mardi 27 septembre 2022

Thomas (Mann, et autres…)

 Philippe Jaccottet, Jean Follain, se sont étonnés qu’André Dhôtel n’ait pas intégré la notion de mal dans ses œuvres.

                   Roelandt Savery, Bouquet de fleurs, Palais des Beaux-Arts de Lille

Les insectes représentés ont une signification symbolique. La légèreté du papillon 

renvoie à l’âme et sa métamorphose à l’immortalité. La mouche, par son agitation 

stérile, a une connotation négative. Opposée au papillon, elle participe à la 

représentation de la lutte entre le bien et le mal.


Et voilà que dans le Monde des livres du 2 septembre dernier, je lis 

cet extrait du Magicien, de Colm Toibin, traduit par Anna 

Gibson, roman biographique sur Thomas Mann (page 463) : 

« [Thomas] comprit que si seulement il pouvait rassembler 

le courage nécessaire, il lui faudrait  accueillir le mal dans un livre,

ouvrir la porte à l’obscurité qui était là, hors de sa propre sphère de

compréhension. »

Le mal… Et qu’est-ce ?


Elmar Krusman, Maurice Vissà, ont dû le voir. Mais quelque soient 

nos efforts, on ne peut s’approcher suffisamment d’eux 

pour comprendre ce qu’ils ont vu.


Est-il si absent chez Dhôtel ?




J’ai relu récemment une nouvelle de Dhôtel pour peaufiner un article 

à paraître dans un prochain Cahier André Dhôtel...

Il s’agit d’« Irrésistibles appâts », publiée initialement dans  

Le Rimbaldien, à Charleville-Mézières en juin-juillet 1947.


Il y a une mare, à Jonval, un village quelque part dans le Dhôtelland 

– dans la Saumaie, vraisemblablement, d’après Roland Frankart –, 

où aucun poisson n’a jamais nagé. Et voilà qu’un dimanche, on y 

voit arriver « une auto modeste », dont il descend « un homme, dont 

le nez portait des lunettes bleues ». Bref. L’homme se met à 

pêcher dans la mare, fumant de çà et là, devant le village qui peu à 

peu se regroupe autour de lui. Il ne parle pas, ne répond pas quand 

on lui adresse la parole, même quand on l’informe qu’il n’a aucune 

chance de pêcher quoi que ce soit. Mais l’homme appâte soudain

ostensiblement avec une mixture à lui, et se met à tirer des poissons 

de la flache.

Puis il range son matériel et fait mine de repartir. C’est alors 

qu’on l’aborde à nouveau pour s’informer sur son appât 

miraculeux. L’homme répond, cette fois, « d’un ton très 

courtois », montre des tubes, les vend. Tous, bien sûr…

Puis il s’en va et ne reviendra jamais.

Quelques heures plus tard, « une livre » de poissons ventre à l’air 

à la surface de la mare révèle la supercherie ; ils avaient été mis là 

en attente de la pêche miraculeuse


Cet homme très ordinaire – au départ, un simple pêcheur –, semble

extraordinaire précisément dans cette posture ordinaire (un peu 

de cette « banalité du mal » évoquée par Hannah Arendt?)


Bon… On me dira, je pousse un peu fort, pour quelques 

poissons morts, quelques tubes de poudre de perlimpinpin vendus…  

Et finalement, la farce est amusante. Mais la posture du bonhomme 

a quelque chose d’inquiétant : ce silence, qu’il oppose d’abord 

aux remarques qu’on lui fait. Le refus, d’emblée, du verbe…


« Dans la vraie vie », comme disent les gens qui s’imaginent que  

les autres vivent dans une fausse, il y a aussi l’usage… orwellien 

de la langue. Thomas Nydahl (Son blog), le 23 mai dernier :


« Begreppsförvirring är ett av flera tecken på hur det politiska språket utarmar 

och förstör vårt tänkande.Varje upprepad lögn blir så småningom 

till en sanning - eller till en halvsanning som äter sig in i 

våra medvetanden. Svart blir vitt, ljust blir mörkt enligt de normer 

för ett nyspråk som både George Orwell och Victor Klemperer 

så förtjänstfullt utrett och analyserat. »


« La confusion des notions est un des multiples moyens du 

langage politique pour appauvrir, détruire notre pensée. 

 Chaque mensonge répété se mue peu à peu en vérité, ou tout au 

moins en demi-vérité qui pénètre dans notre conscience. Le 

noir devient blanc, le clair devient sombre selon ces normes

de langue nouvelle que George Orwell autant que Victor Klemperer 

ont si bien expliquées et analysées. »


              C’est aussi S. Fischer qui a publié Das Land, in dem man nie ankommt.


Pour en revenir à Thomas Mann, dans la Montagne magique, il y a, 

notamment au début du roman, ces langues comme en parallèle, et se

comprenant mal, celles de ceux « d’en haut » (les pensionnaires de 

la clinique où l’on (tente de) les soigner de la tuberculose), ceux 

d'en bas, autrement dit du monde ordinaire. Les uns et les autres – 

je ne parle pas de la tuberculose elle-même – ne sont pas maléfiques 

(le lieu de rencontre, la montagne, est cependant quelque 

peu ensorcelée ; c’est le titre : Der Zauberberg), mais leur

aventure (du moins celle du personnage principal Hans Castorp) va se

terminer dans les brumes de la Première Guerre mondiale.


Quant à d’autres Thomas… On y reviendra bien sûr.


Nils Blanchard


P.-S. : ouverture, le 23 septembre dernier, d’une nouvelle exposition 

au Musée de la marine de Stockholm (Sjöhistoriska) : « Flykten 

från Baltikum » / « La fuite du Baltikum ».

(Le "Baltikum" désignait ce fumeux projet d'une sorte d'État vassal 

de l'Empire allemand, déjà du temps du Deuxième Empire, repris 

vaguement pas les nazis, qui aurait regroupé les pays baltes 

notamment...)

Je tâcherai d'y aller assez vite...

 

P.-S. 2 : Alluvions, blog en lien; ma petite rivière et ses boues de

connaissances sont hasardement çà et là presque (il ne faut rien

exagérer) synchrones. Aussi son avant-dernier article s'ouvrait-il sur 

Jaccottet, comme celui-ci. Le dernier commençait par parler 

d'"Antoine Emaz, qui vivait à Angers". 

Moi, Angers, j'en reviens de temps en temps; cf. le billet "Le jeu

de Kim" (qui n'a pas eu l'air d'intéresser grand-monde...)

 


NB

 


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