires films apocalyptiques a eu lieu le 26 novembre. Le bilan s’élève à plus de 150 morts.
On avance, parmi les causes du drame, un défaut des alarmes et des négligences sur un chantier de rénovation. Cela ramène aux causes de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris, qui était à l’origine de ma digression, en janvier 2025, sur l’annonce de la hausse des tarifs d’entrée aux musées pour les étrangers. 
Peut-être peut-on comparer l’histoire de Hongkong sur plus d'un siècle à celle de Suédois d’Estonie, de suédophones de Finlande, ceux des îles d’Åland par exemple, du fait de l’occupation britannique qui a entraîné, en théorie, un statut particulier du territoire ensuite.
Je me souviens avoir assisté à la télévision à la cérémonie de rétrocession de Hongkong à la Chine (1er juillet 1997) ; le prince Charles saluant l’Union Jack…

C'était une autre époque. Le concert des nation était, peut-on penser, plus ordonné ; on croyait, un peu, au respect de la parole donnée.

NB - novembre 2025

L'année suivante, j’ai travaillé quelques mois aux États-Unis, dans le Maryland. J’y ai rencontré des gens formidables. À New York, les tours étaient toujours debout.
Ce qui s’est passé depuis…


Nils Blanchard


Ajout d’étiquettes du dernier billet : Musée de l’aquarelle, Paris, Anna-Lisa Unkuri, galerie Guillaume, Carin Ellberg, galerie Andréhn-Schiptjenko.

lundi 1 décembre 2025

Retour au musée de l’aquarelle, 2

En 2023, au musée de l’aquarelle de Tjörn, il y avait dans la salle-sas d’entrée une installation de papillons noirs, de Carlos Amorales, intitulée Nuages noirs. Il était expliqué que la chose, qui donnait une impression un peu oppressante, était constituée de 15 000 papillons.

NB - Carlos AmoralesAqvarellmuseet, 2023


Quelque chose d’un peu japonais, comme ces origami de grues pour le pèlerinage des Sept divinités du bonheur (roman de Keigo Higashino).

NB - Carlos AmoralesAqvarellmuseet, 2023


Bon, mais on avait laissé le billet précédent sur les noms de Arne Jacobsen, Sofia Delaunay, Josef Frank, artistes du vingtième siècle.

Arne Jacobsen était un architecte danois, dans la mouvance du fonctionnalisme. Ayant des origines juives, il passe les deux dernières années de la guerre en Suède, où il se consacre à la peinture de motifs pour impressions.
Cela donne lieu à des fêtes florales dont les couleurs et la beauté printanière contrastent avec les raisons de son séjour en Suède.

NB - Arne Jacobsen, détail, Aqvarellmuseet, 2025

Parenthèse de deux ans dans une vie, après quoi Jacobsen retourne à son architecture – avec vues sur la nature par les ouvertures…

NB - Arne Jacobsen, détail, Aqvarellmuseet, 2025

Vieux rêves de vie à la campagne ; Alphonse Allais, etc. Mais Duplomb and co nous enseignent que l’on s’est bien compliqué la vie. Ne prend-on le risque, en habitant certaines campagnes en France (et ailleurs sans doute aussi) de contracter cancers, alzheimer et autres joyeusetés parkisonniennes, du fait de pesticides ?
Quant à la civilisation urbaine et ses plastiques…

J'ai été voir récemment Héloïse Combes, dans une vallée retirée des Cévennes. Là, bourgs anciens comme forêts semblent traverser les injures de nos temps presque sans encombres.
Oui, mais une électrosensible peine néanmoins à y trouver de parfaites « zones blanches » ; et des arbres, m’a-t-il été signalé, ont souffert de la chaleur excessive.

L'étrange dans cette nature néanmoins est, semble-t-il, sa capacité à dépasser l’homme – en bien et en « mal ». Les motifs des peintres et architectes le montrent : il y a une beauté comme extérieure. Un autre monde ?

