Il y a déjà trop de temps pour que j’en garde un souvenir précis, mais récemment se sont bousculés divers récits de rêves, dans mes lectures, vagabondages numériques… M’est restée cette idée de billet.
NB - octobre 2024 |
Bon, ça, ce n’est pas trop difficile à garder en mémoire : c’est peut-être parti de Bernur (Björn Kohlström) évoquant en août dernier la parution en Suède du Journal de rêves de Théodor W. Adorno (concernant, cette édition, une période de 1934 à 1969). Évidemment, la tenue d’un journal de rêves, ça m’a interpellé pour diverses raisons.
« Men går det att säga att en dröm avslöjar något om oss? Berättar drömmarna vem vi ”egentligen” är? Vad som kan sägas, är väl snarare att ju starkare neuroser, desto livligare drömmar. Med andra ord: om du saknar dramatik i dina drömmar, se till att oroa dig mer. Ibland är Adornos drömmar roliga, ibland obegripliga, som när han dansar med en hund iklädd frack. »
« Mais peut-on considérer qu’un rêve dévoile quelque chose de nous ? Les rêves racontent-ils qui nous sommes « réellement » ? Ce qu’on peut dire, c’est que plus on est névrosé, plus les rêves sont prenants. En d’autres termes, si vous vous ennuyez dans vos rêves, tâchez d’avoir plus de problèmes. Adorno a des rêves drôles, parfois incompréhensibles, comme quand il danse avec un chien en tenue de soirée. »
Plus loin, après des dames de verre dans des bordels :
« Promenaderna i städer är något som nog är mer arketypiska, att vi vandrar i de världar vi har övergivit (i mina drömmar är jag alltid i Umeå). Men det är en värld som har förändrats, förvrängts, förstörts. Arkitekturen har reviderats, gatuplanen har rivits upp och infrastrukturen har försummats. »
« Plus signifiantes doivent être les promenades dans les villes : nous errons dans les villes que nous avons abandonnées (dans mes rêves, je suis toujours à Umeå). Mais c’est un monde qui a changé, qui a été déformé, abîmé. L’architecture a été revue, la voirie cassée, les infrastructures négligées. »
Je rêve quant à moi peu de villes, plutôt de maisons, plus ou moins anciennes.
Bon, mais considérer que la réalité est nettement plus saugrenue que ses rêves…
Les voyages fantastiques de Julien Grainebis, p. 97, éd. P. Horay, 1958 Illustration de Camille Claus |
Ou que la littérature… On en revient çà et là, régulièrement à un livre qui n’a l’air de rien, d’André Dhôtel. D’ailleurs, au départ, ce n’est pas un livre mais un recueil de contes publiés dans divers revues : Les voyages fantastiques de Julien Grainebis (illustré par Camille Claus). Dans « Le voyage de Madame Sobert », Julien Grainebis et la dame Sobert en question, partis aux États-Unis, y vont de déconvenue en déconvenue, se retrouvent employés plus ou moins de force par un couple de fermiers (deux hommes) avec qui il est impossible de communiquer, non à cause de la langue, mais parce qu’on ne peut avoir de conversation suivie avec eux, un peu comme dans certains rêves, du reste.
Une des distractions de ces gens, rustres ça va sans dire, est de chasser un ours dans la forêt, ours unique échappé d’une ménagerie.
Évidemment, l’ours, un peu étrange tout de même, un peu… dhôtelien dirons-nous, pourra finalement regagner sa forêt, tranquillement, mais non sans laisser une trace sanglante derrière lui.
Se frotte-t-on impunément aux hommes ?
(Ill. Emmanuel Cerdan.) |
Je disais que je rêve, ou ai rêvé à une époque, régulièrement, à des maisons, d’enfance ou partiellement, déformées bien sûrs, « adaptées » au songe. Et dans Croire aux fauves, Nastassja Martin raconte un rêve qui démarre dans une maison d’enfance.
« (...) je m’avance vers le jardin aux oiseaux. Je me fige. Quelque chose sort du puits, une tête. Mon estomac se contracte de peur. Je le vois nettement maintenant, alors qu’il s’extirpe de terre. Il est gros, marron clair, fauve. Je tourne la tête. Il y en a un autre (…) Grognements. Un troisième [ours] sort de la cabane. Celui qui est sorti du puits s’avise et d’un pas nonchalant se dirige vers moi. Je me mets à courir mais je suis si lente, je déteste ça, ce ralenti propre au temps du rêve (…) »
Blessée grièvement par un ours, qu’elle a blessé en retour aussi, la narratrice raconte ce rêve à une psychologue.
Mais difficile de lui expliquer en revanche qu’il s’agit pour elle aussi d’une rencontre. « C’est aussi le temps du mythe qui rejoint la réalité ; le jadis qui rejoint l’actuel ; le rêve qui rejoint l’incarné. »
Tenez, voilà qui peut faire penser – dans un sens – à une visite de Klamm à un petit fonctionnaire, comme un évêque visitant un petit curé de campagne.
Nils Blanchard