mercredi 25 décembre 2024

Norvégiens à Cernay, 2

Retour à cette conférence du 28 novembre, avenue de la Marseillaise, d’Elsa Kvamme notamment.
À l'automne 1944, l’ensemble du groupe d’étudiants norvégiens est à Cernay (Sennheim pour les Allemands).

NB - Avenue de la Marseillaise


On l’a dit, beaucoup d’étudiants passé par Cernay sont passés, repassés parfois par Buchenwald, et notamment lors de ce dernier automne de guerre. Ceux qui sont encore alors à Cernay voient les alliés approcher. On a le témoignage d’Elling Kvamme, un rescapé du groupe de Norvégiens, dans l’article (déjà cité au premier billet) de Claude Mitschi : « Les Alliés n’étaient, au moment de notre arrivée, déjà plus qu’à quelques dizaines de kilomètres de Sennheim et on comprend mal que les Allemands aient gaspillé du matériel ferroviaire pour nous transporter sur une telle distance. »

C'est une des particularités, tenaces, du nazisme dans la guerre (du fanatisme…) ; une fois n’est pas coutume comme dit l’autre, je peux citer mon petit livre. Page 59, il y est question du traitement des déportés à la fin de la guerre, lors que tout indique que celle-ci est perdue, que le « Reich de mille ans » se couvre de ruines. « Ils [les nazis, les SS encadrant les camps annexes de Struthof] continuent néanmoins de les [on parle des déportés juifs] martyriser, ainsi que les autres déportés, en contradiction avec des objectifs économiques qui auraient nécessité des hommes suffisamment bien portants pour le dur labeur qui leur était exigé. Et dans le même temps, on ne pouvait douter de la proche défaite allemande, perspective qui aurait pu aussi entraîner un adoucissement des conditions de détention pour préserver l'avenir ; il n'en a – quasiment – rien été. »
La « solution finale », la brutalité stupide, ont été prioritaires par rapport aux enjeux stratégiques de la guerre.




Beaucoup de Norvégiens de Sennheim - Cernay avaient été affectés à une usine de Bitschwiller-lès-Thann. Là aussi, les Allemands doivent évacuer les lieux à partir de septembre 1944.
On l’a vu, des malades sont restés en arrière ; le 13 novembre, encore 70 étudiants norvégiens sont évacués par la Croix-Rouge. Il reste alors 450 prisonniers, qui partent le 21 novembre de Cernay pour Buchenwald.

À partir de là, divers groupes vont connaître des sorts différents, entre marches d’évacuations, transferts… Ainsi 170 restent en gare de Fribourg où ils subissent le bombardement allié (et participent activement aux secours – un étudiant meurt).
Finalement, un premier convoi d’étudiants norvégiens quitte Neuengamme – lieu de regroupement des Scandinaves (et autres) « mis de côté » et donc sauvés des camps, à la suite des transactions entre les nazis et le comte Folke Bernadotte notamment – le 20 avril 1945 pour le Nord, par les bus blancs affrétés par la Croix-Rouge. La plupart des membres du groupe sont de retour en Norvège autour du 25 mai.

J'avais noté dans mon livre (une fois n’est pas coutume, etc.), page 95 : « Une dernière information ajoute à la désolation de son destin [il s’agit d’Elmar Krusman]. Huit jours après son décès, le 21 mars 1945, 28 Scandinaves des camps du complexe Wüste ont été mis de côté (pas encore libérés, mais pour le moins vraisemblablement sauvés) du fait de l'intervention de la Croix-Rouge suédoise avec le comte Folke Bernadotte. »

Per Krohg - Capture d'écran


On a beaucoup insisté, lors de cette conférence, sur la logique, la rationalité pour ainsi dire active des étudiants norvégiens. Aux chefs nazis, pour le moins obtus, parfois franchement timbrés, qui les ont pris en charge, leur proposant l’uniforme SS – les Norvégiens refusent –, tel ou tel travail… les étudiants opposent les dispositions de Genève, qu’ils connaissent et comprennent. Aux « professeurs » nazis – la lie des intellectuels –, les étudiants combattent pied à pied, attaquent, dans le domaine scientifique, et laissent pantois leurs adversaires intrinsèquement ignares.
Les menaces d’exécution ne les font pas plier non plus.


Per Krohg - Capture d'écran


Et pourtant on imagine leurs pensées, amères ; souvenirs des amours et rivages laissés en Norvège en cet exode dans un monde de brutalité et de bêtise.
Y avait-il – la question a été posée à la conférence comme je l’ai noté au précédent billet – quelque chose qui prédisposât ces étudiants à la résistance ? Une réponse qui fut donnée – juste sans doute, mais suffisante ? – est celle de leur instruction. On avait là de futurs médecins, professeurs, que sais-je… capables de prendre du recul, de contester des arguments fallacieux. Bon. Mais n’avait-on pas aussi de ces gens dans le camp allemand ?
L'éducation norvégienne des années vingt – trente était de très grande qualité ? Mais beaucoup de cadres allemands avaient fait leurs classes sous la République de Weimar ; l’école y était-elle déficiente ?
Il y a là un champ d’étude comparative des systèmes scolaires de différents pays ; travail délicat, difficile – c’est un professeur qui parle – de se retrouver entre programmes officiels, actions réelles menées par les professeurs, discours à vide, parfois, d’inspecteurs n’ayant aucune idée de ce qu’est un élève…

L'année dernière à l’université, j’avais touché mot à mes étudiants d’un assez vieil article (1953) de Sten Sparre Nilson : « Aspects de la Vie Politique en Norvège » dans la Revue française de science politique (3e année, n°3, pp. 557-558.) :

« L'échec du fascisme en Norvège offre un contraste saisissant avec le succès du National-Socialisme allemand, contraste d’autant plus frappant que les conditions économiques dans certaines des régions les plus nazies d’Allemagne, telles que le Schleswig-Holstein étaient à certains points de vue assez semblables à celles de la Norvège.
Dans son livre De la Démocratie au Socialisme, Rudolf Heberlé a montré comment les nazis remportèrent leurs grandes victoires électorales aux élections du Reichstag de 1930 et 1932 dans la région agricole du Schleswig-Holstein, y obtenant un pourcentage de voix supérieur à celui qu'ils recueillaient dans toutes les autres provinces d'Allemagne. Ce fut même le seul district électoral du Reich dans lequel le parti nazi obtint en juillet 1932 la majorité absolue (51 %). Dans les parties rurales de cette province, Hitler recueillit plus des deux tiers  du total des voix (...) »  

Pourquoi ici, pas là ?


Nils Blanchard


P.-S. : annonce de l’exposition consacrée à Christian Krohg (père de Per Krohg, dont des peintures illustrent ce billet) au musée d’Orsay.

Capture d'écran


Aussi : triche sur les étiquettes ; Johannes Grenness, Le Courrier du Mémorial, Josef Terboven, Arnold Raestad, KL Buchenwald, Bohuslän, Stavern, Sigmund Strømme, Westerbock rajoutées.

- Joyeux Noël !

NB



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Norvégiens à Cernay, 2

Retour à cette conférence du 28 novembre, avenue de la Marseillaise , d’Elsa Kvamme notamment. À l'automne 1944, l’ensemble du groupe d’...