L'embrasement des siècles, page 126 (éditions Sous le Sceau du Tabellion), dans le poème « La force de plier » – plier des origami ?… – :

« Mon corps et les arbres
Rêvent
Mon corps est un saule
L'aulne est un poème
Le poème est mon corps de faunesse
Que fomente l’esprit des bois

Il est rugueux ce poème
Et vois cet érable éthéré
Qui japonise avec la brume

Mon corps les lie avec sa sève »

NB - Bohuslän

Bon, mais Sofia Delaunay. Elle a quelque cousinage historique avec Edith Södergran. Ayant des origines juives comme Arne Jacobsen, elle est née en Ukraine (du temps de l’Empire russe) et, enfant, a vécu à Saint-Pétersbourg et passé de ses étés en Finlande. Elle a créé ce qu’on appelle l’orphisme, en 1911, ayant rejoint Paris.
On connaît son deuxième mariage qui lui donne son nom de Delaunay. Là, toutes sortes de ponts d’intérêt seraient à développer, ses relations avec le dadaïsme, des peintres comme Léopold Survage, André Lhote… Elle participe à l’exposition des arts décoratifs de 1925
On reparlera peut-être de ceci ou cela.

À Tjörn, couleurs de tableaux abstraits.

NB - Sofia Delaunay, détail, Aqvarellmuseet, 2025


NB - Sofia Delaunay, détail, Aqvarellmuseet, 2025

Qui pourraient être liés – il était question de motifs – à ces dessins de maillots de bain de 1928, somme toute à leur place en ce lieu – rappelez-vous, une plage, dans le musée même pour ainsi dire. Du reste : un lieu pour la baignade humaine, des lieux réservés aux bêtes ; oies et autres…

Sofia Delaunay - Maillots de bains, 1928 ; Capture d’écran

Reste Josef Frank. Viennois, marié à une Suédoise, il part en Suède en 1933, fuyant les persécutions nazies.

NB – Josef Frank, détail, Aqvarellmuseet, 2025

Chez lui aussi – il est réservé quant au fonctionnalisme – on retrouve quelque chose d’un dialogue entre la ville et la campagne.

Mais il a été plusieurs fois, indirectement, question de guerre et de totalitarisme en ce qui précède.
Et ça me ramène, je n’y peux rien, à Héloïse Combes, qui a quelque chose d’une guerrière dans ses poèmes de L’embrasement des siècles.
Guerre contre ce qui détruit la / sa nature. Faisceaux d’ondes qu’elle, sent, qui nous enserrent dans leur (merca)danse… comme des papillons noirs ?

NB - Carlos Amorales, Aqvarellmuseet, 2023


Nils Blanchard


P.-S. Je le confesse, ce billet a été écrit il y a déjà quelques temps puisque l’exposition évoquée était celle de l’été (et automne) dernier.
Bon, mais cela me permet d’évoquer deux expositions signalées par l’Institut suédois de Paris (site en lien de ce blog…) La première – « Hors-champ » est celle de la coloriste Anna-Lisa Unkuri, à la galerie Guillaume (Paris). Elle explique d’entrée : « J’aime représenter des personnages, souvent des femmes et des enfants, et aborder de nombreux thèmes, des questions d’identité aux souvenirs d’enfance et la façon dont ils structurent nos vies d’adultes. Ce ne sont pas de simples portraits, mais des figures évoluant dans des espaces poétiques où l’imagination et le réel s’entremêlent. »
Et peut-être y reviendra-t-on…

La seconde exposition est celle de Carin Ellberg, à la galerie Andréhn-Schiptjenko (Paris) et s’intitule "Coastal settlers and species from the sea".

- Ajout : Pour des chanceux qui seraient à Stockholm…


jeudi 27 novembre 2025

Exclusion / bas matériaux et dématérialisation

Longtemps, les vêtements, draps, avaient une valeur réelle. Je me souviens de testaments du XVIIIème siècle étudiés mentionnant des « couettes » dans les legs. On a l’impression aujourd’hui qu’une profusion de produits jetables retire comme d’autant d’humanité.

