jeudi 25 septembre 2025

Écrans et sigles, intrusions aériennes… mais poésie

Des collégiens – c’est déjà arrivé plusieurs fois en moins d’un mois – me demandent quelle est la probabilité pour qu’il y ait une troisième guerre mondiale. Il semble qu’il y ait quelque conjectures là-dessus sur l’un ou l’autre « réseau » « social »…

NB - Lozère, vers les zones blanches (ondes), août 2025

Écrans et sigles

Les gamins ne devraient pas être sans cesse sur des écrans.
Bon, cela posé, on n’est guère plus avancé.
Il ne s’agit pas là d’impératif moral ; on sait simplement que les écrans sont mauvais pour eux – pour « nous » aussi, du reste, et il faudra bien assez vite que j’arrête ce blog qui a somme toute quelque chose d’un peu… schizophrène (pour employer ce mot dans son acception familière…)
Mauvais pour eux, non seulement, trop souvent, de par leur contenu (aux écrans), mais d’abord par ce qu’ils sont comme contenant.
On sait que la lecture, l’interaction sur écran sollicitent des régions différentes du cerveau que celles activées par les activités traditionnelles (pour ne pas parler de problèmes d’excitation, de sédentarité, de troubles du sommeil, etc.) Et force est de constater que ces « nouvelles activités cérébrales » (tentons un sigle : NAC?) ne rendent pas les jeunes gens plus éveillés et doués qu’ils l’étaient auparavant…

Or… Dans les établissements scolaires (les ES… si, ça existe...), il semble qu’on soit lancés dans une course à qui laissera le plus les pupilles devant des écrans : manuels numériques, tablettes, salles informatiques, pour ne pas parler des projections en classe, toutes sortes de diableries encouragées par les pontes – inspecteurs, pédagogues… (Eux au moins ne pourront pas se rependre d’avoir abruti des élèves ; ils n’en voient jamais…)
Quant aux sigles, ils deviennent invasifs, particulièrement dans l’Éducation nationale (l’EN). J’ai renoncé complètement pour ma part à les apprendre, les comprendre. Cela donne dans un premier temps une impression d’évoluer comme dans une réalité parallèle (RP?)… Puis on se rend compte que beaucoup d’autres professeurs en sont au même point, en l’avouant plus ou moins… Puis on se rend compte encore… que les sigles font excellemment écran devant la réelle communication, celle visant à transmettre du sens, issu d’un tantinet de réflexion, de contrôle.

NB - Cévennes, en zone à peu près blanche (ondes), août 2025

Intrusions hostiles

Les jours suivants ces interrogations d’élèves, on apprend que des drones russes ont violé tels espaces aériens (Pologne entre autres) ; plus grave sans doute, ce sont, le 19 septembre, des avions de guerre, russes, qui ont pénétré l’espace aérien estonien (et polonais selon certains médias)
Estonie, Pologne ; pour différentes raisons personnellement je dresse l’oreille.
(C'est étrange comme des événements, des lieux évoqués ces dernières années, me ramènent au destin d’Elmar Krusman – Estonien somme toute de nationalité, puis étant passé un mois au camp de concentration de Stutthof (Dantzig) avant de rejoindre Bisingen, camp annexe de Natzweiler.)

Face à ces intrusions, absence de réaction marquante semble-t-il des États-Unis.
La situation a quelque chose de schizophrène – j’emploie le mot à nouveau – : tout en sabordant de la sorte l’OTAN (on a parlé de la chose ici notamment), les États-Unis n’en continuent pas moins de soutenir (il y a certes eu des menaces d’interruption) l’effort de guerre ukrainien.
(Mais après tout, une politique ouvertement agressive, même en réaction, ne serait-elle pas une erreur, un risque trop important, face à ce qui n’est peut-être qu’un bluff sans lendemain, ou un test sans grande importance?)

Quant aux pays européens… Là encore on est face à une situation illogique. Des sondages semblent indiquer, en ce qui concerne la France, qu’une grande majorité de citoyens soutient l’Ukraine agressée. Cependant, les deux partis extrémistes (des côtés droit et gauche), poutinolâtres au moins jusqu’il y a peu, pèsent 204 députés (Rassemblement national et alliés, La France insoumise) à l’Assemblée nationale (et ce malgré un scrutin majoritaire…) Alors ?

