mardi 30 juillet 2024

Jura, fin juillet

Retour d’une marche « descendant » (nord-sud) le Jura, ou plus exactement le Doubs.
Montbéliardes, rapaces, paysages grandioses comme hors du temps encore une fois. Discussions avec mon compagnon de marche. Derrière tout ça, le sentiment du temps qui file, comme un affolement…


NB - Jura, juillet 2024


NB - Jura, juillet 2024


Revenu at home – mais ai-je vraiment un « chez moi » ? – je me repose un peu de mauvais sommeils en bullant sur internet. Blog Gabis annex, on y lit ceci, à propos de la lumière, plus éclatante encore qu’ailleurs, mais qui tend à décliner déjà, fin juillet, en Laponie :

« En annan dag var vi just nedanför mig, där de sista hundlokorna blommade för fullt. Nu måste jag gå till skogsbacken där de vilda stormhattarna växer, innan det är för sent. Och komma upp till Stekenjokk igen. Ty sådan är sommaren, och livet, snart nog är någonting för sent. »

« Un autre jour, nous étions juste en-dessous de chez moi, où les derniers cerfeuils sauvages étaient en pleine floraison. Maintenant, il faut que je marche jusqu’à la colline en forêt où poussent les aconits sauvages, avant qu’il ne soit trop tard. Car l’été est ainsi, et la vie, bien assez tôt quelque chose est trop tard. »

Allez y voir (en lien de ce blog, vers le haut, à droite…), ces vues du nord de la Suède n’ont-elles pas quelque parenté avec celles du Jura ?

NB - Jura, juillet 2024


NB - Jura, juillet 2024


Quant aux fleurs, on trouve aussi des reines des prés dans le Jura.

NB - Jura, juillet 2024



D'autres encore :

NB - Jura, juillet 2024


Bon, mais le temps qui passe, un affolement ? Allons, un essoufflement anormal dans une montée ? Ces pierres qui glissent vers l’aval, petit à petit, irrémédiablement, le cycle géologique qui nous dépasse complètement… Allons…
Un pas après l’autre ; on a déjà oublié. On discute d’autre chose.

Attente de la bière de fin d’étape. D’un joli verre d’Arbois.


Nils Blanchard


Ajout d’étiquette du dernier article : V. Poutine.

mercredi 24 juillet 2024

Sainte Brigitte, l’Apocalypse et Dürer. Et Benoît Duteurtre, et Gammalsvenskby

¤ Une amie passionnée d’André Dhôtel (c’est quasiment pour moi un pléonasme) m’a récemment envoyé une carte représentant une gravure sur bois de Dürer de Sainte Brigitte.
Quelques mois plus tard, je retrouve Dürer, qui a inspiré un panneau de vitraux de Chavanges, cette fois sur l’Apocalypse.

Dürer, Sancta Birgitta, incunable imprimé en 1500 à Nuremberg ; bibliothèque municipale de Charleville-Mézières


Bon, mais alors le premier « lien », c’est la marche. La patronne de la Suède a fait le pèlerinage de Compostelle. J’en ai fait une il y a peu, printemps, en bien bonne compagnie as usual, entre Aube et Haute-Marne, d’églises en églises (à pans de bois et / ou contenant des vitraux du XVIème siècle…) On y reviendra…

À Chavanges, dans l’imposante église de cette petite ville dont la rue principale peut étrangement faire penser à celle d’un bourg du Far West, il y a donc un panneau de vitrail sur l’Apocalypse.


NB - Chavanges


NB - Chavanges


L’œuvre a été réalisée vers 1549, d’après la série de gravures de Dürer publée en 1498. Elle a subi à la fin du XIXe siècle une importante restauration.

On y reviendra.


¤ Mais entre Aube et Haute-Marne, on n’est encore pas très loin des Vosges de Benoît Duteurtre, disparu « brutalement », lit-on dans les journaux, le 16 juillet, lors même que j’avais cité son nom dans le précédent billet de ce blog, qui reprenait le fil de thèmes déjà un peu anciens à défaut d’être délaissés. (Et qui avaient dû être clôturés par mon trop fréquent « On y reviendra... ») J’ai « publié » ce billet le 18 juillet, lors que j’étais de passage à Angers, en ignorant que Benoît Duteurtre était décédé deux jours plus tôt – nouvelle que j’ai apprise bien incidemment du reste, le 18 juillet aussi d’ailleurs. (Cet article, qui plus est, tournait autour de la mort ; une sorte de ronde nudité-mort-enfance.)

