samedi 22 juin 2024

24 minutes

Quand on a l’impression que le monde s’est écroulé, une solution parmi d’autres : aller regarder ce qui se passe sur les blogs suédois en lien de celui-ci (plutôt vers le bas de la liste…), en l’occurrence celui de Julia Eriksson.

NB - soir de juin

En rentrant d’une bonne semaine de travail – elle raconte ça le 14 juin dernier –, il peut lui arriver de faire un petit somme le vendredi en début de soirée. 24 minutes.
Elle tente d’écouter (quelle idée!) quelque artiste de musique moderne (si, j’ai été voir aussi, du coup, celui qu’elle évoque. Grand Dieu…) et a cette réaction somme toute aussi saine que celle des 24 minutes :

« (...) vilket får mig att känna ett instinktivt nej till all modern musik och istället vända mig till Shostakovich. »

« (...) ce qui entraîne chez moi un non instinctif à toute musique moderne pour me tourner en revanche vers Chostakovitch. »

Bon, j’avoue : j’ai essayé de forcer un peu le destin : cherché un morceau de Chostakovitch qui aurait duré 24 minutes (sur internet – où il n’y a pas que réseaux sociaux et faquineries). Pas trouvé ; tombé en revanche sur les Vingt-quatre préludes et fugues, opus 34.

NB - soir de juin


Puis il est question d’un dîner préparé un peu à tâtons, parce qu’on est seule ; peu après vingt heures (c’est tard, pour une Suédoise – c’est mon heure), puis de la visite à une boîte mail :

« (...) technoevent som jag självklart inte kommer att gå på, det var många år sedan jag gick på den typen av fester och ändå har jag inte kommit mig för att ta bort min epostadress från utskicken, förmodligen av samma anledning som anteckningsböckerna ligger kvar i hurtsen, för känslan av att det kanske finns något där och om jag en dag plötsligt skulle vilja så har jag det åtminstone någorlunda inom räckhåll. »

« (...) une soirée techno à laquelle je n’irai évidemment pas, ça fait déjà plusieurs années que je ne vais plus à ce genre de fêtes et cependant je ne me suis pas résolue à me désabonner de ces milieux, probablement de la même manière que des carnets traînent encore dans les tiroirs, parce que j’ai le sentiment que quelque chose pourrait s’y trouver, que je les aurai à portée de main si l’envie me prend un jour d’y jeter un coup d’œil. »

Eh, moi aussi j’ai des carnets, des cahiers qui s’empilent ; des pages… Pas loin… derrière un mur de désordre ; de temps.

Et de l’époque d’avant, que restera-t-il ? (Outre mes carnets…) Pour l’heure :

« Utanför fönstret har solen sakta börjat sjunka och ett varmt ljus spiller in i lägenheten, i spellistan har Shostakovich bytts mot Sibelius (…) »

« Par la fenêtre le soleil a commencé de baisser et une lumière chaude se répand dans l’appartement, sur la playlist Chostakovitch a été remplacé par Sibelius (…) »

NB - soir de juin



Nils Blanchard

mercredi 19 juin 2024

Noms de Zeus ! – Temps, idées, Grèce

Je connais un ensemble de communes reliées à un collège, où le vote extrême droite dépasse allègrement les 50 %, lors même que les équipements publics y sont largement supérieurs à ce qu’on trouve ailleurs en France, que le taux de personnes d’origine étrangère y est plutôt faible, la criminalité itou sans doute…


Et je sais aussi que tous les enfants du bassin – hormis une année pendant la pandémie – ont bénéficié d’une visite du site de l’ancien camp de concentration du Struthof (le KL Natzweiler), depuis au moins vingt à vingt-cinq ans, plus sans doute, visite faite, pour autant que je puisse en juger, par des professeurs sérieux.
Difficile de ne pas se poser des questions ; qu’est-ce qui a été manqué ?

(Du reste, rien n’est absolument simple bien sûr. Le Rassemblement national n’a-t-il pas déclaré le 21 mai dernier qu’il ne siégerait plus avec l’AfD allemande dans son groupe du parlement européen au motif d’« une flopée de déclarations visant à réhabiliter la SS, tenues par la tête de liste de l’AfD pour les européennes du 9 juin » (information de Libération) ?)

