samedi 6 juillet 2024

Postures, post-sur – vérité

M’avait marqué cette remarque de Salman Rushdie à propos de Donald Trump : que les Américains, ou beaucoup d’entre eux, ne parvenaient plus à dissocier le vrai du faux. Peut-être même n’essayaient-ils plus, peut-on envisager, bercés par les (p)sir(x)èn(l)es – sirènes / pixels – des « réseaux » « sociaux ».

Édition suédoise 

Or j’ai lu récemment (voir article précédent) Kallocaïne de Karin Boye. Un ingénieur d’un État totalitaire trouve un sérum de vérité ; on pense (lui en premier) un temps que cela parachèvera le contrôle de L’État mondial sur sa population, mais étrangement, le doute accourt avec la vérité débridée…

Puis sur un site en lien indirect avec celui-ci (via Alluvions), Diacritik, je tombe sur cet article d’Aurélien Barrau, republié le 25 juin 2024, mais datant initialement de janvier 2017. On y lit (et voilà qui me ramène à des discussions avec Martin Fahlén, autre scientifique…) :

« Les faits existent. Je suis physicien, je le sais avec certitude. Mais les visions et interprétations sont multiples et parfois simultanément justes quoique différentes. Les fondamentalistes religieux et les hyper-rationalistes scientistes appellent, avec la même véhémence, à sortir du relativisme et à se consacrer à « la » Vérité. Ils sont, au moins pour la plupart, sincères dans cet appel. Mais les vérités auxquelles ils se réfèrent ne sont pas du tout les mêmes, c’est là aussi un fait ! Nous n’avons donc pas d’autre choix que de travailler ce concept de vérité, de tenter de le mieux comprendre (…) »

Bref, à la « post-vérité » des trumpistes et autres pourfendeurs de complots, il ne faudrait pas préférer une « sur-vérité » simpliste ou fatalement erronée.

« Mais alors, il faut être rigoureux et honnête, c’est-à-dire expliquer très en détail la manière dont les « faits » présentés sont effectivement considérés. On le sait : changer la plage temporelle peut radicalement modifier une statistique, infléchir la terminologie de la question peut inverser les résultats d’un sondage, changer l’angle de vue de la caméra peut révéler une circonstance qui transforme l’agression en légitime défense. »

Nicolas Poussin, Le Temps soustrait la vérité aux atteintes de l’Envie et de la Discorde; capture d'écran, Wikipedia 

Étrangement encore – l’article bien intéressant on l’aura compris évoque notamment Hannah Arendt, apparue aussi ici, en ces temps de vagues d’extrême droite en Europe –, l’auteur conclue en alternant une idée pertinente et une autre… trop hâtive :

« La meilleure solution – la véritable résistance intellectuelle – est la lueur tamisée d’une pensée inquiète et sincère qui sait qu’il y a du « non-contractuel » dans le réel mais que notre manière de l’appréhender demeure pourtant historiquement et culturellement située. Ne craignons pas la lucidité, n’opposons pas un « bon » fascisme à un mauvais fascisme : tous les fascismes sont dégueulasses. »

Que « tous les fascismes [soient] dégueulasses » (on entend ici semble-t-il « fascisme » comme « extrême droite »), vraisemblablement. Mais cela ne signifie pas qu’ils soient semblables. Et connaître leur fonctionnement et leur histoire (leurs histoires, devrait-on dire, qui varie en fonction des pays) n’est pas inintéressant. Les Italiens Meloni et Salvini – leurs « correspondants » français Zemmour et Le Pen – ne sont pas uniformes. Quant aux extrême droites nordiques…
On y reviendra sans doute.

Goya, La Vérité, le Temps et l'Histoire, capture d'écran

Il est aussi des vérités difficiles à transmettre. Il se trouve que j’ai lu les Lettres à Westerbork, récemment encore, suite à cette conférence à Bisingen sur laquelle précisément je reviendrai à partir du témoignage d’Etty Hillesum.
Elle note (page 296 de mon édition Points Seuil, dans la traduction de Philippe Noble), dans une lettre (de Westerbork) du 8 juillet 1943 à Han Wegerif et autres :

« Ici, l’on pourrait écrire des contes. Cela vous paraît sans doute étrange, mais si l’on voulait donner une idée de la vie de ce camp, le mieux serait de le faire sous la forme de conte. La détresse, ici, a si largement dépassé les bornes de la vie courante qu’elle en devient irréelle. Parfois en marchant dans le camp, je ris toute seule, en silence, de situations totalement grotesques, il faudrait vraiment être un très grand poète pour les décrire, j’y arriverai peut-être approximativement dans une dizaine d’années. »

Etty Hillesum s’est sacrifiée pour venir en aide à ses semblables.
Ça me rappelle étrangement, pour en revenir à la France actuelle, M. Bardella lors du débat sur France télévision avant le premier tour, répondant en « ironisant » à Olivier Faure : « Ça y est, Jean Moulin est de retour ! » ; il semble que pour ce monsieur on puisse brandir ce nom sacré pour caricaturer son adversaire.
Ça en dit long sur le niveau, la qualité des échanges qu’il doit avoir sur les « réseaux sociaux » sur lesquels il est paraît-il très présent.

En attendant, d’actualité, cette chanson de Pierre Perret.


Nils Blanchard

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