Été au Struthof à l’occasion de la visite de la « Kartoffelkeller ». Beaucoup de monde (pas de bus scolaires pourtant en ce week-end) : le site attire des visiteurs ; tant mieux sans doute.
NB - Struthof (le CERD à droite, l’ancien camp au fond), septembre 2025 |
Le guide pour cette visite précise, jeune employé du site (CERD), explique que cette « Kartoffelkeller » (cave à pommes de terre) avait bien, vraisemblablement, été construite pour stocker des tubercules. Il se base notamment, pour ce dire, sur la photographie d’un espace très ressemblant dans un autre camp de concentration.
Évidemment, cela résout (résoudrait?) l’énigme. On pensait jusqu’il y a peu que « Kartoffelkeller » était un nom de code, un peu dérisoire mais que le bâtiment, vu son ampleur (22 alvéoles sur 115 mètres de béton, avec des murs de 60 cm. d’épaisseur) devait avoir une autre finalité. Mais, si ça y ressemblait au premier coup d’œil, ce n’était en tout cas pas un abri anti-aérien. (Dans un article de 2012 dans le Républicain Lorrain, à l’occasion déjà d’une journée du patrimoine, Julien Bénéteau rappelait l’aspect énigmatique de la chose, et parlait du « cœur sombre du Struthof ».)
NB - Struthof, l’intérieur de la Kartoffelkeller, septembre 2025 |
NB - Struthof, un soupirail vu de l’intérieur de la Kartoffelkeller, septembre 2025 |
Il n’est pas exclu cependant de penser que les Allemands, s’ils avaient prévu d’en faire un temps un lieu de stockage alimentaire, avaient d’autres vues sur le long terme pour cette construction. Déjà, la plateforme elle-même, au-dessus de laquelle seront construits des bâtiments SS disparus aujourd’hui et placés en hauteur de l’ancien camp, c’était une autre finalité en soi. Julien Bénéteau, à nouveau : « Il faut d’abord créer une plateforme. La roche est attaquée à la pioche, les pierres chargées dans des wagonnets à la pelle. Rien d’autre. Ce travail se fait à allure forcée.
Les gardiens, des SS, frappent pour le moindre prétexte. Les chiens, dressés, mordent les déportés. »
On reviendra sur le sadisme des gardiens...
NB - Struthof, la suite de la Kartoffelkeller après le CERD, septembre 2025 |
La construction de la cave commence en juin 1943 ; on est donc après Stalingrad. Bien des gens, et même parmi les édiles nazies les plus bornées, pouvaient alors comprendre que la guerre était perdue pour l’Allemagne. Quel intérêt dès lors de bâtir cet immense complexe ?
Qui plus est – ça transparaît déjà dans l’article de Julien Bénéteau – l’archéologue Juliette Brangé a insisté sur le fait que les travaux nécessitant une main-d’œuvre qualifiée avaient été faits par des entreprises civiles (notamment de la vallée) ; aux déportés étaient laissé la manutention : transport de matériaux, arasement de la roche…
Quel intérêt ? Il y a aussi l’explication de l’irrationnel, le fanatisme de certains commandements isolés de structures concentrationnaires (derrière le paravent administratif tatillon de la SS), avec cette croyance pour certains en un retournement du cours de la guerre (de par des armes secrètes, le génie du chef…) Dès lors, on pouvait imaginer que le lieu évoluerait, deviendrait peut-être un centre industriel ? Et en attendant, ces gens auraient profité de la main-d’œuvre qu’ils avaient sous la main pour seconder les entreprises ; le chantier est devenu un lieu et un prétexte de torture, puisqu’il ne fallait pas perdre de vue la finalité du camp.
NB - Struthof, le camp vu de la route vers la carrière, septembre 2025 |
Pour rappel, c’est un kommando notamment de NN français qui a été martyrisé à cette tâche.
Le guide d’évoquer les actes ignobles notamment du gardien « Fernandel ».
L'image d’Elmar Krusman passe en mon esprit ; « Fernandel », c’était le surnom donné à Franz Ehrmanntraut qui, quelques mois plus tard à Bisingen, sera aux côtés d’Elmar Krusman « tremblant », quand celui-ci sera mis en présence de la secrétaire de mairie de Bisingen pour lui refaire un manteau (il était tailleur de profession).
NB - Struthof, l’intérieur de la Kartoffelkeller, septembre 2025 |
À l'entrée du CERD (Centre européen du Résistant Déporté – construit en 2005 précisément au-dessus de la Kartoffelkeller ; c’est l’un des deux espaces musée du camp et en même temps le centre d’accueil des visiteurs), un autre employé du site, très avenant et disert, présente des objets des archives du site, qui peuvent parfois être exposés dans l’autre musée, celui de la baraque à l’intérieur de l’enceinte du camp.
Bon, là voisinent étrangement des objets liés à la période concentrationnaire (le KL Natzweiler, et d’autres camps de concentration) et à la période carcérale (1944-1945) qui a suivi l’évacuation du camp de près. Ce mélange des mémoires, des histoires, pose question, même s’il est exact que le site a accueilli les deux systèmes successifs. (Le mélange imprécis, on le sait, est une tendance de certains « historiens » locaux qui ne sent pas toujours très bon…)
Cela ma ramène à l’ouvrage sur le sujet de Frédérique Neau-Dufour, dont je reparlerai prochainement.
Nils Blanchard
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