Helena Westermarck - Wikipedia

 Les pires arguments sans doute sont ceux qui essaient de faire vibrer les cordes sensibles de la commisération pour défendre ces marques géantes en ligne venues de Chine qui vendent n’importe quoi. On a entendu des « Mais il y a des gens qui peuvent ainsi se payer des choses qu’ils ne pourraient pas autrement »… Et allez pour un tour de larmes dans les chaumières, dûment rémunéré en montagnes de déchets de polyester, tonnes carbone de transport inutile, sans parler des conditions de travail des employés des sociétés concernées.
À cela, Agnès b. rétorque (sur France culture, le 5 novembre dernier) : « Moi j'aime les vêtements qu'on garde longtemps, qui sont de bonne qualité, avec des bonnes matières. (…) On achète ça et on est tranquille pour très longtemps. C'est le contraire de Shein. » « On n’a pas besoin d’autant de vêtements », rappelle-t-elle aussi, en se souvenant qu’elle-même, quand elle n’avait pas les moyens de s’acheter des produits coûteux, chinait (ne « sheinait » en aucune manière).

Ellen Thesleff - Capture d’écran

À peu près au même moment où j’entendais Agnès b. faire une démonstration de bon sens somme toute inhabituelle sur nos ondes (même sur une station comme France culture) – n’affirma-t-elle pas par surcroît : « Ce qu’on appelle les réseaux sociaux font beaucoup de mal aussi. Je ne trouve pas du tout que ce soit « social », ces réseaux. » –, on apprenait que les tickets de métro papier n’en avaient plus que pour quelques mois à Paris. Il faudra désormais acheter des sortes de cartes, ou avoir une « appli » sur son « smartphone ». Et allez, retour du monde entre guillemets.
Pas entre guillemets, l’ambition j’imagine de la RATP, et peut-être derrière elle de la mairie de gauche de Paris : se débarrasser de la pauvreté, en empêchant les gens sans abri de pénétrer dans les stations.

Ça me fait penser : un vieil ami parisien dans une brasserie non loin de chez lui, refuse que je paye : « Je suis chez moi... », dit-il, ou quelque chose d’approchant.
Le serveur, qui le connaît, opine du chef.
Moi : « Paris appartient à tout le monde... »

Mais ces cartes, dématérialisations, risquent de diviser les clients du métro entre « usagers » et « touristes ». Où seront les Parisiens là-dedans ?

Helena Westermarck - Wikipedia

Retour à « Shein », ce vendeur de chinoiseries à bas coût : il n’y a pas de raison qu’on ne puisse décider de bouter ces choses hors de notre pays… Tenez: il y avait une page « instagram » usurpant mon nom (et mon image)
J'avais envoyé un courriel un peu menaçant à… comment qualifier les gérants d’« instagram » : une société, une SA… bref, à ce truc. J’ai vérifié, du coup, l’effet de ma missive, projetant ensuite une visite au commissariat de police : la page en question a « miraculeusement » – il faut mettre des guillemets partout quand on parle de ces… choses – disparu…

Nos États de droits peuvent encore mater les fâcheux.


Nils Blanchard


Triche. Rajout d’étiquettes du dernier billet : Jennie Augusta Brownscombe, The Guardian.

Ajout. J’ai « publié » ce billet ce matin. On est l’après-midi… Et voilà que je consulte la page de la Route inconnue (en lien de ce blog, dans la liste à droite, etc.), consacrée à André Dhôtel, et vois qu’une lecture est prévue ce soir rue Bonaparte !


Bon, Yves Lepesqueur, on connaît ; il a déjà été cité ici (voir index, à droite, version ordinateur, e tutti quanti…)
Mais Cécile A. Holdban, m’était – bêtement, forcément – inconnue.
Or, outre lire André Dhôtel, cette poétesse a publié un livre où apparaît sur la couverture une autre connaissance de ce petit blog, Edith Södergran !

dimanche 23 novembre 2025

Les faux amis ?