NB - Musée Michaelis, juin 2024


Est-ce simplement le fait que l’« on » donne trop la parole à n’importe qui, que de la sorte toutes les paroles s’équilibrent (via les réseaux « sociaux »), l’anonyme, l’aviné, le jaloux… y ont en apparence autant de poids que le professeur qui a consacré plusieurs années de sa vie à faire des études difficiles, que le scientifique qui utilise un langage que les « contradicteurs » de ces réseaux n’entendent pas (aux deux sens du mot).
La solution : l’interdiction, la censure ? Le professeur, le scientifique sont précisément allergiques à ces procédés qui fleurent (pas si bon) certaines dictatures de l’est du monde. Ils pourraient citer Voltaire à qui mieux mieux, qui écrit à propos du Contrat social de Rousseau – brûlé à Genève :

« Si ce livre était dangereux, il fallait le réfuter. Brûler un livre de raisonnement, c’est dire : nous n’avons pas assez d’esprit pour lui répondre. »

Et de poursuivre : « Ce sont les livres d’injures qu’il faut brûler et dont il faut punir sévèrement les auteurs, parce qu’une injure est un délit. » (Idées républicaines, 1762.)

Oui, mais encore faut-il qu’on puisse se battre à armes égales contre ces raisonnements : et pas mouliner dans le vide contre des pseudonymes, des menteurs…

NB - Musée Michaelis, juin 2024


NB - Musée Michaelis, juin 2024


Bon, mais pourquoi ces illustrations me demandera-t-on ?
Cela vient d’une visite (avec des élèves) récente du Musée Adolf Michaelis, au Palais universitaire de Strasbourg. Comme je l’écrivis au dernier billet, il s’agit d’une sorte de ricochet de mémoire : l’histoire grecque – c’est surtout d’elle dont il est question dans ce musée, avec notamment des plâtres de la frise des Panathénées – m’est devenue assez lointaine. Je retrouvais pourtant mes marques. Et indépendamment du plaisir à fréquenter cette culture : n’est-elle pas au cœur de notre politique, de notre politesse ?

NB - Musée Michaelis, juin 2024

Ça me ramène au Tableau de Savery, de Martin Fahlén (traduction de votre serviteur ; cf. page de ce blog, en haut, à droite – pardon, je ne le fais pas exprès…) L’auteur rencontre, par hasard, à deux reprises, une collègue de travail dans des musées en Grèce, d’abord à Athènes, puis à Egine. Cette seconde fois, la rencontre a lieu devant une statue d’éphèbe retrouvée par des pêcheurs au large de Marathon en 1925 : 

« (...) cette répétition fortuite du même événement m’a fait comprendre que la sensation du temps peut se raccourcir, ainsi des sculptures grecques, céramiques, qui semblent comme du pain frais d’hier. » (P. 101.)

NB - Musée Michaelis, juin 2024


Nils Blanchard

samedi 15 juin 2024

Ricochets et hasards – Conférence à Bisingen ; 1

« Partout où il y a des hommes, il y a des camps. » On se souvient peut-être de cette réplique que j’ai évoquée l'année dernière. Aux Pays-Bas, a existé ce camp, d’« internement » plus que de « concentration » au sens où on l’entend, de Westerbork.

Westerbork, Wikipedia


Il en a été question lors d’une conférence à Bisingen, au musée consacré à l’ancien camp du lieu, organisée le 11 juin dernier par l’association en charge du musée (dirigée par Dieter Grupp) : Surviving and Remembering - The Untold Story of the 222 Transport Holocaust Survivors.
Hasards, et ricochets de la mémoire, au cours de cette soirée.

Premier hasard, en ce qui me concerne, il m’est arrivé plusieurs fois lors de mon deuxième semestre de cours à l’université sur les pays nordiques de rattacher (partiellement en l’occurrence) les Pays-Bas aux autres États étudiés.

