dimanche 25 août 2024

De la tuberculose, II

Ou que l’on se tourne, pour peu qu’on s’intéresse un peu aux quinze – vingt décennies qui ont précédé la Seconde Guerre mondiale, et encore un peu après, on bute sur cette maladie, quel que soit le nom qu’on lui donne… Aussi dans les pays du Nord.

E. Munch, l’enfant malade (II), Wikipedia.
(Munch qui apparaît aussi dans Le tableau de Savery)

Étrangement, on retrouve ce thème dans un récent « clip » – et une récente chanson – de Mademoiselle K, déjà évoquées ici. Les paroles seules ne nous amèneraient pas forcément à penser à la tuberculose, même s’il est question de « chloroforme », d’« ennui »… de mort…

Les images du clip, en revanche, sont troublantes (un lit de fer ancien, tout ceci au bord de la mer, le maquillage marquant les cernes de la chanteuse…

Mademoiselle K, capture d'écran


Les temps de crise sanitaire, relativement récemment, se sont étrangement rapprochés de ceux où l’on luttait, contre la tuberculose. Ouvrir les fenêtres, ne pas cracher et autres règles d’hygiène…
Dans un certain sens – très différemment bien sûr –, les périodes de confinement, de restrictions diverses… ont ménagé de nouvelles façons d’aborder la réalité, qui ont traumatisé certaines personnes et, au contraire, paradoxalement libéré d’autres de chaînes anciennes. Ainsi a-t-on assisté à des évolutions professionnelles, personnelles, à des retrouvailles avec des aspects de la vie oubliés (lecture, paresse, jardinage, méditation, que sais-je…)
C'est d’ailleurs dans la chanson de Mademoiselle K, dont l’album est aussi un album post-covid… « Est-ce qu’il faut qu’j’change de vie ?... »

NB - Croquis machinaux pendant la pandémie


Et une autre chanson de l’album nous ramène – en se tirant un peu les cheveux, dont je ne dispose guère quant à moi – à La montagne magique, c’est Les Trains.
C'est en train que le bon Hans Castorp arrive, de son Hambourg maritime et bourgeois, à la montagne de Davos (p. 14, Livre de poche, traduction de Maurice Betz) :

« Il vit que l’ascension avait pris fin. Le point culminant du défilé était franchi. Au milieu de la vallée plane, le train à présent roulait plus agréablement.
Il était huit heures environ, le jour durait encore. Un lac parut dans le lointain du paysage ; son eau était grise, et les forêts de pins montaient, noires, au-dessus des rives et le long des pentes, se clairsemaient, se perdaient, ne laissant qu’une masse pierreuse de nudité embrumée. On s’arrêta près d’une petite gare, c’était Davos-Dorf (...) »

Et outre les trains, il y a aussi des ascensions, dans ce dernier album de Mademoiselle K (qui date déjà d’il y a plus de deux ans…)

« Trafiquante de crêtes / extractrice de sueur / cracheuse de poumons / marcheuse cicatricielle / CIEL »

(Le bleu des masques?)


Nils Blanchard

dimanche 18 août 2024

Eau – badhus, peintres d’intimité ; lieux que l’on traverse

Le thème des établissements de bains revient à travers le site de Kristin Lagerqvist, Krickelins, le 14 juin dernier, à propos d'une station dans le Halland, Varberg. Cela fait partie des lieux que je traverse, souvent trop vite. Comme Laholm, un peu plus au sud.

NB - Laholm


NB - Laholm


(Ce billet fait plus ou moins suite à ces deux précédents : des 22 mai et 10 juin derniers.)

Kristin Lagerqvist fait l’historique des maisons de bains de Varberg. Elle remonte aux années 1820, quand un bassin (eau froide) est construit au bord de mer, construit « en dur » au milieu du siècle. Puis :

« Varbergs första kallbadhus, byggt 1866, hade en morisk stil med kupoler på hörntornen och i mitten (…). Badhuset existerade i nästan 20 år och förstördes tyvärr i en storm 1884. »

« La première maison de bains (froids), construite en 1866, était de style maure avec des coupoles sur les tours d’angle et au centre (…). Elle a tenu presque vingt ans puis a malheureusement été détruite par un orage en 1884. »

Un nouveau bâtiment, construit en 1886, a a nouveau subi un orage en 1902 ; c’est donc le troisième bâtiment que l’on peut voir actuellement…

On est à la période dorée d’une certaine peinture intimiste, qui insiste précisément sur la toilette, accompagnant un mouvement d’affranchissement corporel des gens (encore souvent timide).

Raoul du Gardier, Bord de mer, capture d'écran


Henri Lebasque, Véranda sur la plage de Cannes, capture d'écran


Début juillet encore, une querelle a mis en relief le petit monde des « maisons de bains froids (ou d’hiver) » en Suède, une personne s’étant vu refuser l’entrée à cette de Saltholmen du fait qu’elle voulait y pénétrer en maillot de bain. Cris d’orfraies dans un premier temps (discrimination, etc.) jusqu’à ce qu’une membre de l’association des bains de Saltholmen rappelle que la règle était bien à la nudité… et que cette règle protégeait l’agrément de ceux qui souhaitaient se baigner en cet état.

