mardi 24 octobre 2023

Les colonnes d’Hercule, un peu plus loin

 Le billet intitulé "Les colonnes d'Hercule" est celui, de ce blog, qui a été le plus consulté. Cette « suite » n’a pas pour visée de profiter de ce succès ; il se trouve simplement que j’ai eu à nouveau affaire à elles, dans le cadre d’une visite passionnante du site archéologique de la carrière de l’ancien camp central de Natzweiler (Struthof), organisée par l’APHG et menée par l’archéologue Juliette Brangé, le 7 octobre 2023.

NB - Struthof, 7 octobre 2023

Je transmets mes notes (PDF) sur cette conférence (indépendantes de ce billet) à qui le demande ; il suffit de me contacter par courriel (voir mon « profil » sur ce blog).

Je signale aussi que – en tout cas dans sa version pour ordinateur – on peut accéder sur ce blog à diverses mentions du système concentrationnaire au cours de différents billets, notamment en cliquant sur les noms des anciens camps de concentration principaux ou secondaires, et aussi sur le nom d’Elmar Krusman, le déporté sur le destin duquel je me suis penché. Pour les camps principaux : Auschwitz, Natzweiler Struthof, KL Bergen-Belsen, KL Buchenwald, KL Dachau, KL Flossenbürg, KL Ravensbrück, Stutthof Dantzig et Treblinka.
Les camps secondaires évoqués en ce blog sont quasi exclusivement (pour l’instant) ceux du KL Natzweiler (voir les étiquettes « Bisingen » – le camp où est passé Elmar Krusman –, Haslach, Obernai, Schwindratzheim et Vaihingen).

Des billets rendent compte aussi de conférences, ainsi 

- de celle de Robert Steegmann à Haguenau à l’automne 2022 sur les camps annexes du Struthof

- de celles de février 2023 à Strasbourg, organisées en lien au Mémorial de la Shoah

- enfin de celle du 10 mai 2023, à Metz, de Michaël Landolt sur l’archéologie des camps en France.

NB - Struthof, 7 octobre 2023

C'était une belle après-midi ensoleillée, assez chaude – on était dans cette première partie d’octobre comme déconnectée de l’automne. Juliette Brangé, jeune archéologue passionnée, passionnante, connaissant très bien le sujet de sa future thèse, a entraîné un groupe constitué bien sûr surtout de professeurs d’histoire sur le site de l’ancienne carrière du Struthof.
Au fil de différentes haltes, elle a dévidé l’histoire du lieu et de ses fouilles – régulièrement, l’été par des étudiants en archéologie de tous horizons et quelques professionnels.

Quelques jalons : l’exploitation du granite rose sur le Mont Louise commence en 1941, et avec elle la construction du camp (d’abord en bas, autour de l’ancienne auberge et de la chambre à gaz). Pour les travaux les plus spécialisés, ce sont des civils qui sont à la manœuvre. Il y a donc interaction entre civils et déportés, sur toute la durée d’existence du camp.

L'activité sur le site de la carrière mute à partir de 1943, avec l’utilisation du lieu pour des ateliers de réparation (et surtout tri de pièces) de moteurs d’avions. Du coup, toute une série de bâtiments sont construits du début 1943 jusqu’à l’été 1943, dont on a encore la trace aujourd’hui.

En septembre 1944, c’est l’évacuation du camp ; et à partir de novembre, le Struthof devient un camp d’internement administratif, avec des gens d’âge, genre... différents ; dont femme enceinte.
Là, un petit groupe a travaillé à la carrière. On a très peu d’informations là-dessus.

Enfin à partir de novembre 1945 est installé sur le site du Struthof un ensemble pénitentiaire pour jeunes garçons / jeunes hommes, avec ce qu’on pourrait appeler un centre de formation, en vue de la réinsertion future des personnes incarcérées. Et dans ce cadre, la carrière a servi d’atelier.
Du coup, sur le plan archéologique : on trouve des époques mélangées dans des mêmes couches…

NB - Struthof, 7 octobre 2023

Dans la lignée de recherches et travaux récents, un certain nombre de points ont été rappelés.

– D'abord, ces contacts entre civils et déportés sont passionnants. Ils démontent le mythe du « on ne savait rien », notamment au niveau local, vu que ces civils venaient des communes avoisinantes pour la plupart. Ils remettent en question aussi une certaine tradition orale, basée sur les témoignages. En l’occurrence, les témoins – directs ou indirects ; il a été question aussi par exemple de leurs descendants –, volontairement, ou parfois sans doute, en partie en tout cas, involontairement, pouvaient occulter un passé gênant, mal compris, douloureux.
En se transmettant au cours des décennies, les témoignages ont pris figure de documents historiques, ce qu’ils ne peuvent être que sous couvert d’une critique historique pertinente et compétente.
L'histoire – elle est en cela scientifique – se nourrit aussi d’erreurs. Dans ce cas cependant, on sait que les révisionnistes utilisent, dans la masse gigantesque des informations dont nous disposons, des erreurs que leurs esprits erratiques et faibles arrivent à extirper çà et là de différentes sources et études.

– Ce problème rejoint celui de la mémoire plus généralement, son évolution dans le temps.
(Cela n’a pas été beaucoup remarqué, j’avais construit mon livre – Elmar Krusman, un Suédois d’Estonie au camp de concentration du Struthof – en partie en tout cas, sur des strates de témoignages et de mémoire, à travers cinq « auteurs témoins » des camps Wüste et du Neckar, écrivant (ou publiant) en 1945, 1972, 1982, 1995 et 2000.)

– Une piste d’étude a été soulignée par Juliette Brangé : les témoignages des déportés de l’Est, soviétiques et polonais, qui ont formé une grande part des détenus qui ont travaillé à la carrière.
Cette mémoire-là a été très peu étudiée par la force des choses (éloignement, langue, rideau de fer à une certaine époque…)
D'une certaine manière (mais ce n’était pas un prisonnier de guerre), Elmar Krusman peut être considéré comme Soviétique, vu qu’il a été arrêté par les nazis en Estonie en 1941.

– Enfin, l’archéologie contemporaine apparaît en ce cadre comme un « nouvel » outil (voir à ce propos la conférence de Michaël Landolt) très prometteur.


Nils Blanchard

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