Aussi, arrivé un peu en avance sur les lieux, devant le musée du camp de Bisingen, lui-même (le musée), à côté de l’église catholique, je prends le temps de photographier ce saint Nicolas. C’est que j’en ai croisé quasiment dans toutes les églises entre Aube et Haute-Marne où j’ai fait une marche au printemps, déjà un peu évoquée ici

NB - Bisingen, 11 juin 2024


On y reviendra peut-être, mais ma (courte) déambulation dans Bisingen (ce n’est pas la première fois bien sûr que je viens dans cette commune où fut construit le camp dans lequel mourut Elmar Krusman, mais je n’avais pas auparavant pris le temps de me promener ainsi dans la ville) m’a donné l’impression d’une bourgade allemande très ordinaire, et pourquoi ne le serait-elle pas ? Du reste, l’endroit n’est pas désagréable. Mais je me suis demandé, forcément peut-être, si cette ville était aussi ordinaire du temps du camp annexe de concentration qui s’était construit à ses portes (août 1944 à avril 1945). Sans doute ; le lieu avait été choisi avant tout pour le schiste qui s’y trouvait. Et il semble – le sujet reste encore à étudier plus avant – qu’il y ait eu une (relative) solidarité d’une partie de la population à l’égard des déportés.

NB - Bisingen, 11 juin 2024


Ricochet de mémoire, cette fois, les paysages magnifiques en traversant la Forêt-Noire puis en descendant vers le Neckar (Elmar Krusman, lui, a dû arriver de l’autre côté…) Les énormes oiseaux de proie et le château Hohenzollern au loin (on reviendra sur tout cela…) La voie ferrée longée à un moment ; à chaque fois : Elmar Krusman n’est-il pas venu par là ? Non, encore une fois, il venait de l’Est. Un point plus anecdotique : les routes coupées ici ou là ; je m’étais une année retrouvé complètement paumé, sans boussole, sans carte locale ; mon GPS n’ayant de cesse que me ramener à la même voie impraticable. J’avais fini par m’orienter au bon vieux soleil.

NB - Forêt Noire, 11 juin 2024


Puis la conférence elle-même a commencé. J’ai écrit encore quelque part que je comprenais de moins en moins l’allemand ; elle était en partie en cette langue (introduction de Dieter Grupp, interventions et parfois traductions de Nina Wolf, s’exprimant du reste dans un allemand à peu près compréhensible pour moi).
Plaisir cependant à écouter l’exposé clair, détaillé d’anecdotes bien choisies et sérieux, dans un bon anglais de New York, de Monika Jalili. Songé vaguement aux films de Woody Allen, dont une horde d’inquisiteurs de prisunic nous a privés.
Elle a raconté notamment l’histoire de son père, passé vers les dix-douze ans par Westerbork. Elle avait perdu contact quelques années avec lui à la suite du divorce difficile de ses parents ; le retrouver a été aussi prendre connaissance plus avant avec l’histoire de la déportation. Et en cela, elle a retrouvé quelque chose d’elle-même, ou en tout cas la conscience d’une perte ; elle représente la génération d’après.


Nils Blanchard


P.-S. :  En lien de ce blog, celui de Gabrielle Björnstrand, Gabis Annex. Cette citation de Hannah Arendt : « The death of human empathy is one of the earliest and most telling signs of a culture about to fall into barbarism. »

            Cérémonies il y a quelques jours à Tulle et Oradour-sur-Glane. Cela fait 80 ans. 

lundi 10 juin 2024

Eau ; fleuve, hygiène sauvage

Il y avait il y a peu encore une exposition à Strasbourg, galerie Decorde, que j’ai vue en son dernier jour. Intitulée Bleu. Là, notamment, des tableaux du Rhin de Roger Dale, auteur de l’illustration d’Elmar Krusman.

Recto prospectus galerie Decorde, Roger Dale


Or on parla de bains d’anciens temps, en bord de rivière. Plus généralement, j’ai découvert récemment (furetant dans des ex-libris) un illustrateur, peintre, belge – beaucoup de choses à explorer de ces côtés ! –, Armand Rassenfosse.
Chez ce peintre, beaucoup de scènes de toilettes – certaines pouvant faire penser à Degas.
Qui plus est : on retrouve certaines dates évoquées dans des billets antérieurs. 1921…

Armand Rassenfosse -- Capture d'écran


1917. Bassine. On n’est pas loin du tub.

Armand Rassenfosse -- Capture d'écran

Le tub, on y arrive, et la baignoire.