Il reste la poésie.

NB - Cévennes, août 2025

A paru récemment sur le riche site dédié à la poésie une petite note que j’ai commise sur Héloïse Combes. C’est là ! 
Héloïse Combes s’est mise en retrait des ondes – on en a parlé un peu (voir aussi les liens en haut, à droite, version ordinateur de ce blog, et l’index…) – ce qui lui permet aussi de tenir à distance, peut-être, divers fantômes, divers tourments. Ce n’est pas sans contrepartie. La poésie n’est pas toujours très confortable. Mais elle est là, encore.


Nils Blanchard

dimanche 21 septembre 2025

Retour au Struthof – Kartoffelkeller et autres

Été au Struthof à l’occasion de la visite de la « Kartoffelkeller ». Beaucoup de monde (pas de bus scolaires pourtant en ce week-end) : le site attire des visiteurs ; tant mieux sans doute.

NB - Struthof (le CERD à droite, l’ancien camp au fond), septembre 2025

Le guide pour cette visite précise, jeune employé du site (CERD), explique que cette « Kartoffelkeller » (cave à pommes de terre) avait bien, vraisemblablement, été construite pour stocker des tubercules. Il se base notamment, pour ce dire, sur la photographie d’un espace très ressemblant dans un autre camp de concentration. 
Évidemment, cela résout (résoudrait?) l’énigme. On pensait jusqu’il y a peu que « Kartoffelkeller » était un nom de code, un peu dérisoire mais que le bâtiment, vu son ampleur (22 alvéoles sur 115 mètres de béton, avec des murs de 60 cm d’épaisseur) devait avoir une autre finalité. Mais, si ça y ressemblait au premier coup d’œil, ce n’était en tout cas pas un abri anti-aérien. (Dans un article de 2012 dans le Républicain Lorrain, à l’occasion déjà d’une journée du patrimoine, Julien Bénéteau rappelait l’aspect énigmatique de la chose, et parlait du « cœur sombre du Struthof ».)

NB - Struthof, l’intérieur de la Kartoffelkeller, septembre 2025

NB - Struthof, un soupirail vu de l’intérieur de la Kartoffelkeller, septembre 2025

Il n’est pas exclu cependant de penser que les Allemands, s’ils avaient prévu d’en faire un temps un lieu de stockage alimentaire, avaient d’autres vues sur le long terme pour cette construction. Déjà, la plateforme elle-même, au-dessus de laquelle seront construits des bâtiments SS disparus aujourd’hui et placés en hauteur de l’ancien camp, c’était une autre finalité en soi. Julien Bénéteau, à nouveau : « Il faut d’abord créer une plateforme. La roche est attaquée à la pioche, les pierres chargées dans des wagonnets à la pelle. Rien d’autre. Ce travail se fait à allure forcée.
Les gardiens, des SS, frappent pour le moindre prétexte. Les chiens, dressés, mordent les déportés. »
On reviendra sur le sadisme des gardiens...

NB - Struthof, la suite de la Kartoffelkeller après le CERD, septembre 2025

La construction de la cave commence en juin 1943 ; on est donc après Stalingrad. Bien des gens, et même parmi les édiles nazies les plus bornées, pouvaient alors comprendre que la guerre était perdue pour l’Allemagne. Quel intérêt dès lors de bâtir cet immense complexe ?
Qui plus est – ça transparaît déjà dans l’article de Julien Bénéteau – l’archéologue Juliette Brangé a insisté sur le fait que les travaux nécessitant une main-d’œuvre qualifiée avaient été faits par des entreprises civiles (notamment de la vallée) ; aux déportés étaient laissé la manutention : transport de matériaux, arasement de la roche…
Quel intérêt ? Il y a aussi l’explication de l’irrationnel, le fanatisme de certains commandements isolés de structures concentrationnaires (derrière le paravent administratif tatillon de la SS), avec cette croyance pour certains en un retournement du cours de la guerre (de par des armes secrètes, le génie du chef…) Dès lors, on pouvait imaginer que le lieu évoluerait, deviendrait peut-être un centre industriel ? Et en attendant, ces gens auraient profité de la main-d’œuvre qu’ils avaient sous la main pour seconder les entreprises ; le chantier est devenu un lieu et un prétexte de torture, puisqu’il ne fallait pas perdre de vue la finalité du camp.

