lundi 16 septembre 2024

Nostalgie, again / L’amie retrouvée

Cette fois, je l’ajoute à la liste de blogs en lien de celui-ci – on les atteint en version ordinateur ; ils sont à droite de l’écran… Cela faisait un certain temps que je voulais le faire ; je reportais…

Affiche du théâtre de Wasa


« Sandra skriver », là, évoque fort bien je trouve une rencontre fortuite avec une ancienne camarade de lycée, à un moment où elle-même ressent… un certain blues.
« Nuit des arts » à Wasa – où j’ai eu le plaisir de passer quelques jours, dans une autre vie, avec des gens formidables – ; l’auteure se retrouve seule, un peu cafardeuse, et s’assoit sur un banc.

« (...) när en gammal gymnasieklasskompis slår sig ner bredvid mig. ”Hej”, säger hon, ”jag kände att jag ville komma och prata med dig.” Så vi pratar litegrann, om att hon har börjat jobba igen efter föräldraledighet och om att bo i trähuslägenhet och om hur livet är i det stora hela. Hon är lika innerlig, varm och vänlig som när vi umgicks dagligen för femton år sedan, säger att det känns bekant att sitta bredvid varandra på en bänk. Så många gånger vi gjort det i skolkorridorer. Jag känner mig trygg och nästan lite yr, som att ett mjukt sken har lagt sig över oss och gjort världen suddig i kanterna. »

« (...) quand une vieille camarade de lycée s’installe à côté de moi. Salut”, dit-elle, ”j’ai bien envie de bavarder un peu avec toi.” Donc on bavarde un peu ; elle s’est remise à travailler après un congé parental, elle vit dans un appartement d’un immeuble en bois ; comment est la vie en gros. Elle est toujours aussi présente, chaleureuse et gentille qu’au temps où l’on se voyait quotidiennement, il y a quinze ans ; elle dit d’ailleurs qu’il y a quelque chose de familier dans cette situation où l’on est, assises sur un banc toutes les deux, comme on l’a fait si souvent dans les couloirs de l’école. Je me sens en confiance, presque un peu pompette, comme si une douce clarté nous avait recouvertes et rendu le monde comme un peu flottant. »



Là, il s’agit de bonne nostalgie, de rencontre, même si elle marque le temps qui passe… Moins enthousiasmante est la nostalgie paperassière : tomber sur certaines vieilles lettres, voire vieux écrits… C’est ce qui arrive à Julien Green qui écrit dans son journal (version intégrale, Bouquins, 2021, tome 3, page 57) le 19 mars 1946 : « Retrouvé des lettres écrites en 1939 et des bouts de manuscrits qui m’ont jeté dans une assez grande tristesse. Il arrive un moment où aucun souvenir ne peut plus donner de plaisir sans mélange, où la mémoire devient une source de mélancolie. »

On retrouve – c’est aussi pour rester un peu en août – un peu le même thème dans la recension par Bernur d’un recueil de poésie d’Alexander Bargum : All tid leder hit (Tous les temps mènent ici). Peu avant la cinquantaine, précise le blogueur, Alexander Bargum serait dans les traces de Tomas Tranströmer et Louise Glück, Pia Tafdrup aussi. Et cette citation : « ”Att minnas är att förstöra. […] Att förstöra / är att minnas”. » (« ”Se souvenir c’est détruire. […] Détruire / c’est se souvenir”.

Bon, mais l’amie retrouvée de Sandra me rappelle bien sûr d’autres retrouvailles, plus ou moins réussies, plus ou moins espérées – sans revêtir la terrible destinée de l’ami du roman de Fred Uhlman.


