À la recherche de je ne sais trop quoi, je feuilletais mon Que sais-je ? Sur Homère, de Jacqueline de Romilly.
Page 116, l’auteure remarque : « Le fossé entre Grecs et barbares
[au temps des poèmes d’Homère] n’est pas encore creusé. Dans l’Iliade il
n’y a absolument aucune différence entre Troyens et
Achéens. Personne ne s’étonne qu’ils parlent la même langue,
qu’ils observent les mêmes usages, que leurs règles morales
ou sociales soient les mêmes, ou que leurs dieux soient les mêmes.
(…) Homère ne conçoit pas un instant que l’ennemi puisse
être différent. »
Les temps n’ont-ils pas beaucoup changé ?
On reparlera de la manière de voir les Russes, de certains de
leurs voisins. Elmar Krusman, comment voyait-il ses ennemis ?
Étaient-ils ses semblables, ses frères ? La brute, Ehrmanntraut, qui
l’a mené devant cette employée de mairie de Bisingen, qui a décrit
E. Krusman, sans le nommer, « tout à fait tremblant »…
Les Suédois d’Estonie en général ?
Lors de ce colloque que j’évoquais au dernier billet, sur
l’évolution des contacts de langues et de cultures, je
m’interrogeais sur la place des Esto-Suédois parmi les
autres peuples, nations. Étaient-ils un simple groupe,
une ethnie, un peuple ? Ils étaient moins de 10 000, mais
furent reconnus comme une minorité. Ils n’étaient plus seulement
des Suédois (au moment de la guerre, ils avaient été séparés de
leur patrie d’origine depuis au moins sept siècles).
Une nation ? Ce qui semblait les caractériser, précisément, est qu’ils
n’avaient pas d’ennemis jurés. Peu de traces de batailles, de
révoltes, de massacres dans leur histoire, mais des dominateurs
dont on s’accommode comme on peut, des relations de voisinage
plus ou moins tendues sans doute, une constante diplomatie,
semble-t-il, pour préserver un mode de vie authentique
– les fameux « privilèges » suédois – dans la durée.
Quelque chose à mettre en rapport avec la neutralité suédoise
depuis Bernadotte…
Carte des zones esto-suédoises; années 30 |
Plus loin (pages 116-117), J. de Romilly remarque qu’Achéens
(Grecs, donc) et Troyens partagent les mêmes croyances, les
mêmes dieux. Puis : « Le fait est d’autant plus remarquable
qu’Homère n’a rien d’un pacifiste, blâmant la guerre en tant
que telle. Elle est comme un donné de la civilisation d’alors.
Elle a ses douleurs, mais aussi ses beautés. On peut, certes,
évoquer avec nostalgie le temps de paix. (…) Et l’on n’y trouve
pas non plus, nulle part, rien qui suggère une guerre nationale,
entre peuples différenciés. La lutte entraîne une âpre
compétition, mais point de haine : Troyens et Achéens
sont les uns et les autres des héros et des mortels, qui en tout
se ressemblent. »
NB - Bohuslän |
Pour ce qui est de la Seconde Guerre mondiale, c’est en quelque sorte
l’inverse, surtout vue sous le prisme du système concentrationnaire.
Pour Boris Pahor, de Trieste (comme pour Elmar Krusman et les Esto-
Suédois), les choses ont commencé à se gâter avant même la
guerre, avec l’arrivée du fascisme (avec le climat délétère pour
les minorités qui s’est installé au cours des années trente en
Estonie). De quoi rêvait Boris Pahor en invoquant Calypso ?
D’un paradis à reconquérir ?
Nils Blanchard
P.-S. Sans rapport ?
Hier, J’ai vécu des heures vaguement kafkaïennes – j’évoquerai
bientôt, en passant, l’Autriche-Hongrie –. Une batterie morte,
en Allemagne, avant-hier soir, très tard. Un réparateur fort gentil
fait redémarrer ma voiture ; « Peut-être cela marchera-t-il ; après,
il faudra la faire tester... » Je rentre chez moi, en France, sans
couper une seule fois le moteur. Las, ce matin : obligé d’appeler
à nouveau un réparateur, pour me relancer à nouveau et me
permettre d’aller à un garage. On me promet quelqu’un pour
neuf heures trente, puis dix heures. Je prends rendez-vous au
garage, commande une batterie. Le temps passe…
Truc assistance (une personne dont j’ai oublié le prénom,
appelons-la G) : – Vous comprenez… Effectivement… [Cet adverbe,
tic de langage des sots de nos temps.] »
Onze heures.
G : – Ils ont peut-être un imprévu. Il faut comprendre.
Mais pourquoi ne communiquent-ils pas ?
À midi, j’appelle un taxi. Je ne peux plus attendre ; dois me rendre
à mon travail. À treize heures, le garage de dépannage
m’appelle : « On est chez vous. Pourquoi n’êtes-vous pas là ? »
Mais parce que je suis à mon travail. De petit fonctionnaire
récemment mal noté (mais je crois que c’est un honneur –
j’expliquerai peut-être pourquoi...)
D’autant plus ennuyé d’être sans véhicule que je dois nourrir,
pour deux ou trois jours, des chats d’amis, en Allemagne.
Et Thomas Nydahl, hier justement, citation dans un billet intitulé :
« Vänskapen gångbroar". Il est illustré par une photographie d'arbres
entre le printemps et l'été.
« Skriv om stunderna
då vänskapens gångbroar
verkar hållfastare
än förtvivlan
Adam Zagajewski, ur Törst, i översättning av Anders Bodegård »
(« Écris sur les moments
où les pontons de l’amitié
semblent s’accrocher davantage
que le désespoir
Adam Zagajewski, extrait de Soif, traduit [en suédois] par Anders
Bodegård »)
(Bon, mais en ce qui me concerne, le désespoir… Il ne faut
rien exagérer.)
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