mercredi 11 septembre 2024

Ricochets et hasards – Conférence à Bisingen ; 3

Le camp de Westerbork (dans la Drenthe ; voir précédemment ici, ) est difficile à définir : pas vraiment camp de concentration au sens où nous l’entendons (la plupart des déportés n’y subissaient pas de sévices), il est néanmoins une chaîne dans le processus d’extermination. S’il y a eu des survivants, dans le cadre d’accords avec les « dirigeants » juifs du camp, ils furent proportionnellement peu nombreux.

Vincent van Gogh, fermes dans la Drenthe; musée de la Drenthe - capture d'écran

Aussi, on trouve d’étranges similitudes avec des camps de concentration. Ainsi, la multiplication des baraques en bois, qui passent de 24 à 107, avec l’accélération de la « rotation » vers les camps d’extermination.
Aussi : barbelés, miradors… Voie de chemin de fer qui atteint le camp lui-même à partir de juillet 1942.
Il y a un quartier disciplinaire, où sont parqués, dans des conditions différentes de celles des autres détenus, ceux qui ont tenté d’échapper à la déportation, qui se sont cachés comme la famille d’Anne Frank.
Puis le travail devient courant : il y a une ferme à l’extérieur du camp, sur les terres de laquelle travaillent certains détenus (cf. ici le kommando d’Obernai…), des ateliers de couture pour les prisonnières. À partir de septembre 1943, au vu de l’évolution de la guerre, des difficultés économiques et bombardements sur l’Allemagne, on installe des ateliers de tris de métaux, démontage d’avions. On rejoint là avec quelques mois de retard l’évolution de la carrière du camp central de Natzweiler, dont les fouilles archéologiques actuelles revisitent l’histoire.

Westerbork avait un fonctionnement particulier aussi dans l’organisation de la vie quotidienne, avec d’abord une « élite » composée des plus anciens déportés, allemands et autrichiens. Puis des services, autonomes, encadraient l’existence des prisonniers : monnaie, enseignement pour les enfants, cultes juif et chrétien, même activités sportives… Il y avait aussi un « orphelinat » accueillant les enfants laissés sans parents.

Drenthe - reproduction de dessin de V. van Gogh. Capture d'écran


Jusqu’à quel point peut-on considérer qu’il y avait une liberté d’expression ? Une chose est étrange à propos des Lettres de Westerbork, d’Etty Hillesum, c’est qu’elle ait pu précisément les envoyer.
Sauf à la fin de sa période à Westerbork (elle y séjourne, outre deux brefs séjours avant l’été 1942, du 30 juillet 1942 au 14 août 1942, du 21 août à début septembre 1942, du 20 novembre au 5 décembre 1942 ; elle y retourne enfin, après une hospitalisation à Amsterdam, du 5 juin 1943 au 7 septembre de la même année, date de sa déportation vers Auschwitz), où elle évoque des difficultés à recevoir et envoyer le courrier, il semble qu’elle ait pu diffuser assez librement ses lettres qui constituent un témoignage non seulement sur une barbarie et une absurdité insondables (les conditions d’existence dans ce camp de transit et d’internement, à un moment où elles se dégradent fortement), mais aussi sur la « solution finale », qui transparaît, parfois assez directement.
Ainsi écrit-elle en décembre 1942 (traduction de Philippe Noble) :

« Ces châlits, on y vit, on y meurt, on y mange, on y est cloué par la maladie, on y passe des nuits sans sommeil à écouter les enfants qui pleurent, à ressasser la même question : pourquoi ne reçoit-on à peu près aucune nouvelle des milliers et des milliers de gens qui sont partis d’ici ? »

En juillet 1943, à propos de gens qu’elle tente d’aider dans le camp :

« J'aimerais m’occuper de leurs bagages avec tout le soin possible, mais en même temps je sais qu’ils leur seront enlevés à l’arrivée (nous en avons ici des indices de plus en plus sûrs). Alors, à quoi bon tout ce tintouin ? 
(...) Pour nous, je crois, il ne s’agit déjà plus de vivre, mais plutôt de l’attitude à adopter face à notre anéantissement. » 

Les autorités nazies d’occupation aux Pays-Bas ne semblent pas avoir pleinement envisagé que la simple description du quotidien de ce camp, des successions de convois, les faisait apparaître… pour ce qu’elles étaient – des barbares absolus – quand bien même l’auteure n’utilise pas l’insulte, montre peu de ressentiment ou de mépris.




Westerbork est libéré le 12 avril 1945 ; il regroupe alors encore 850 détenus. Rappelle aussi le KL Natzweiler la mutation après la guerre du camp : dans une première phase d’après-guerre, le camp devient un centre d’internement pour collaborateurs.
La phase suivante de l’existence du lieu est liée à l’histoire coloniale des Pays-Bas : à partir de l’automne 1949, le camp sert de lieu de quarantaine pour des militaires de retour d’Indonésie, puis de lieu de résidence temporaire pour des civils rentrant des mêmes contrées (à partir de l’été 1950). Enfin, de 1951 à 1971, y ont séjourné des ressortissants des îles Moluques, les Amboinais.


Réfugués amboinais aux Pays-Bas, 1951 - capture d'écran


(Une partie des renseignements ci-dessus est tirée de l’article d’Ido de Haan, téléchargeable au CAIRN.)


Nils Blanchard

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