Nils Blanchard


P.-S.: J'avais écrit ce qui précède il y a déjà quelques jours. Entre temps, le 13 septembre dernier, un article paraît sur le blog « Sandra skriver », intitulé « Sjugoen minuter » (« vingt-et-une minutes »).
Ce qui ramène à ce billet paru ici.
Trois minutes d’écart…

Conférence à venir à Nantes, de la diplomate Pia Edström Bourdeau. Voilà qui pourrait intéresser mes anciens étudiants, mais c'est à l'autre bout de la France... 



mercredi 11 septembre 2024

Ricochets et hasards – Conférence à Bisingen ; 3

Le camp de Westerbork (dans la Drenthe ; voir précédemment ici, ) est difficile à définir : pas vraiment camp de concentration au sens où nous l’entendons (la plupart des déportés n’y subissaient pas de sévices), il est néanmoins une chaîne dans le processus d’extermination. S’il y a eu des survivants, dans le cadre d’accords avec les « dirigeants » juifs du camp, ils furent proportionnellement peu nombreux.

Vincent van Gogh, fermes dans la Drenthe; musée de la Drenthe - capture d'écran

Aussi, on trouve d’étranges similitudes avec des camps de concentration. Ainsi, la multiplication des baraques en bois, qui passent de 24 à 107, avec l’accélération de la « rotation » vers les camps d’extermination.
Aussi : barbelés, miradors… Voie de chemin de fer qui atteint le camp lui-même à partir de juillet 1942.
Il y a un quartier disciplinaire, où sont parqués, dans des conditions différentes de celles des autres détenus, ceux qui ont tenté d’échapper à la déportation, qui se sont cachés comme la famille d’Anne Frank.
Puis le travail devient courant : il y a une ferme à l’extérieur du camp, sur les terres de laquelle travaillent certains détenus (cf. ici le kommando d’Obernai…), des ateliers de couture pour les prisonnières. À partir de septembre 1943, au vu de l’évolution de la guerre, des difficultés économiques et bombardements sur l’Allemagne, on installe des ateliers de tris de métaux, démontage d’avions. On rejoint là avec quelques mois de retard l’évolution de la carrière du camp central de Natzweiler, dont les fouilles archéologiques actuelles revisitent l’histoire.

Westerbork avait un fonctionnement particulier aussi dans l’organisation de la vie quotidienne, avec d’abord une « élite » composée des plus anciens déportés, allemands et autrichiens. Puis des services, autonomes, encadraient l’existence des prisonniers : monnaie, enseignement pour les enfants, cultes juif et chrétien, même activités sportives… Il y avait aussi un « orphelinat » accueillant les enfants laissés sans parents.

Drenthe - reproduction de dessin de V. van Gogh. Capture d'écran


Jusqu’à quel point peut-on considérer qu’il y avait une liberté d’expression ? Une chose est étrange à propos des Lettres de Westerbork, d’Etty Hillesum, c’est qu’elle ait pu précisément les envoyer.
Sauf à la fin de sa période à Westerbork (elle y séjourne, outre deux brefs séjours avant l’été 1942, du 30 juillet 1942 au 14 août 1942, du 21 août à début septembre 1942, du 20 novembre au 5 décembre 1942 ; elle y retourne enfin, après une hospitalisation à Amsterdam, du 5 juin 1943 au 7 septembre de la même année, date de sa déportation vers Auschwitz), où elle évoque des difficultés à recevoir et envoyer le courrier, il semble qu’elle ait pu diffuser assez librement ses lettres qui constituent un témoignage non seulement sur une barbarie et une absurdité insondables (les conditions d’existence dans ce camp de transit et d’internement, à un moment où elles se dégradent fortement), mais aussi sur la « solution finale », qui transparaît, parfois assez directement.
Ainsi écrit-elle en décembre 1942 (traduction de Philippe Noble) :

« Ces châlits, on y vit, on y meurt, on y mange, on y est cloué par la maladie, on y passe des nuits sans sommeil à écouter les enfants qui pleurent, à ressasser la même question : pourquoi ne reçoit-on à peu près aucune nouvelle des milliers et des milliers de gens qui sont partis d’ici ? »

En juillet 1943, à propos de gens qu’elle tente d’aider dans le camp :

« J'aimerais m’occuper de leurs bagages avec tout le soin possible, mais en même temps je sais qu’ils leur seront enlevés à l’arrivée (nous en avons ici des indices de plus en plus sûrs). Alors, à quoi bon tout ce tintouin ? 
(...) Pour nous, je crois, il ne s’agit déjà plus de vivre, mais plutôt de l’attitude à adopter face à notre anéantissement. » 

Les autorités nazies d’occupation aux Pays-Bas ne semblent pas avoir pleinement envisagé que la simple description du quotidien de ce camp, des successions de convois, les faisait apparaître… pour ce qu’elles étaient – des barbares absolus – quand bien même l’auteure n’utilise pas l’insulte, montre peu de ressentiment ou de mépris.