Abandonner son allié en pleine guerre – et au moment où l’hiver commence –, lors qu’on sait que son aide est capitale (et qu’on l’a, au passage dûment monnayée), cela ne pourrait-il pas être assimilé à de la trahison. Pour le moins, cela peut faire penser à la notion de « faux ami ».

William Halsall, Le Mayflower dans le port de Plymouth - Wikipedia

On sait qu’un « faux ami » est un même mot (ou très ressemblant) employé dans deux langues différentes avec des significations particulières.
Par exemple, « traitor », en anglais (traître), est plus proche du français « traiteur » pour ce qui est de la prononciation.

Bon mais cela pour dire qu’on peut employer des mêmes mots, mais avec des significations, et des conséquences totalement différentes.
D. Trump prétend œuvrer à la paix (et demanda, tel un enfant gâté, qu’on lui donnât un prix Nobel comme une sucette qu’il aurait vue dans une vitrine). Mais la paix qu’il construirait, si ses « 28 points » (Nathalie Loiseau parle de « torchon », le Guardian relève des formulations directement traduites du russe…) étaient « validés », ce serait la primeur (on parlait de traiteurs) à la violence, à la dictature poutinienne au-delà de la Russie.

Jennie Augusta Brownscombe, Thanksgiving - Wikipedia

Vingt-huit points. A-t-il seulement pensé (un de ses conseillers ? – mais ces gens ont l’air absolument incultes –) aux quatorze points de Wilson aux traités de Paris ? Trump ferait le double, tant il est génial ? (Pour lui, tout est affaire de quantités ; en quoi il se distingue d’un traiteur qui doit veiller à une certaine qualité de ses produits…)
Les quatorze points de Wilson, fondus dans les traités de Paris, furent en partie un échec, peu respectés – notamment le droit à l’autodétermination des peuples… Quid du droit à l’autodétermination à Louhansk et Donetsk ?

J. L. G. Ferris, The first Thanksgiving - Wikipedia

I
l menace donc (à nouveau), le président des États-Unis, de retirer son aide à l’Ukraine, et pose un ultimatum à Zelensky avant Thanksgiving jeudi de la semaine à venir (selon le Washington Post) – ironie dont l’idée ne doit même pas l’effleurer.

Je lis dans un article du Figaro, de Valérie Samson (26 novembre 2024) que « Thanksgiving est un jour férié aux États-Unis. Cette fête a été fixée le quatrième jeudi de novembre par le Président Franklin Delano Roosevelt en 1941.
() La célébration nationale sous sa forme moderne remonte à 1863, en pleine guerre civile, lorsque le président Abraham Lincoln a proclamé un Thanksgiving national qui se tiendrait chaque mois de novembre. Mais ses origines remontent à 1621 : elle commémore la première récolte des pèlerins survivant du Mayflower»

Grand Dieu ! Faux amis des listes de « dignitaires » ; quels noms il faut ressortir, et comparer – et comparer ! – à celui de Trump… Lincoln, Roosevelt…

Valérie Samson poursuit : « Les pèlerins établirent la première colonie prospère de Nouvelle-Angleterre et célébrèrent en 1621 les fruits de leur première récolte, qu’ils partagent avec leurs voisins amérindiens pour les remercier de leur aide : ce que l’on a appelé ensuite le premier Thanksgiving.
(...)
Au-delà des ripailles et de l’occasion de se retrouver en famille, Thanksgiving, comme son nom l’indique, est aujourd’hui encore l’occasion d’exprimer sa gratitude. »

No comment


Nils Blanchard


Ajout. – Bon, évidemment, au moment où je relis ce billet on m’informe que D. Trump est déjà en passe de changer d’avis (ce qui était du reste bien prévisible…)