NB - bac traversant le Rhin


Hasard sans grande importance sans doute ; j’avais surtout évoqué Benoît Duteurtre en juin et juillet 2023 (il suffit de cliquer sur son nom dans l’index, à droite…), à propos de Ma vie extraordinaire, des Vosges… ou encore d’un livre que je n’ai pas encore lu, son Dictionnaire amoureux de la Belle Époque et des Années folles, qui, prévoyais-je, allait me ramener à Hillevi Norburg (Stasimon, en lien de ce blog, et l’index, à droite…) qui elle-même nous conduit à la littérature décadente, plus étrangement à Champigné (à droite…), au peintre Henri Lebasque… Sur quoi, sur tout cela, on reviendra, on reviendra…

Contrairement à ce que je pensais (j’ai vérifié, cliqué à droite…), je n’ai pas encore parlé du roman En marche sur lequel j’ai pourtant un billet en préparation, depuis pas mal de temps déjà, dans une série, commencée, autour du prénom Thomas, en tout cas de quelques uns de ses porteurs… (Si, vous verrez…) Mais j’ai commencé sur Thomas Mann (27 septembre 2022)… Et je n’ai donc pas encore évoqué le Thomas d’En marche.

Mais je me disais alors que j’avais pas mal de choses à lire de lui, que j’en lirais encore d’autant plus qu’il en avait pas mal encore à écrire…
Une crise cardiaque. Cette façon de mourir est-elle un hasard, chez qui écrivait, dans Ma vie extraordinaire (Galimard, Folio, pages 248-249) :

« Ce moment-là, je voudrais qu’il dure éternellement et que nous traversions ensemble l’espace et le temps. La mort cependant finira par nous séparer et cette perspective m’est insupportable. Car, en découvrant l’amour, j’ai découvert aussi la hantise de nous perdre (…) Cette appréhension devient plus aiguë si je songe aux dix-huit années qui nous séparent (…)
Quelquefois, l’âge venant, je suis envahi de cauchemars atroces, les mêmes que je faisais enfant. La mort est là, impitoyable (…)
Cette hantise provoque en outre, chez Jean-Sébastien comme chez moi, une absurde réaction consistant à courir plus vite vers la catastrophe en faisant primer nos plaisirs sur nos santés. »




¤ Enfin, puisqu’il est question d’églises, je me faisais la réflexion que la Russie de Vladimir Poutine semblait goûter particulièrement la destruction de ces édifices.
En tout cas, si je m’en réfère au site Svenskbyborna, consacré à Gammalsvenskby, en lien de ce blog.)
Le 17 juin 2024, on y mentionne que l’église allemande luthérienne du village a été détruite par un drone kamikaze russe. Le premier juillet (2024), on annonce que c’est l’église suédoise (qui était partagée avec le culte orthodoxe) qui a été brûlée.

À l'assemblée nationale française, les (ex?)-poutinolâtres des deux extrêmes donnent le spectacle que l’on sait.


Nils Blanchard

jeudi 18 juillet 2024

(À) poil ; encore plus loin qu’ailleurs

Au début de l’été, dans le blog Gabis annex (Gabrielle Björnstrand) en lien de celui-ci, l’auteure intitule son article : « Plötsligt tänkte jag på döden ». Elle y évoque Ingmar Bergman, qu’elle a connu si j’ai bien compris, puis différentes choses, sur la possibilité d’un ciel (non d’une île…)

Hugo Simberg (capture d'écran)

 Puis elle en arrive à l’angoisse de la mort dont elles se dit préservée. Elle compare alors la mort à un chien bâtard (il y a peut-être une expression là-dessus en suédois que je ne connais pas) qu’on peut laisser dans un coin avant de se rendre compte qu’on ne l’a peut-être pas assez nourri…
Ou on peut le sortir :

« Och medan den löper kan man tänka på allt möjligt som döden kanske lär oss. Till exempel att vi är rätt små, oavsett vad vi gör och inte gör. Till exempel att vi är rätt stora. Vi är faktiskt allt vi kan se och fatta med våra öppna ögon och sinnen och tankar. »

« Et pendant qu’il court, on peut penser à tout ce que la mort peut nous enseigner. Par exemple notre petitesse, quoi qu’on fasse ou qu’on ne fasse pas. Par exemple notre grandeur. Nous sommes au fond tout ce qu’on peut voir et comprendre avec nos yeux ouverts, nos sens et pensées. »