Westerbork est libéré le 12 avril 1945 ; il regroupe alors encore 850 détenus. Rappelle aussi le KL Natzweiler la mutation après la guerre du camp : dans une première phase d’après-guerre, le camp devient un centre d’internement pour collaborateurs.
La phase suivante de l’existence du lieu est liée à l’histoire coloniale des Pays-Bas : à partir de l’automne 1949, le camp sert de lieu de quarantaine pour des militaires de retour d’Indonésie, puis de lieu de résidence temporaire pour des civils rentrant des mêmes contrées (à partir de l’été 1950). Enfin, de 1951 à 1971, y ont séjourné des ressortissants des îles Moluques, les Amboinais.


Réfugués amboinais aux Pays-Bas, 1951 - capture d'écran


(Une partie des renseignements ci-dessus est tirée de l’article d’Ido de Haan, téléchargeable au CAIRN.)


Nils Blanchard

vendredi 6 septembre 2024

Enfants de l’été

Deux lectures relativement récentes : l’une, dont il a été pas mal question en ce blog, celle de David, d’André Dhôtel. L’autre, un livre très récemment édité en français de Tove Jansson : Voyages sans bagages.

Photo V. Malmström, Stockholm, 1900 ; capture d’écran

Mais, pour commencer, n’y a-t-il pas quelque chose de japonais dans la photographie colorisée de 1900, de cet enfant regardant les bateaux de Långholmen ? (Où les choses n’ont pas beaucoup changé… Bon, peut-être la tenue de l’enfant, sa casquette…)
C'est que l’été dernier, j’évoquai aussi Tove Jansson, en lien à ma lecture du Livre d’un été. Et je trouvai alors à gloser sur le Japon, bien indirectement…

Je ne parle même pas de cette Japonaise qui apparaît, qui disparaît dans La langue des oiseaux de Claudie Hunzinger. (Et – à ce prénom aussi on reviendra… dont on a déjà parlé ici, là… – l’homme de la vie de la narratrice – c’est Nils, Grieg dans d’autres livres… est Thomas.)

NB - été 2024


Deux histoires – celle de David et celle de « L’enfant de l’été », l’une des nouvelles de Voyages sans bagages – sont un peu les deux faces d’une même pièce. Dans l’une (publiée une première fois en 1947 par Florence Gould) et l’autre (1968, traduite en français en 2024 à La Peuplade) un enfant arrive dans une communauté et s’en fait détester, pour des raisons en partie inexplicables. Dans David, on lit page 27 (de l’édition de l’Arbre vengeur) :

« Tout le monde à Bermont prit en haine David Charlet. »

Dans « L’enfant de l’été », première phrase de la nouvelle (traduction de Catherine Renaud) :

« Il fut clair dès le début qu’à Backen, personne ne l’appréciait. »

L'enfance et la haine ; une enfance intrinsèquement (si l’on peut dire) en conflit, en dissonance avec un milieu (en l’occurrence pas le sien vraiment : dans David, David est un enfant plus ou moins adopté par diverses familles de Bermont ; dans « L’enfant de l’été », Elis passe, comme le titre de la nouvelle l’indique, un été sur une petite île de l’archipel finlandais suédophone imagine-t-on, sans doute ressemblant fortement à l’île de l’auteure, à celle du Livre d’un été , en visite dans une famille qu’il ne connaît pas au départ).



Mais dans cette boue de détestations (mais qui peuvent ouvrir aux plus grands amours), de rejets communautaires, peuvent éclore des merveilles – bon, dans David, les choses sont plus compliquées que ça… –, comme cette fleur dans un caniveau…


Nils Blanchard

dimanche 1 septembre 2024

Fragments de fin d’été

Songeries peu stables mais qu’on développera peut-être. (Plus ou moins) petits événements, citations, comme des abeilles au hasard autour d’une ruche.
Hasard, vraiment ?
Éternelle (?) question.