Ça a été évoqué ici çà et là, timidement ; pourrait-on paradoxalement escompter du bien des agissements de l’actuelle administration américaine ?
Évidemment, la paix (mais laquelle, combien de temps durerait-elle?) serait à souhaiter en priorité.
Aussi, la fin d’un certain ordre sécuritaire mondial (OTAN…) pourrait laisser la place, un jour, à autre chose, meilleur…

– Rattrapage d’étiquette du dernier billet : Camille Claus.

dimanche 16 novembre 2025

De l’éternel problème du gagne-pain

Il m’est arrivé de dire au cours de ma carrière de professeur, en faisant mine de ricaner mais au fond avec le plus grand sérieux – mais être sérieux n’est pas toujours très poli – que j’attendais les vacances pour pouvoir me mettre sérieusement au travail.

Asuka Kazama ©, Paris, rue de l’Échaudé et pluie.
Collection particulière.

Au travail : rédiger un article, procéder à des recherches sur tel ou tel sujet, préparer mes cours d’université à une certaine époque du reste pas si éloignée, écrire… simplement écrire ; mais relire ensuite, forcément, et corriger… Cela demande temps et disponibilité, les deux ensemble, union dont on manque singulièrement quand on est professeur – j’ai renoncé à expliquer ça à certaines gens.

Or donc écrire ? Se dévouer entièrement à l’écriture ? Profiter, par exemple, d’une rente, d’une fortune, d’un braquage, que sais-je…
Certains auteurs affectent d’en discuter l’intérêt. Ce thème du travail (alimentaire) et de l’écriture ressort avec insistance chez plusieurs écrivains. Paul Léautaud, pour commencer, remarque régulièrement dans son journal qu’il faut avoir un métier (en plus de la manie d’écrire). Dhôtel, moins insistant, le dit dans cet entretien filmé par Pierre-André Boutang : « L’écriture c’est un peu en dehors. Pour moi c’est pas un métier ; et pourtant il faut un métier ! »

A. Dhôtel dans le film de P.-A. Boutang - Capture d'écran 

 On retrouve ces réflexions chez trois auteurs que je lis en ce moment : Angelo Rinaldi parce que j’ai appris récemment sa mort en mai 2025 – c’est un vieil ami parisien qui m’en a fait part –, Jacques Brenner parce que je relis son Journal (je l’ai chez moi vu que ce vieil ami parisien, précisément, m’en a offert les cinq gros volumes), et Wera von Essen parce que j’avance tranquillement dans son En emigrants dagbok que je me suis procuré lors de mon dernier séjour en Suède.

Angelo Rinaldi, dans un entretien avec Pierre Boncenne, le 1er octobre 1980 dans L’Express, évoque en fait d’abord la question – serpent de mer de bien des gens de plume – de la vie et de l’écriture :

« P.B. " L'œuvre préférée à la vie "?
A.R. On ne peut pas écrire et vivre. Il faut choisir.

P.B. Vous avez choisi d'écrire.
A.R. Jusqu'à présent, je n'ai pu que constater que le fait d'écrire m'a coupé d'une certaine vie. On ne peut pas faire deux choses à la fois. Je vous rappelle que je suis un salarié. Travaillant d'une part et d'autre part écrivant, je dois par conséquent renoncer à beaucoup.

P.B. Et si vous pouviez financièrement vivre de votre plume selon l'expression consacrée?
A.R. Au fond, je crois que c'est très vulgaire de vivre de sa plume. Vous êtes entraîné à donner au public toujours la même chose qui a fait votre succès. Un éternel remake. Il est très dangereux de vivre de sa plume et je préfère encore les sacrifices du travail de journaliste-critique aux facilités de l'argent venant par les seuls livres. L'argent gagné avec des livres me paraît suspect. Et au moins sur ce plan-là, je me permets de vous signaler que je suis à l'abri de la vulgarité. »