NB - Struthof, le camp vu de la route vers la carrière, septembre 2025

Pour rappel, c’est un kommando notamment de NN français qui a été martyrisé à cette tâche.
Le guide d’évoquer les actes ignobles notamment du gardien « Fernandel ».
L'image d’Elmar Krusman passe en mon esprit ; « Fernandel », c’était le surnom donné à Franz Ehrmanntraut qui, quelques mois plus tard à Bisingen, sera aux côtés d’Elmar Krusman « tremblant », quand celui-ci sera mis en présence de la secrétaire de mairie de Bisingen pour lui refaire un manteau (il avait eu comme premier métier celui de tailleur).

NB - Struthof, l’intérieur de la Kartoffelkeller, septembre 2025

À l'entrée du CERD (Centre européen du Résistant Déporté – construit en 2005 précisément au-dessus de la Kartoffelkeller ; c’est l’un des deux espaces musée du camp et en même temps le centre d’accueil des visiteurs), un autre employé du site, très avenant et disert, présente des objets des archives du lieu,  qui peuvent parfois être exposés dans l’autre musée, celui de la baraque à l’intérieur de l’enceinte du camp.
Bon, là voisinent étrangement des objets liés à la période concentrationnaire (le KL Natzweiler, et d’autres camps de concentration) et à la période carcérale (1944-1945) qui a suivi l’évacuation du camp de près. Ce mélange des mémoires, des histoires, pose question, même s’il est exact que le site a accueilli les deux systèmes successifs. (Le mélange imprécis, on le sait, est une tendance de certains « historiens » locaux qui ne sent pas toujours très bon…)

Cela me ramène à l’ouvrage sur le sujet de Frédérique Neau-Dufour, dont je reparlerai prochainement.


Nils Blanchard

mardi 16 septembre 2025

Carte (postale) de France / Peintres nordiques début de siècle

Il est arrivé que cette blogueuse de l’ouest de la Suède, Kristin Lagerqvist (Krickelins) soit évoquée ici ou là en ce blog, notamment en lien à une maison secondaire qu’elle possède en France, qui me ramène à diverses interrogations sur les maisons ; au-delà sur le chez soi, voire sur l’appartenance à un pays, une ville, voire…

NB - Auvergne, près d’Issoire, août 2025

Elle écrit le 10 septembre dernier, dans un article qui s’intitule « Vykort från Frankrike » (« Carte postale de France » :

« Jag vaknar i min franska säng. Utanför fönstret är det helt svart och alldeles tyst. Här i byn släcks gatubelysningen mellan midnatt och klockan sex, och mörkret känns nästan omslutande.
Jag brygger kaffe (…) »

« Je me réveille dans mon lit français. Derrière la fenêtre, tout est noir et parfaitement silencieux. Ici au village l’éclairage s’arrête entre minuit et six heures, l’obscurité devient presque enveloppante. 
Je fais du café (…) »

C'est amusant : plusieurs de ses articles donnent à voir son lit de maison française, défait toujours, on remarquera ; là : que d’un côté.

NB - Capture d'écran


Edvard Munch, 1917-1919 - Capture d’écran

Mais évidemment, retrouver une campagne épargnée par la pollution nocturne des éclairages citadins (pour les autres pollutions…), calme… Cela peut donner envie de se lever à l’aube.
L'obscurité semblera alors presque enveloppante.

Ne voudrait-on pas être un instant un petit renard épargné par les hommes et les loups, humant les senteurs de la fin de nuit de son terrier…

NB - Auvergne, près d’Issoire, août 2025

Je dis cela peut-être parce que je pense à Héloïse Combes, à d’autres, qui ne vivent pas exactement comme les communs des mortels, dépendants de compteurs électriques et de pixels…

Depuis combien de temps n’avais-je vu une vraie nuit, enveloppante ?

J'allais donc vers les Cévennes héloïsiennes, et j’ai fait une pause dans un coin improbable de l’Auvergne (peu après avoir salué le Puy de Dôme), magnifique, forcément.

