Le 25 septembre dernier, s’est tenue au Musée historique à Mulhouse une conférence de Romain Blandre : « Le KL Natzweiler et le camp du Struthof face aux falsificateurs de l’histoire ».
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Pierre Mignard, Clio - Wikipedia |
Romain Blandre (professeur d’histoire géographie, aussi professeur relais au CERD/Struthof) annonce une introduction en plusieurs points. Et dès le début de son intervention, il évoque l’attentat du 13 mai 1976 sur le site de l’ancien KL Natzweiler, qui a entraîné l’incendie de la baraque musée (qui était une des deux baraques en bois d’origine conservées, et qui contenait et exposait un certain nombre d’objets du camp de concentration). Il va apparaître que cet incendie est le fait d’un groupe local, les « loups noirs ».
R. Blandre lie cet événement à l’année 2018 (février), date de la dernière visite du négationniste Robert Faurisson au Struthof. Celui-ci avait bénéficié d’un non-lieu dans une affaire qui l’opposait à la LICRA, et il était venu au Struthof chercher des « preuves » de ses dires négationnistes, la LICRA ayant fait appel. Or Faurisson a commencé sa quête négationniste suite à un article du Monde sur les « loups noirs », en 1976.
Puis le conférencier d’insister sur divers aspect du négationnisme en lien au KL Natzweiler, notamment le fait qu’il commence d’exister avant même la fin de la guerre.
Dans une seconde partie de son introduction, R. Blandre note un certain nombre de raisons qui rendent l’histoire du KL Natzweiler vulnérable aux falsifications.
Il y a d’abord des incohérences dans l’historiographie, qu’utilisent évidemment les négationnistes. L’histoire a une démarche scientifique, et progresse donc aussi sur l’erreur (ce que ne peuvent comprendre des idéalistes ou des gens intellectuellement peu scrupuleux). Par exemple, au moment où le camp était devenu un camp d’internement (de fin novembre 1944 à novembre 1945), les Américains réalisent un film sur le camp contenant beaucoup d’erreurs.
Aussi, le premier lieu de mémoire du camp est aménagé lors que le camp est encore camp d’internement ; des gens viennent se recueillir au milieu de détenus dont certains sont accusés de collaboration… (Il est à noter que le terme « Struthof » qu’on utilise couramment, à tort, pour qualifier le camp de concentration, administrativement, est correct en ce qui concerne précisément le camp d’internement qui lui a succédé, ce qui entraîne bien sûr bien des confusions. Le titre de mon livre sur Elmar Krusman est à cet égard problématique ; il m’a été imposé par mon éditeur.) Ce camp d’internement, géré au départ par des FFI à qui le site a été rendu deux jours après sa découverte par les troupes américaines, a contenu des Alsaciens accusés de collaboration et des Allemands qui étaient stationnés en Alsace à la fin de la guerre. Des exactions ont été commises pendant sa période d’existence (moins d’un an donc). On a dénombré 80 morts, avec notamment un contingent de 1100 personnes arrivées le 27 janvier, particulièrement maltraitées (par des FFI et gardiens), avec entre autres des viols. Ces exactions feront l’objet de punitions de la préfecture.
Aussi, une chambre à gaz, d’origine, est présente sur le site du camp. Elle a l’« originalité » d’avoir servi à des fins d’« expérience » « scientifique ». La hargne négationniste d’un Faurisson va se concentrer sur cette chambre à gaz, en raison aussi de son antisémitisme.
Enfin, le KL Natzweiler avait un maillage de camps annexes particulièrement développé, des deux côtés du Rhin, ce qui a rendu peu compréhensible à certains esprits des situations diverses de détention.
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NB - Schwindratzheim, septembre 2024 |
La suite du propos de Romain Blandre a été organisée en trois parties, suivant la chronologie des différents types de « négateurs ».
Il y a eu d’abord ce que le conférencier appelle les « proto-négateurs ». On ne peut pas assurer qu’ils soient de mauvaise foi. Ils n’ont pas d’idéologie particulière ; ils apparaissent à l’époque du camp d’internement. Ainsi la figure du prêtre Lucien Jenn, qui commente des articles de presse alors qu’il est en détention au camp d’internement du Struthof – on a en effet son journal… Il mélange tout, se croit dans un KL (un camp de concentration, donc, comme l’a été Natzweiler…)
Cette source a été reprise, parfois très récemment, sans recul, par divers personnages proches de milieux autonomistes.
En deuxième lieu, R. Blandre évoque précisément les « ultra-autonomistes ». On revient alors à cette date énoncée au début de l’exposé, le 13/5/1976 : l’incendie criminel de la baraque-musée du Struthof. Ses auteurs, les « loups noirs », sévissent aussi dans les années qui suivent à Turckheim, à Thann. Chez ces gens, on arrive aux confins d’idéaux personnels peut-être sincères, mais aussi d'arguments de mauvaise foi, d’une certaine limite intellectuelle probablement.
À leur procès à Mulhouse en 1982, se manifestent en leur faveur des soutiens pour le coup ouvertement négationnistes.
Et récemment encore (février 2019), le terme « Loups noirs », a été utilisé par les auteurs de la profanation du cimetière de Quatzenheim.
Enfin, on les voit se profiler, Romain Blandre arrive aux « négationnistes ».
Ici, trois personnalités sont notamment évoquées : Robert Faurisson, Paul Rassinier, Vincent Reynouard. Tous les trois, antisémites, sont soutenus par des gens appartenant à un éventail politique très large. (Et tous les trois sont professeurs (agrégé de lettres, instituteur, professeur de mathématiques), mais pas d’histoire…)
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Lorenzo lippi, Allégorie de la simulation; Beaux-Arts d'Angers, Wikipedia |
Conférence très intéressante donc.
Il en ressort ce lien entre une tendance autonomiste passablement erratique et le révisionnisme autour du Struthof. Pour ce qui est des autonomistes notamment, on a l’impression de gens insuffisamment instruits pour faire montre du recul nécessaire à la recherche historique. À quoi se mêlent malhonnêteté et mensonge (Faurisson, sa manière de dévoyer des documents…) À quoi se mêlent aussi (chez un Rassinier ?) une certaine détresse psychologique sans doute. Rassinier, ancien résistant, est passé par des interrogatoires et des tortures avant le système concentrationnaire, ce qui pourrait expliquer certaines choses ? Faut-il ajouter à cela un « simple » déficit d’intelligence chez tel ou tel personnage...
Par ailleurs, il apparaît que l’histoire du KL Natzweiler revêt des originalités qui expliquent la « vulnérabilité » au négationnisme dont a parlé Romain Blandre et les liens de celui-ci avec des courants autonomistes. Ces originalités, par ailleurs passionnantes, rendent d’autant plus nécessaire de poursuivre le travail historique et de s’en informer, ce dernier point notamment pour les professeurs qui font visiter le Struthof à leurs classes… Le négationnisme se nourrit de l’erreur, des imprécisions, pour diffuser sa haine.
Nils Blanchard