jeudi 4 juillet 2024

K(allocaïne), vent de France, publicité – points de chute ?

Vers le début du roman Kallocaïne, de Karin Boye (traduit par Leo Dhayer), le narrateur surprend une faille dans le fonctionnement de l’« État mondial ». Plus exactement, une femme semble détachée (mais subtilement) des danses et festivités de groupe.

Une édition allemande

« Elle (…) semblait d’une certaine manière dissociée de la liesse générale. J’ignore comment je m’en suis aperçu, et j’aurais été incapable de le prouver, puisqu’elle ne cessait de participer, de se mouvoir en rythme dans les défilés, d’acquiescer aux discours des intervenants, de crier les slogans repris en chœur. J’avais pourtant l’impression qu’elle agissait de manière mécanique, qu’elle ne se laissait pas transporter par la collective vague libératrice, qu’elle s’en tenait même subtilement à l’écart, qu’elle ne s’investissait pas vraiment dans ses gestes et ses paroles. »

On comprendra que cette femme, sans s’exprimer en rien, n’approuve pas suffisamment une certaine logique d’État. Et cela devrait attirer sur elle l’œil perspicace de contrôleurs, voire de dénonciateurs.

Cette dystopie a été publiée en Suède à l’automne 1940. Son auteure se suicide au printemps 1941. La Suède, à l’automne 1940 (on est à l’époque encore du pacte germano-soviétique) parvient à se maintenir hors de la guerre non sans compromissions à la fois envers l’URSS qui a attaqué la Finlande qu’envers l’Allemagne nazie qui s’en est prise aux autres pays scandinaves. Dans le roman, l’« État mondial » peut faire penser à un hydre de pays nazi (on y a guère de compassion pour les gens jugés faibles) et soviétique (les modes de vie sont uniformisés, entièrement voués à la réussite des plans d’État). Toute déviance est traquée… Les gens s’appellent entre eux « camarade-soldat ».
Mais dire qu’au temps de Karin Boye, il n’était pas encore question d’intelligence artificielle, ni de "réseaux sociaux" !

Une édition française


« Je change de sujet, peut-être : on entend parler d’un « vent de France » sur le blog de Thomas Nydahl, le 1er juillet dernier, que l’auteur ramène en fait à une bourrasque plus européenne.
Le même jour, le blogueur reprend un texte déjà paru (quand ? Ce n’est pas précisé), à propos d’une anthologie de textes de 1941 : I angeläget ärende (En cas d’urgence).
Il y cite notamment Eyvind Johnson :

« De flesta av riksdagsledamöterna tycker kanske om tryckfrihet, har i alla fall inte något särskilt emot den (…) Riksdagen är vår demokratis viktigaste institution, på den vilar eller borde vår trygghet vila. Saken är emellertid den att riksdagen vid kritiska tillfällen hade för många fega, undfallande, strykrädda eller enkelt funtade och hotfullt informerade ledamöter, och det var otur. (…) Den genanta fläcken (…) kommer dock att skönjas och (…) att lukta lite granna. »

« La plupart des parlementaires apprécient peut-être la liberté de la presse, ou du moins n’ont rien de particulier contre elle (…) Le Riksdag est l’institution la plus importante de notre démocratie, c’est sur lui que repose ou devrait reposer notre sécurité. Et cependant, le fait est bien qu’à des moments critiques, le Parlement a compté trop de lâches, d’évasifs, de pusillanimes, de simples d’esprit parmi ses membres, ou simplement d’habiles et informés malintentionnés, et c’était dommage. (…) Cette tache embarrassante sera toujours et (…) sentira un peu le renfermé. »


NB - Le Rhin, été 2024


À nouveau : je rebondis aussi sur le blog de Julia Eriksson (le 27 juin, en lien…) qui balance quelques instants à se laisser séduire par une publicité pour un soin des cils… On est loin a priori de propagande et d’élections. Mais, finalement :

« Med ett tvekande finger stänger jag fliken till ögonfransbehandlingen, öppnar min bankapp istället och för över 700 kronor till sparkontot som är märkt ”sommarhus” och det är skrattretande långt kvar till något som ens har fyra väggar och ett tak, men jag kan ju alltid drömma. »

« D'un doigt hésitant, je ferme l’onglet ouvrant aux soin des cils, ouvre à la place l’application de ma banque et transfère 700 couronnes sur le compte d’épargne intitulé "maison d’été" et il y a encore un chemin comiquement long à parcourir avant d’arriver à quelque chose qui ait quatre murs et un toit, mais je peux bien rêver. »

On en revient aux maisons, destinations secondaires ; points de chute d’une certaine réalité ?


Nils Blanchard

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