Trouver une maison à cet endroit ? C’est, évidemment, un peu en dehors de mes routes (et déroutes…)

Krickelins poursuit :

« När dagen gryr drar jag en handduk kring axlarna och går nerför stentrappan till dagens första dopp. Vattnet är kyligt, som det ofta är så här års. Sommaren har övergått till sensommar i den lilla byn (…) »

« Quand le jour se lève, je prends une serviette sur mes épaules et descends l’escalier de pierre pour le premier bain du jour. L’eau est fraîche, comme de juste à ce moment de l’année. L’été s’est changé en été indien dans le petit village (…) »

Hans Ole Brasen, Salut à l’aube, 1907 - Wikipedia

Héloïse me montrera des piscines naturelles dans la petite rivière de sa vallée…

Krickelins, un peu plus loin : « Det fina är att jag numera kan resa hit med bara datorn, kameran och telefonen – allt annat finns redan i huset. Böcker, skor, krämer och klänningar. Det är som att ha ett parallellt liv här (…).
Men just en varm tröja och ett par raggsockor… det saknas. »

« Ce qui est bien, c’est que je peux désormais arriver ici avec simplement l’ordinateur, l’appareil pgoto et le téléphone – tout le reste se trouve déjà sur place. Livres, chaussures, crèmes et vêtements. C’est comme avoir ici une vie parallèle (…).
Manquent seulement un bon pull et une paire de grosses chaussettes. »

Eh ! Disposer d’une maison quelque part où l’on peut simplement arriver, déposer deux-trois livres, un carnet, que sais-je…

Évidemment, il peut toujours y avoir plein de choses qui vont manquer… L’été, déjà, oui, qui s’éloigne.

Paul Fischer, La plage à Båstad - Wikipedia


Nils Blanchard

jeudi 11 septembre 2025

Du côté de la Baltique

Un blog en lien indirect de celui-ci (via Alluvions), celui de Jean-Jacques Birgé, d’évoquer, sur plusieurs articles en ce mois de septembre, un voyage fait par le blogueur dans les Pays baltes.
Ce voyage se termine par la Finlande, via l’Estonie. 

NB - Hapsal (Estonie), 2018

J.-J. Birgé passe par Haapsalu (Hapsal, en suédois) « capitale » des Suédois d’Estonie. Visiblement, ce n’est pas un très grand souvenir pour lui (« pas beaucoup d'intérêt en dehors de son château médiéval. Aucune plage à la ronde malgré la côte, et les locations sont étonnamment plus chères qu'ailleurs. ») Il a dû passer sans doute sans le remarquer devant l’emblème de ce blog (sur la place du marché suédois – s’il est toujours là…)

Le château, il était en reconstruction quand j’y suis passé (en 2018…) J’avais eu l’impression d’y croiser de vagues fantômes.

NB - Hapsal (Estonie), 2018

Mais il est vrai que la pleine mer était difficile à trouver ; il aurait fallu, oui, aller à Saaremaa (Ösel en suédois, mais il n’y avait pas là particulièrement d’Esto-suédois…)
Moi, je n’avais pas vraiment le temps. (Pas trop d’argent, aussi, à cette époque où j’écrivais Elmar Krusman… J’avais besoin de temps, devais être plus ou moins en temps partiel…)

Bon, mais J.-J. Birgé assène : « Les autochtones sont accueillants, particulièrement en Lituanie et en Lettonie. Je comprends pourtant pourquoi les voyageurs vont plus souvent du nord au sud, on est toujours le méridional de quelqu'un ! L'Estonie est globalement plus sèche, plus scandinave. »
Prenons le temps, là, de corriger un point : les Estoniens – il n’est pas question plus précisément des Esto-Suédois – ne sont pas scandinaves mais, à l’instar des Finnois, finno-ougriens. C’est dit.

Et pour ce qui est de la calembredaine géo-sociale, je reconnaîtrai par honnêteté avoir rencontré une certaine « froideur » en Estonie, mais ça ne saurait me guérir de ma détestation des généralités (surtout françaises). C’est dit aussi.