E. Degas, capture d'écran


Mais si on quitte la ville, qu’on va vers le dehors (foris – à l’extérieur), vers la forêt… On fait une toilette d’air pur, quoi qu’on dise ; autant qu’on aime Paris, par exemple, on ne peut se défaire de cette sorte de suie que l’on y attrape dans le nez, sur la peau, sans parler du bruit.
Encore plus dehors encore, si l’on peut dire… on peut retrouver la singulière Nastassja Martin, en Russie. Croire aux fauves raconte l’attaque par un ours subie par l’auteure au Kamchatka.
Elle est d’abord soignée dans un hôpital russe, avant d’être ramenée à Paris.
Page 42 (édition Folio), encore en Russie, elle écrit dans ce qu’elle appelle son « cahier noir » :

« Tension de leurs rencontres inattendues, inavouables, improbables, en devenir, pourtant. Puisque seuls ils [les prédateurs solitaires] se perdent, puisque seuls ils s’enferment, puisque seuls ils oublient. Le croisement de leurs regards les sauve d’eux-mêmes en les projetant dans l’altérité de celui qui fait face. Le croisement de leurs regards les maintient en vie. »

Peut-être. Il est question d’animisme dans tout cela.
Mais ça nous ramène étrangement au verso (ou au recto, peu importe) du prospectus de la galerie Decorde ; peinture de Cécile Duchêne.

Verso prospectus galerie Decorde, Cécile Duchêne

De là, si vous cliquez dans l’orange et allez voir d’un peu plus près, via écran, l’œuvre de cette artiste, peut-être ses cerfs vous feront penser à Claudie Hunzinger, évoquée ici, ou ses personnages feuillus, à Julien Grainebis, le héros d’André Dhôtel.



Nils Blanchard

mercredi 5 juin 2024

De la tuberculose, I

On a parlé dans ces parages de La Montagne magique, où Hans Castorp, de Hambourg, rejoint un sanatorium à Davos (Suisse), et y séjourne – lors même qu’il y vint d’abord en visiteur – sept ans. (Au passage, chef-d’œuvre traduit en suédois par… Karin Boye.)


On a parlé aussi d’Edith Södergran, qui visita très tôt les sanatorium de Nummela (Finlande), de Davos… avant de mourir à 31 ans, en 1923. Dans un éclair, Kerstin Söderholm – et on en reparlera.
Bien d'autres encore.
En dehors du monde suédophone, Kafka bien sûr, mort un 3 juin… 1924.

Bernur, le 3 juin dernier, à propos des dernières lettres de Kafka :

« Ja, han åker på rekreationsresor, tills tuberkulosen i struphuvudet gör honom stationär och leder till att han mot slutet får förmaningar att endast viska och tvingar honom till att kommunicera med lappar, och dessa lappar avslutar breven. »

« Oui, il voyage encore pour le plaisir, jusqu'à ce que la tuberculose atteigne le larynx, l’immobilisant, et à la fin sommé de chuchoter seulement, puis réduit à ne plus communiquer qu’avec des notes, qui concluent les lettres. »

On l’a compris : il s’agit ici d’évoquer la plaie des temps passés (à peu près avant la Seconde Guerre mondiale, mais ce n’est pas si net, Jacques Prevel est mort lui, de ce mal, en juin 1951, à la fin de l’aventure 84 à laquelle il avait participé...)



On peut ici replacer les choses sur le plan historique... On pense que quand Koch en découvre le bacille en 1882, une personne sur sept en Europe mourait de la tuberculose. En France : environ 80 000 morts par an à la fin du XIXème siècle.
Puis en 1921 a lieu la première vaccination par le BCG ; 1921, voyez-vous ça !
1928 : Fleming découvre la pénicilline et à partir de 1939, des antibiotiques sont utiisés contre la tuberculose.
 
Mais bien sûr, on y reviendra, il y a plusieurs types de tuberculoses. Et le mal n'est pas éradiqué aujourd'hui, notamment dans ce qu'on appelle les "pays en développement".
 
Pour l'heure, je ne peux m'empêcher de faire un rapprochement entre, d'une part, l'"artificialisation" démente de notre environnement, de l'autre cette maladie qui progresse à l'intérieur d'un corps humain. 
Tenez, sur l'A 69 (son nom au moins est sympathique...)




Nils Blanchard

24 minutes

Quand on a l’impression que le monde s’est écroulé, une solution parmi d’autres : aller regarder ce qui se passe sur les blogs suédois en li...