De là, on en arrive aux diverses expériences religieuses, puis à Eros. Eros et Thanatos, Freud…

« Dödsdriften i hans tappning är förstörande, destruktiv, upplösande. Eros förbinder och bygger upp och älskar och har sig. Men i Eros finns också ett försvinnande. Emellanåt blir man ett, i en enda stor känsla. Man går upp i, ger sig hän, sjunker i ett hav. Och fransmännen, som alltid är lite sisådär finsmakare när det gäller erotik, kallar tillståndet efter orgasmen för Le petit mort, den lilla döden. »

« La pulsion de mort, dans son sens, abîme, détruit, dissout. Eros relie et reconstruit et aime et s’assume. Pourtant il y a aussi une disparition en lui. Dans l’intervalle on ne fait plus qu'un, dans un seul grand sentiment. On monte et on s’abandonne dans une mer, on y plonge. Et les Français, qui sont toujours peut-on dire connaisseurs en matière d'érotisme, appellent l'état qui suit l'orgasme "Le petit mort". »

L'erreur est intéressante peut-être. La petite mort – la mort, comme la vie, est féminin (et pas besoin d’« inclusion » là-dedans!) – est l’orgasme lui-même. La mort qui le suivrait pourrait être issue d’une épectase…

Hugo Simberg (capture d'écran)

À v
rai dire, ce billet fait suite à deux autres : celui-ci, celui-là, d'il y a un an, mais je l’ai laissé trop longtemps de côté et suis parti dans autre chose… Il devait être question au départ de Vosges, d’Ardennes, autour d’André Dhôtel, Benoît Duteurtre et même Jules Roy… On y reviendra plus tard, vous verrez.
Mais je retrouve Jane Birkin, dans la chanson (écrite par elle) Enfants d’hiver (musique de Hawksley Workman) :

« Les corps gris, enfants / D’hiver, rares / Les poils éparpillés / Sur les jambes bleutées / Éraflées par les / Épines des jardins défendus / Croyant toute perfidie interdite / Épaves de promesses enfantines / Les lèvres mauves, les plages noires / J’ai passé mes nuits à nous regretter / Il y a un pays / Invérifiable / Inaccessible / Comme les morts / J’ai passé ma vie à le rechercher (…) »

Eh allez ! Ça devait arriver quand même ; on retourne à Dhôtel ; Le pays où l’on n’arrive jamais.
D'ailleurs, le méchant dans ce roman – il y a un « méchant » (en fait, au fond, c’est sans doute plutôt un indifférent ; et n’est-ce pas la même chose?) – s’appelle Parpoil.


Nils Blanchard


Étiquettes rajoutées du précédent billet : Philippe Noble, Alsace.

jeudi 11 juillet 2024

Ricochets et hasards – Conférence à Bisingen ; 2

Étranges sentiments de déjà-vu, çà et là, indépendamment de ce que j’avais vraiment déjà vu. Le fonctionnement de l’association, me rappelant vaguement – version allemande – des associations que je fréquente, certains personnages (parmi les présents), certaines impressions en me promenant dans la ville.

Westerbork, Wikipedia


Bon, mais Westerbork, camp de regroupement et de transit au nord-est des Pays-Bas, dans la province d’aride réputation de Drenthe, a vu passer plus de 100 000 personnes, déportées et assassinées à Auschwitz et Sobibor principalement ; certaines ont aussi été déportés vers Bergen-Belsen et Theresienstadt

Etty Hillesum, lors qu’elle est rentrée à Amsterdam après un séjour au camp, en décembre 1942 (Lettres de Westerbork, traduction de Philippe Noble, Points-Seuil, 1995, page 254) : le décrit ainsi :

« (...) un village de baraques en bois, serti entre ciel et lande avec en son milieu un champ de lupins d’un jaune éblouissant et des barbelés tout autour. »

Parmi les gens qui y sont passés, la famille de la conférencière Monika Jalili, mais aussi, outre Etty Hillesum : Anne Frank.
Comme ailleurs dans le Monde, dans les années trente, les frontières des Pays-Bas s’étaient progressivement refermées en lien aux migrations entraînées par les totalitarismes. On commence à regrouper les réfugiés dans plusieurs camps d’internement – 20 000 réfugiés juifs étrangers aux Pays-Bas en 1939. Cette même année, on décide leur regroupement dans le camp de Westerbork (dont la construction est censée être remboursée par des associations juives néerlandaises).