Dans cette région (Ösel…), les chevaliers porte-glaive avaient poussé leurs pions (et il y avait beaucoup de Germano-Baltes à Saaremaa, minorité dont il est un peu question dans mes livre et article). On n’est pas très loin de la Prusse-Orientale d’un Ernst Wiechert, dans Missa sine Nomine. On y lit du reste – Suédois d’ailleurs… – sur la famille des principaux protagonistes (les Liljecronas – le nom en suédois signifie mot à mot « Petite couronne ») – Le livre de poche, traduction de Jacques Martin, pages 23-24 :

« Les Liljecronas, qui avaient dans leurs veines du sang suédois, lui avaient toujours paru une race sujette à caution, une race de paysans issue du monde obscur des Vikings, probablement, et il ne lui semblait pas impossible qu’ils se fussent nourris de viande de cheval quelques siècles plus tôt et qu’ils eussent offert des sacrifices humains à leur dieu borgne. »


Or il se trouve que François Bayrou, récemment renversé comme premier ministre – ce qui a fait la joie de révolutionnaires façon Mélenchon-Le Pen Prime qui ne tolèrent pas que quelqu’un sorte tant soit peu d’un cadre, d’un code établi par le monde de l’entreprise ; langue de bois et globish obligatoires (je dis ça en ayant conscience par ailleurs des maladresses de l’ancien premier ministre – je râlais précisément il y a peu contre tel grand patron appelant sarkozyquement au « travailler plus pour gagner plus », qui n’est en fait souvent le masque que d’un mauvais travail qui abîme tout…–, contre Bayrou lui-même s’en prenant à son discours d’investiture – peut-être qu’une mouche malade de pesticides l’avait piqué – aux inspecteurs de la biodiversité…) avait Ernst Wiechert comme écrivain de chevet.
On lit dans Le Point (article de Thomas Mahler), le 3 mai 2016 :

« François Bayrou détonne : depuis des années, il n'a cessé de susciter la surprise et la gêne des journalistes en citant Les Enfants Jéromine d'Ernst Wiechert.
(...) 
Au rythme des moissons et des chorals luthériens, des noces comme des enterrements, Wiechert raconte les existences laborieuses mais dignes de ces charbonniers, forestiers et pêcheurs. Ils ne lisaient pas de journaux et ce qui se passait dans le district ou dans le monde ne venait à leur connaissance que par la bouche de l'instituteur, qui était leur Moïse dans le désert. Il s'en était bien trouvé certains, parmi eux, que le vide de leur existence avait poussés au désespoir et qui passaient leurs journées à boire, en cachette ou sans vergogne. D'autres encore qui fermaient leurs cœurs remplis de haine et d'amertume, des misanthropes qui se dressaient, durs et froids, comme d'impitoyables juges, contre leurs enfants effarés, et qu'on ne revoyait plus lorsqu'à midi la cloche de l'école avait sonné. Cependant la plupart d'entre eux étaient remplis de la sagesse des pauvres et des solitaires, renfermés sans aigreur dans leur monde. »

Il est vrai que tout ça n’est pas très à la mode…


Nils Blanchard


Rattrapage d’étiquette du dernier billet : Mademoiselle K.

samedi 6 septembre 2025

Vers le pire ? (2)

Été à nouveau me promener près du canal. Pas Schwindratzheim, un peu plus loin vers Saverne. Idées plus ou moins joyeuses, mais marcher au bord de l’eau du canal – odeur légère de rivière – dans un paysage verdoyant – l’été jusque là n’avait pas dû être trop sec –, ça a quelque chose de… revigorant.

Isaac Cordal - Capture d’écran (blog Vu de la hune, photo BA)

Il y avait eu cette loi Duplomb (quelle idée! Autoriser – entre autres – un pesticide qu’on sait potentiellement (très) dangereux sous prétexte que d’autres pays européens le font… On est là en plein dans ce que j’appelle la maastrichtlisbonnisation…), heureusement retoquée par le Conseil constitutionnel le 7 août.
Mais le sénateur veut repartir en guerre, refaire passer sa mesure sous une autre forme législative.
C'est cela qui est déprimant, aussi : cette impression qu’on n’en a jamais fini avec certains problèmes ; certaines gens ne se fatiguent jamais…