NB - Haguenau, fontaine aux abeilles

¤ Missing, film de Costa-Gavras de 1982. L’action se passe au Chili, peu après le coup d’État de Pinochet contre le président Allende. Un père enquête sur la disparition de son fils au moment de ces tribulations.
Le père du disparu (à une journaliste) : « Et Perez ? [Un militaire argentin qui a travaillé au début pour la junte, et qui se trouve dans un camp de gens mis à l’écart, protégés avant d’être expulsés vraisemblablement…].
– Il n’est sûrement pas prêt de sortir d’ici.
– Pourquoi parle-t-il ?
– S'il arrive à intéresser la presse, rien ne peut lui arriver. Ils n’oseront pas. Surtout ne pas rester dans l’anonymat, c’est la seule façon de survivre. »

C'est un raisonnement qui n’est sans doute pas idiot, qui était peut-être payant du temps de la dictature au Chili, mais force est de constater qu’en Russie, une certaine notoriété n’a guère profité à Navalny.
Il est vrai qu’il n’a pas fui ; il a voulu étrangement considérer qu’il pouvait se battre avec les armes de l’état de droit, de la raison, de l’honnêteté, là où il était, où ça en était. De son côté, par exemple, il avait l’humour. C’est un trait commun aux dictature, le manque quasi complet d’humour.


¤ À en croire Thomas Nydahl (article sur son blog du 21 juin dernier) Virilio aurait eu cette sentence très appropriée à nos temps de « réseaux » « sociaux » :

« Virilio säger att ”ju snabbare informationen kommer, desto tydligare blir det hur fragmentarisk och ofullständig den är.” »

« Virilio : Plus l’information se propage vite, plus son caractère fragmentaire et imparfait apparaît clairement.” »

Les « nouvelles » technologies, plus généralement, ont un fantastique pouvoir d’exclusion. Un vieil ami me disait tout récemment qu’il ne pouvait plus prendre le train, incapable de prendre un billet dans un automate ; or les guichets deviennent de plus en plus rares. (À Strasbourg – et il doit en être de même dans d’autres gares –, on se paye même la tête du client…)


Magritte - capture d'écran

¤ Il était question de faire payer les patients posant des lapins à leurs médecins.
À Strasbourg encore, c’est l’inverse qui s’est passé. Une ophtalmologue de l’avenue des Vosges, auprès de qui j’avais dûment pris rendez-vous je ne sais combien de mois à l’avance, n’était pas là au jour et à l’heure dite. Porte close, messagerie de téléphone pleine. J’étais son patient depuis plusieurs années ; pas de nouvelle ni d’elle, ni de son secrétariat. Il paraît qu’elle serait partie à la retraite. Il est à souhaiter que cette attitude soit l’exception. Une société dans laquelle les médecins se comportent de la sorte, franchement… c’est mal barré.


¤ Heureusement, j’ai beau rester poli avec certains spécialistes (quel choix, de toute façon?), je ne suis pas (à ma connaissance) très gravement malade. Ce n’est pas semble-t-il le cas de Thomas Nydahl dont il est question un peu plus haut.
Il se réjouissait le 28 juin d’avoir reçu un livre sur Hemingway et du miel (entre autres) pour son anniversaire. Mais de conclure néanmoins :

« Ändå är det inre livet dränerat av sjukdomen. Jag vet att den ska döda mig. Jag är fängslad och fri. »

« Pourtant ma vie est pénétrée à l’intérieur par la maladie. Je sais qu’elle me tuera. Je suis prisonnier et libre. »

(On trouvera bien l’occasion de reparler de miel, d’abeilles, plus tard.)


NB - Haguenau, fontaine aux abeilles


Nils Blanchard

Nostalgie, again / L’amie retrouvée

Cette fois, je l’ajoute à la liste de blogs en lien de celui-ci – on les atteint en version ordinateur ; ils sont à droite de l’écran… Cela ...