Chez Jacques Brenner – homme d’édition, libraire un temps, homme de revues… – on a l’impression au cours de plus de cinquante ans de Journal d’un long combat pour vivre de littérature (ce qui n’est pas forcément ou uniquement écrire…), cette littérature-là repoussant comme un aimant, paradoxalement peut-être, la possibilité de se consacrer vraiment à une œuvre. (À moins, bien sûr, que cette œuvre ait été son Journal, mais qui pour le coup – il n’en est pas moins à mon avis passionnant – a manqué de ce que Jacques Brenner savait si bien être pour les autres : ce que les Suédois appellent redactör ; comment traduire cela : un éditeur actif, accompagnant, guidant le travail de l’auteur…)

Jacques Brenner et le chien Falco - Capture d'écran


Wera von Essen, plus près de nous, En emigrants dagbok (5 mai 2021, page 66) :

« Jag vet inte vad jag ska göra om jag inte får pengar från förlaget (…) Essäerna bär inte min ekonomi. Jag måste betala sjugo tusen i skatt. Och så tio tusen varje månad för boende, räkningar, skulder. Hur ska det här gå till ? Problemet är att arbetsron försvinner, jag kan inte koncentrera mig på texterna (…) Det här är inte vad jag ville. Jag ville inte tvinga skrivandet, göra det till bröd. Det var av den anledningen jag hellre tog hotelljobb än att korrumperas av en byline. (…) Jag vill inte att litteraturen ska handla om försöjning, att den ska anpassas och kommersialiseras och få fel utgångspunkt. »

« Je ne sais pas ce que je vais faire si je ne reçois rien de la maison d’édition (…) Les articles ne me permettent pas de vivre. J’ai 20 000 couronnes d’impôts à payer. [Environ 2000 euros.] Puis aussi 10 000 chaque mois pour le loyer, les factures, crédits. Comment tout ça va-t-il finir ? Le problème est que je ne trouve plus le calme nécessaire au travail, n’arrive pas à me concentrer sur les textes (…) Cela n’est pas ce que je voulais. Je ne voulais pas avoir à forcer l’écriture pour en faire un gagne-pain. C’est pour ça que j’ai préféré prendre un travail à l’hôtel plutôt que me corrompre dans des écrits commandés. (…) Je ne veux pas que la littérature soit liée à la subsistance, qu’elle doive s’adapter et se vendre et partir ainsi du mauvais pied. »

Wera von Essen, photo de l’éditeur Polaris

Retour à Rinaldi. En décembre 2018, il donne un entretien à Zone critique, mené par Guillaume Narguet. Il se termine sur ceci :

« Et tous les artistes – écrivains, compositeurs, peintres – ont matériellement une vie difficile. [C'est très discutable me semble-t-il.Mais, comme disait Cioran, s’il faut rater sa vie, mieux vaut la rater à Paris qu’ailleurs. »

Du côté de la rue de l’Échaudé encrée par Asuka Kazama ?


Nils Blanchard


Ajout. Asuka Kazama (cliquer sur ce nom pour accéder à son site...) n'est pas une Suédoise d’ailleurs, peut-être pourrait-on dire une Japonaise d’ailleurs, encore que ses appartenances se floutent étrangement, étrangement car le « flou » est parfois très précis dans ses œuvres où la pluie souvent intervient presque comme artiste à part entière.

Elle a vécu notamment à Strasbourg après une première phase d'études et de travail au Japon. Là, elle passe par l’Université (un Master 2 notamment – où j’ai enseigné un peu, dans un autre département bien sûr) et par la HEAR - Haute école des Arts du Rhin, où ont enseigné Roger Dale, avant lui Camille Claus, dont ce blog parle çà et là. Et elle a obtenu le prix Théophile Schuler, de la Société des Amis des Arts et des Musées de Strasbourg en 2012.
Elle travaille maintenant à Paris, où elle enchaîne des expositions qui montrent l'étendue de son talent... 

Vélos, égarement… En Suède aussi

Dans l’« égarement », en faisant de l’étymologie un peu fantaisiste peut-être, il y a le fait de ne pas se « garer », de rester libre et en ...