NB

Je suis loin d’être un adepte de ce qu’on appelle le « street art », mais j’ai pris en photo ce graffiti, au cours de ma promenade, sous un pont « LGV » – cette ligne, que je ne prends pas assez souvent, qui va à Paris…
« J'profite de la chute avant la collision. » Peut-on dire que c’est une philosophie comme une autre ? Elle illustre bien certaines idéologies ; ce patron des patrons, ce sénateur Duplomb (et ses soutiens), « Après moi le déluge »…

NB - Pont de la LGV, Canal de la Marne au Rhin - et vaches

Or juste avant cette promenade, dans la voiture, j’entendais Valérie Chansigaud, historienne, évoquer Elisée Reclus. (Un vieil ami parisien – et dhôtelien – me répète parfois avec grande délectation qu’il est le seul anarchiste à avoir une rue à Paris…)
Eh ! Et précisément, cette anarchie, elle, de se soucier de l’environnement, des autres…
Ci-après, la présentation de l’émission de France culture :

« Géographe prolixe et anarchiste influent, Élisée Reclus est aussi remarqué pour sa préoccupation pour la nature, qui traverse ses écrits tout au long de sa vie. C'est à cet idéal de coexistence entre l'homme et son milieu qu'il consacre les dernières années de sa vie.
Valérie Chansigaud est historienne des sciences, chercheuse associée au laboratoire SPHERE. Elle retrace cet esprit de liberté et de solidarité qui s'articule avec l'anarchisme, notions majeures pour Élisée Reclus. »

Et l’historienne de poursuivre :

« "Ce qui pourrait paraître assez logique pour un anarchiste, lui ne se pense jamais comme maître, il ne va jamais chercher à faire école. (…) Il pense que les idées n'ont pas besoin d'être transmises de façon hiérarchique, mais qu'elles se diffusent dans la société." Pour Élisée Reclus cette notion de solidarité est essentielle, elle recoupe l'alliance entre les êtres humains, les organismes vivants et la planète, Valérie Chansigaud poursuit : "Cette solidarité, c'est aussi une notion propre à l'anarchisme, qui définit vraiment la liberté comme celle qui commence par celle de l'autre ; c'est-à-dire : j'ai besoin de la liberté d'autrui pour réaliser la mienne." »

Liberté de l’autre, et des générations à venir : celle de pouvoir encore observer des insectes – et subséquemment des oiseaux – dans nos campagnes ; entre autres.

NB - Canal de la Marne au Rhin

Étrangement (à peu près à la même période), je lisais à propos de Jean Follain (André Dhôtel, éd. Seghers, 1953, page 54) :

« Il semble que le thème qui doit pour ainsi dire vaincre notre temps soit en fin de compte celui d’un étrange arrêt dans la succession inéluctable des heures et des jours. Henri Thomas faisait déjà l’aveu d’une certaine expérience selon laquelle l’homme se sent soudain en dehors de la fuite des événements, ni avant ni après, à tel moment déterminé, mais par un décalage subtil, indépendant de la chaîne des choses vécues. Jean Follain montre en ce sentiment beaucoup plus de violence. Il use de cette force d’inertie de l’enfant, qui pesait de tout son poids pour obliger (par exemple) les parents à entrer dans un bazar et pour renverser le cours de la destinée inscrite sur le front familial. Ne pouvant ou ne voulant se détacher il s’appesantit. Il s’attache à ce qui s’oppose par sa densité aveugle au cours du destin ou bien encore il se fie au poids même de ce destin qui finalement devrait nous recueillir dans ses profondeurs éternelles. »

Allons, peut-être reparlera-t-on de cela aussi.

Mais ce n’est pas très gai, évidemment, bien que fort bien troussé. C’est pourtant du Dhôtel. Et du Dhôtel critique, autant dire que c’est du Dhôtel qui parle aussi – avant tout ? – de lui-même.
Cette réflexion : parce que je lisais aussi précisément Jacques Brenner (Journal, 21 mai 1941) :

« Un critique en dit plus sur soi que sur l’auteur qu’il étudie. (C’est d’ailleurs en cela que les critiques nous intéressent.) »


Nils Blanchard


Ajout. Retour de Mademoiselle K... Grand Dieu, trois ans après... trois ans, comme ce blog... 

lundi 1 septembre 2025

Schwindratzheim, un témoignage (et sortie de zone?)