À partir de là, ce camp a connu plusieurs statuts, plusieurs types d’administrations.
- D'octobre 1939 à mai 1940, le camp dépend du ministère de l’Intérieur néerlandais.
- Il reste ensuite sous cette autorité, malgré l’occupation allemande, jusqu’en juillet 1940.
- De juillet 1940 à juillet 1942, toujours officiellement sous autorité néerlandaise, Westerbork passe sous l’autorité du ministère de la Justice (avec surveillance de la police militaire néerlandaise).
C'est à cette époque, fin 1941, que le camp devient un camp de transit pour les camps d’extermination. Il augmente en taille (plus exactement, en nombre de baraquements), une voie ferrée le dessert.
- À partir de juillet 1942, le camp passe sous l’autorité de la SS.

Etty Hillesum encore, même lettre, fin 1942 (page 267) :

« Sur une population de dix mille personnes, deux mille cinq cents environ sont logées dans les deux cent quinze petits pavillons qui constituaient autrefois l’essentiel du camp et qui, à l’air “prédéportationnaire”, abritaient une famille chacun. »

Son histoire se poursuivra après la Libération, on y reviendra… C’est une autre histoire.

Camp de transit, donc, sa population va relativement se stabiliser, car si on continue d’y faire entrer des déportés, il en sort régulièrement pour les convois vers les camps d’extermination ; il s’agit désormais, outre ceux qui restent parmi les juifs allemands du départ, de la population juive néerlandaise. 

Etty Hillesum - capture d'écran


Retour à Bisingen, 2024.
À l'issue de la conférence, discussion, en allemand, sur les élections européennes passées, les scores de l’extrême droite… Question récurrente : que faire pour transmettre aux jeunes gens l’héritage de la mémoire de la Shoah ? On en revient au thème de la génération d’après…
Là, questions étranges : doit-on aller sur « tik-tok » pour discuter avec les jeunes gens ?
Grand Dieu... 

Et à l'Alsace... 
Je reviens à ce que j’évoquais de cette brochette de villages autour d’un collège de ma connaissance. Là, le candidat d’extrême droite a été largement élu au second tour ; dans deux communes, il a allègrement dépassé les 60 %.
J'ai déjà évoqué un aspect assez « privilégié » (économiquement en tout cas) de l’endroit…
Je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement avec un discours historique local (oui, ces trois termes sont bien dissonants, particulièrement à cet endroit), notamment sur la Seconde Guerre mondiale, n’ayant de cesse de présenter les Alsaciens comme systématiquement victimes, plus exactement : plus victimes que les autres…, d’abandon par la France, d’injustice…
Bon, mais se mettre sous la coupe d’un parti ayant prôné bon an mal an une certaine allégeance à Poutine… Pensent-ils vraiment se préserver ainsi de problèmes à venir ? Pensent-ils ?


Nils Blanchard


J'ajoute les « étiquettes » suivantes de l’article précédent : Le Pen, E. Zemmour, G. Meloni, M. Salvini, France télévision, Olivier Faure, Jean Moulin.

samedi 6 juillet 2024

Postures, post-sur – vérité

M’avait marqué cette remarque de Salman Rushdie à propos de Donald Trump : que les Américains, ou beaucoup d’entre eux, ne parvenaient plus à dissocier le vrai du faux. Peut-être même n’essayaient-ils plus, peut-on envisager, bercés par les (p)sir(x)èn(l)es – sirènes / pixels – des « réseaux » « sociaux ».

Édition suédoise 

Or j’ai lu récemment (voir article précédent) Kallocaïne de Karin Boye. Un ingénieur d’un État totalitaire trouve un sérum de vérité ; on pense (lui en premier) un temps que cela parachèvera le contrôle de L’État mondial sur sa population, mais étrangement, le doute accourt avec la vérité débridée…

Puis sur un site en lien indirect avec celui-ci (via Alluvions), Diacritik, je tombe sur cet article d’Aurélien Barrau, republié le 25 juin 2024, mais datant initialement de janvier 2017. On y lit (et voilà qui me ramène à des discussions avec Martin Fahlén, autre scientifique…) :

« Les faits existent. Je suis physicien, je le sais avec certitude. Mais les visions et interprétations sont multiples et parfois simultanément justes quoique différentes. Les fondamentalistes religieux et les hyper-rationalistes scientistes appellent, avec la même véhémence, à sortir du relativisme et à se consacrer à « la » Vérité. Ils sont, au moins pour la plupart, sincères dans cet appel. Mais les vérités auxquelles ils se réfèrent ne sont pas du tout les mêmes, c’est là aussi un fait ! Nous n’avons donc pas d’autre choix que de travailler ce concept de vérité, de tenter de le mieux comprendre (…) »

Bref, à la « post-vérité » des trumpistes et autres pourfendeurs de complots, il ne faudrait pas préférer une « sur-vérité » simpliste ou fatalement erronée.

