On parla de Trump, homme des reculs. (Mais on espéra aussi que, des vibrations de l’éléphant dans un magasin de porcelaine – même de robuste qualité soviétique – on pût obtenir quelque issue heureuse. La fin de la guerre, quitte à remettre à plus tard certaines questions…) Sans surprise, récemment en Turquie (le 16 mai), c’est Poutine qui a reculé semble-t-il devant la paix.
Ça amène à ce titre d’un petit livre édité par Ariel Förlag l’année dernière, et traduit par Mikael Nydahl (qui n’est autre que le fils de Thomas, dont le blog est en lien indirect de celui-ci, via l’onglet « Nordic Voices in Translation » – un peu vers le haut, à droite ; il suffit de cliquer… C’est un petit livre d’une quarantaine de pages, constitué d’une conversation de Sergej Lebedev avec la journaliste Lana Estemirova (il y a aussi une postface de Joanna Kurosz) : Kriget som aldrig tar slut / (La guerre qui n’en finit jamais).
Dès la page 6, Lana Estemirova s’étonne que d’aucuns se soient autant étonnés de l’agression du 24 février 2022 :
« Hur kommer det sig att folk hela tiden upptäcker vilken våldspotential den ryska staten och dess institutioner besitter som om det var för första gången ? »
« Comment se fait-il que les gens découvrent, à chaque fois, le potentiel de violence contenu dans l’État et les institutions russes, comme si c’était la première fois ? »
À l'heure où, chez nous en France, d’aucuns dénoncent une « culture de l’excuse », Lana Estemirova pointe à l’inverse un manque de recul, en Russie, vis-à-vis des guerres de Tchétchénie (page 13) :
« Sedan de ryska trupperna gick in i Tjetjenien 1994 har det gått mer än en kvartssekel. Det är en lång tid, tillräckligt lång, kunde man tycka, för att den ryska kulturen skulle ha hunnit bearbeta händelserna. Och ändå har jag en känsla av att den ryska kulturen föredrar att överhuvudtaget inte se åt det hållet. Vi har inte ens en historia över de två krigen som är värd namnet. »
« Depuis que les troupes russes sont entrées en Tchétchénie en 1994, il s’est écoulé plus d’un quart de siècle. C’est long, suffisamment, aurait-on pu penser, pour que la culture russe puisse affronter ces événements. Mais pourtant j’ai le sentiment que cette culture russe préfère avant tout ne pas regarder de ce côté. Nous n’avons pas même une histoire des deux guerres dont il est question. »
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Eugen Kron, capture d’écran |
On n’est pas loin de Marie Mendras, qui a publié, l’année dernière aussi, aux éditions Calmann-Lévy La guerre permanente : ultime stratégie du Kremlin.
Ça fait quelques années que je m’intéresse à la question quant à moi, et j’ai retrouvé un article de cette même Marie Mendras, du Monde (15-16 octobre 2006), que j’avais archivé. Elle évoquait (interrogée par Sophie Gherardi) l’assassinat d’Anna Politkovskaïa, et remarquait :
« Tout est lié, en Russie. Il n’y a pas que la Tchétchénie, qui serait une petite planète à part. Anna a pu montrer à travers ses nombreuses enquêtes dans tout le pays que la guerre et sa brutalité avaient fini par imprégner l’ensemble de la société. »
Plus loin :
« Les Russes sont certes responsables de leur apathie, mais ils sont victimes d’une politique de l’information véritablement autoritaire. »
Plus loin encore, on n’est là qu’en 2006 :
« (Sophie Gherardi.) Mais peut-on encore exercer le métier de journaliste en Russie ?
– (Marie Mendras.) La réponse est complexe. (…) »
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R. Wynne Nevinson, Returning to the Trenches, 1916 – Capture d’écran |
En 2024, Lana Estemirova revient sur le rapport de la Russie à l’information, puis sur une certaine manière de vivre, de penser, en dictature (p. 24) :
« (...) och människor som lever under diktaturen uppfattar mycket på ett annat sätt. Man befinner sig i ett tillstånd av permanent överlevnad. Det är fruktansvärt att se denna allmena förnedring, denna totala förnedring. »
« (...) et les gens qui vivent en dictature appréhendent beaucoup de choses différemment. On se trouve en état incessant de lutte pour la survie. C’est effroyable de voir ce déni général, total. »
Près de dix ans après l’article de Marie Mendras, dans Le Monde toujours, un texte collectif (15-16 mars 2015) s’étonnait que « La droite française [soit] devenue l’agent d’influence de Poutine ». Le terme « poutinolâtrie » est utilisé… Cet article aurait presque pu être écrit le 23 février 2022, en changeant quelques noms qui sont un peu dépassés (et dont je n’encombrerai pas les étiquettes de ce blog).
Alors – 2006, 2015 –, comme aujourd’hui (bombardements incessants ; voyez, en lien de ce blog, le site « Föreningen Svenskbyborna », qui peut être lu aussi en anglais), le pouvoir russe faisait montre d’une brutalité absurde, au détriment de la protection même de ceux qu’elle prétendait protéger contre des attentats.
Kriget som aldrig tar slut, page 27 :
« Ofta ser jag att det tjentjenska kriget i Ryssland skildras som ett krig mot terroristerna. Öga för öga. Som om de tio- och hundratusentals människor som dödades i Tjetjenien var ett rättmätigt offer för de tusentals människor som dödats i terrordåd inuti Ryssland.
Våld föder våld. Krig föder vidunder. (…) »
« Je le vois souvent : on présente la guerre de Tchétchénie en Russie comme une guerre contre le terrorisme. Œil pour œil. Comme si les dizaines et centaines de milliers de tués en Tchétchénie pouvaient être un juste sacrifice pour les milliers de tués au cours d’attaques terroristes sur le sol russe.
De la violence naît la violence. Et celles de la guerre sont monstrueuses. »
On le voit aussi actuellement dans la fuite en avant d’un Benjamin Netanyahou en Palestine.
Nils Blanchard
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