Promenades plutôt de hasard qui me ramènent au bord du canal de la Marne au Rhin, somme toute agréable à longer.

NB

Une fois n’est pas coutume, on trouve un – rare – témoignage intéressant dans un journal local alsacien, les DNA… L’article est de Guénolé Baron ; il a été publié le 28 juin 2018 à l’occasion d’une exposition au centre culturel de la petite commune riveraine.
On y lit – à propos du petit camp annexe du KL Natzweiler qui se trouvait là – qu’un habitant de la commune, Charles Baltzer, se souvient du temps de guerre et « revoit son père, forgeron, tenter d’amadouer les Allemands dans son atelier de la rue de la Zorn. Ils venaient avec un ou deux prisonniers pour faire aiguiser ou réparer des outils. Alors mon père proposait un café aux soldats et leur demandait au passage s’il pouvait donner un petit bout de pain ou de lard aux détenus. »

On retrouve là un trait évoqué à propos d’autres camps annexes, notamment celui de Bisingen – celui où Elmar Krusman est mort –, lesquels se situaient au milieu de zones habitées et où des détenus pouvaient être « prêtés » à des habitants. (Ainsi Elmar Krusman, tailleur de métier, recousant un manteau pour une habitante : témoignage assez rare de précision (et poignant) de l’évocation d’un détenu, une cinquantaine d’années après, par une habitante, a priori sans rapport avec les activités du camp de concentration…)

L'article poursuit un peu plus loin : « Les détenus étaient logés dans un baraquement en grès des Vosges, cerclé de barbelés, juste à côté du canal.
Quand ils n’étaient pas de garde, les soldats allemands n’y restaient pas. Ils étaient hébergés dans l’ancienne laiterie, raconte Charles Baltzer. Les gradés, eux, se partageaient une maison, derrière la mairie historique de la commune. »

NB

Autre point qui recoupe – c’est étrange, ces promenades qui me ramènent à ces thèmes… – des remarques de mon livre : l'irrationnel. Le témoin évoque la libération de Paris apprise à la radio par son père. « Une victoire capitale des troupes alliées qui n’a pas découragé les Allemands de Schwindratzheim. Même s’ils venaient jusqu’au Rhin, la guerre ne serait pas perdue ! s’est exclamé un des soldats devant le père de Charles Baltzer. »
Ce fanatisme de certains Allemands, qui a expliqué aussi le « dynamisme » du système concentrationnaire, jusqu’aux derniers jours de la guerre, parce que certains croyaient que celle-ci n’était pas perdue – il y aurait des armes secrètes qui apparaîtraient, etc. –, j’en parle aussi dans Elmar Krusman. Et cela a été de pair avec la priorité donnée à la « politique raciale » sur l’intérêt stratégique.
La folie au pouvoir véritablement.

NB

Il y a aussi dans l’article un étrange souvenir du témoin : réel souvenir, passé recomposé par la mémoire à partir d’autres récits ? Ce n’est pas que je veuille remettre en cause (je précise…) l’honnêteté de Charles Baltzer, mais – renvoi à mon livre, là encore – la mémoire, surtout d’événements aussi anciens, peut être pour le moins surprenante… Ce souvenir : « J’ai vu les prisonniers nager dans le canal, sous la surveillance de deux SS qui avaient des pistolets-mitrailleurs. Le bain terminé, ils sont rentrés nus dans le camp. »


Nils Blanchard


Ajout. - Me promenant cet été précisément à Schwindratzheim, je tombe sur cette étiquette que de hauts esprits du lieu (ou d’ailleurs) ont collée sous le nom de la localité : "Im Elsass".

NB

Braves gens. Visiblement, ils voulaient être sûrs de ne pas se tromper de panneau (…) ; ils ont mis leur petit autocollant aussi là-dessus.

NB

 - Étiquette qui aurait dû se trouver au dernier billet: Musée de l’aquarelle.

Retour de Paris et lit défait

Passé deux jours à Paris, pour diverses raisons bien sûr, et surtout pour le Salon de la revue, qui avait lieu à la Hal le des Blancs-Mantea...