« Mais alors, il faut être rigoureux et honnête, c’est-à-dire expliquer très en détail la manière dont les « faits » présentés sont effectivement considérés. On le sait : changer la plage temporelle peut radicalement modifier une statistique, infléchir la terminologie de la question peut inverser les résultats d’un sondage, changer l’angle de vue de la caméra peut révéler une circonstance qui transforme l’agression en légitime défense. »

Nicolas Poussin, Le Temps soustrait la vérité aux atteintes de l’Envie et de la Discorde; capture d'écran, Wikipedia 

Étrangement encore – l’article bien intéressant on l’aura compris évoque notamment Hannah Arendt, apparue aussi ici, en ces temps de vagues d’extrême droite en Europe –, l’auteur conclue en alternant une idée pertinente et une autre… trop hâtive :

« La meilleure solution – la véritable résistance intellectuelle – est la lueur tamisée d’une pensée inquiète et sincère qui sait qu’il y a du « non-contractuel » dans le réel mais que notre manière de l’appréhender demeure pourtant historiquement et culturellement située. Ne craignons pas la lucidité, n’opposons pas un « bon » fascisme à un mauvais fascisme : tous les fascismes sont dégueulasses. »

Que « tous les fascismes [soient] dégueulasses » (on entend ici semble-t-il « fascisme » comme « extrême droite »), vraisemblablement. Mais cela ne signifie pas qu’ils soient semblables. Et connaître leur fonctionnement et leur histoire (leurs histoires, devrait-on dire, qui varie en fonction des pays) n’est pas inintéressant. Les Italiens Meloni et Salvini – leurs « correspondants » français Zemmour et Le Pen – ne sont pas uniformes. Quant aux extrême droites nordiques…
On y reviendra sans doute.

Goya, La Vérité, le Temps et l'Histoire, capture d'écran

Il est aussi des vérités difficiles à transmettre. Il se trouve que j’ai lu les Lettres à Westerbork, récemment encore, suite à cette conférence à Bisingen sur laquelle précisément je reviendrai à partir du témoignage d’Etty Hillesum.
Elle note (page 296 de mon édition Points Seuil, dans la traduction de Philippe Noble), dans une lettre (de Westerbork) du 8 juillet 1943 à Han Wegerif et autres :

« Ici, l’on pourrait écrire des contes. Cela vous paraît sans doute étrange, mais si l’on voulait donner une idée de la vie de ce camp, le mieux serait de le faire sous la forme de conte. La détresse, ici, a si largement dépassé les bornes de la vie courante qu’elle en devient irréelle. Parfois en marchant dans le camp, je ris toute seule, en silence, de situations totalement grotesques, il faudrait vraiment être un très grand poète pour les décrire, j’y arriverai peut-être approximativement dans une dizaine d’années. »

Etty Hillesum s’est sacrifiée pour venir en aide à ses semblables.
Ça me rappelle étrangement, pour en revenir à la France actuelle, M. Bardella lors du débat sur France télévision avant le premier tour, répondant en « ironisant » à Olivier Faure : « Ça y est, Jean Moulin est de retour ! » ; il semble que pour ce monsieur on puisse brandir ce nom sacré pour caricaturer son adversaire.
Ça en dit long sur le niveau, la qualité des échanges qu’il doit avoir sur les « réseaux sociaux » sur lesquels il est paraît-il très présent.

En attendant, d’actualité, cette chanson de Pierre Perret.


Nils Blanchard

jeudi 4 juillet 2024

K(allocaïne), vent de France, publicité – points de chute ?

Vers le début du roman Kallocaïne, de Karin Boye (traduit par Leo Dhayer), le narrateur surprend une faille dans le fonctionnement de l’« État mondial ». Plus exactement, une femme semble détachée (mais subtilement) des danses et festivités de groupe.

Une édition allemande

« Elle (…) semblait d’une certaine manière dissociée de la liesse générale. J’ignore comment je m’en suis aperçu, et j’aurais été incapable de le prouver, puisqu’elle ne cessait de participer, de se mouvoir en rythme dans les défilés, d’acquiescer aux discours des intervenants, de crier les slogans repris en chœur. J’avais pourtant l’impression qu’elle agissait de manière mécanique, qu’elle ne se laissait pas transporter par la collective vague libératrice, qu’elle s’en tenait même subtilement à l’écart, qu’elle ne s’investissait pas vraiment dans ses gestes et ses paroles. »

On comprendra que cette femme, sans s’exprimer en rien, n’approuve pas suffisamment une certaine logique d’État. Et cela devrait attirer sur elle l’œil perspicace de contrôleurs, voire de dénonciateurs.

Cette dystopie a été publiée en Suède à l’automne 1940. Son auteure se suicide au printemps 1941. La Suède, à l’automne 1940 (on est à l’époque encore du pacte germano-soviétique) parvient à se maintenir hors de la guerre non sans compromissions à la fois envers l’URSS qui a attaqué la Finlande qu’envers l’Allemagne nazie qui s’en est prise aux autres pays scandinaves. Dans le roman, l’« État mondial » peut faire penser à un hydre de pays nazi (on y a guère de compassion pour les gens jugés faibles) et soviétique (les modes de vie sont uniformisés, entièrement voués à la réussite des plans d’État). Toute déviance est traquée… Les gens s’appellent entre eux « camarade-soldat ».
Mais dire qu’au temps de Karin Boye, il n’était pas encore question d’intelligence artificielle, ni de "réseaux sociaux" !

Une édition française


« Je change de sujet, peut-être : on entend parler d’un « vent de France » sur le blog de Thomas Nydahl, le 1er juillet dernier, que l’auteur ramène en fait à une bourrasque plus européenne.
Le même jour, le blogueur reprend un texte déjà paru (quand ? Ce n’est pas précisé), à propos d’une anthologie de textes de 1941 : I angeläget ärende (En cas d’urgence).
Il y cite notamment Eyvind Johnson :

« De flesta av riksdagsledamöterna tycker kanske om tryckfrihet, har i alla fall inte något särskilt emot den (…) Riksdagen är vår demokratis viktigaste institution, på den vilar eller borde vår trygghet vila. Saken är emellertid den att riksdagen vid kritiska tillfällen hade för många fega, undfallande, strykrädda eller enkelt funtade och hotfullt informerade ledamöter, och det var otur. (…) Den genanta fläcken (…) kommer dock att skönjas och (…) att lukta lite granna. »

« La plupart des parlementaires apprécient peut-être la liberté de la presse, ou du moins n’ont rien de particulier contre elle (…) Le Riksdag est l’institution la plus importante de notre démocratie, c’est sur lui que repose ou devrait reposer notre sécurité. Et cependant, le fait est bien qu’à des moments critiques, le Parlement a compté trop de lâches, d’évasifs, de pusillanimes, de simples d’esprit parmi ses membres, ou simplement d’habiles et informés malintentionnés, et c’était dommage. (…) Cette tache embarrassante sera toujours et (…) sentira un peu le renfermé. »


NB - Le Rhin, été 2024


À nouveau : je rebondis aussi sur le blog de Julia Eriksson (le 27 juin, en lien…) qui balance quelques instants à se laisser séduire par une publicité pour un soin des cils… On est loin a priori de propagande et d’élections. Mais, finalement :

« Med ett tvekande finger stänger jag fliken till ögonfransbehandlingen, öppnar min bankapp istället och för över 700 kronor till sparkontot som är märkt ”sommarhus” och det är skrattretande långt kvar till något som ens har fyra väggar och ett tak, men jag kan ju alltid drömma. »

« D'un doigt hésitant, je ferme l’onglet ouvrant aux soin des cils, ouvre à la place l’application de ma banque et transfère 700 couronnes sur le compte d’épargne intitulé "maison d’été" et il y a encore un chemin comiquement long à parcourir avant d’arriver à quelque chose qui ait quatre murs et un toit, mais je peux bien rêver. »

On en revient aux maisons, destinations secondaires ; points de chute d’une certaine réalité ?


Nils Blanchard

Ricochets et hasards – Conférence à Bisingen ; 3

Le camp de Westerbork (dans la Drenthe ; voir précédemment ici , là ) est difficile à définir : pas vraiment camp de concentration au sens o...