En Suède, je connais mieux Marstrand que Varberg, où l’on peut se réfugier après avoir fui les agressions xénophobes de la « police » privée de Kungälv. Station aisée, qui jouit aussi d’un certain cosmopolitisme tranquille des touristes et navigateurs.
Oscar II y passait ses vacances.

NB - Marstrand, statue d'Oscar II


NB - Marstrand, été 2023


On reparlera de Marstrand pour bien d’autres aspects ; peut-être de ce peintre d’origine allemande, aussi, qui s’y était installé. On retrouve encore de ses peintures dans une petite galerie bien agréable sur le front de mer (Posers Ateljé, Hamngatan 7...)

Martin Poser, capture d'écran


Mais, retour à Varberg, avec ce site de la bibliothèque locale, sur la photo de « couverture » duquel on voit le badhus.
J'y ai trouvé un bel article d’Andrea Johansson sur le dernier livre de Wera von Essen, que je n’ai pas encore lu, mais que l’article me donne encore plus envie de lire. Quelqu’un devrait normalement me le rapporter bientôt de Suède. Je lis en tout cas des choses dans ce texte qui me touchent étrangement ; Andrea Johansson, en effet, commente :

« Att inte vilja arbeta, skaffa sig ett vanligt jobb för att tjäna pengar till hyra och mat, kan vara provocerande. »

« Refuser de travailler, via un emploi ordinaire et rémunérateur permettant de financer logement et nourriture, peut paraître provocateur. »

Eh ! Si j’avais quant à moi un peu plus de courage, un peu moins d’obligations (les deux ne vont-ils ensemble ?)…

Ou encore, elle explique que Wera von Essen s’est vu commander un essai, à la suite de quoi :

«  [Hon] tvekar att publicera den alls när två redaktörer ”slaktar” den, de har åsikter om varenda mening, texten ska omarbetas på varje nivå, göras till deras text, inte längre hennes. »

«  [Elle] hésite à le publier au final, vu que deux éditeurs le « charcutent » ; ils émettent des avis sur chaque idée, le texte devant du coup être retravaillé à tout niveau, et finalement devenir le leur, plus le sien. »

La mésaventure m’est arrivée deux fois récemment.

Si j’avais quant à moi un peu plus de…
Un peu moins de... 


Capture d'écran



Nils Blanchard

dimanche 11 août 2024

Divers d’été

La mer me manque cet été. Je ne sais si j’aurai le temps, le courage, d’aller la voir (et où?)
Avec elle m'échappe comme un parfum d’éternité, d’invulnérabilité, liées à une certaine enfance, même si elle est passablement illusoire sans doute. (Allons, c’est que j’ai vu des médecins, cet été…)

NB - août 2024


Je traversais il y a quelques jours le jardin de l’Université catholique, à Angers – là aussi, souvenirs d’enfance ; peu importe… – quand je tombai sur ce joli hérisson, guère farouche.
(C'était le soir. Personne. Si – a-t-on le droit d’écrire ce genre de chose en notre époque ? Je le prends… Une fille magnifique, croisée, a pris la même photo que moi…)

Et la veille, Thomas Nydahl d’écrire sur son blog (le 2 août) :

« Vi räknar inte med att de har en röst, än mindre en hjärna som kan formulera tankar. Då blir de djur som i poeten Lennart Sjögrens värld och ingen vänder sig bort, alla anstränger sig att höra vad musen, fisken eller grisen har att säga.
Det är så nu med krigets offer. Vi ser inte längre några tänkande individer. Vi ser mekaniskt reagerande figurer på båda sidor om bomberna; de som fäller, planerar eller skjuter å ena sidan, och de som slits sönder eller förlorar sina hem och tillhörigheter, å den andra. »

« On n’envisage pas qu’ils puissent avoir une voix, même petite, un cerveau qui peut élaborer des pensées. Là, ils deviennent des animaux comme dans le monde du poète Lennart Sjögren, et personne ne se détourne, tout le monde se penche pour entendre ce que la souris, le poisson ou le cochon ont à dire.
Il en est de même maintenant avec les victimes de guerre. On ne voit plus d’individus pensants, mais des figures qui réagissent mécaniquement des deux côtés des bombes, ceux qui piègent, planifient, tirent d’un côté, ceux qui sont détruits, ou perdent leurs maisons et leurs biens de l’autre. »

Les jeux olympiques ont mis à l’arrière-plan ces choses, mais la guerre fait toujours rage en Ukraine..

Mais cette relation entre les bêtes dans la nature et la guerre, elle nous ramène à une certaine cruauté de la nature (une indifférence?) On y reviendra sans doute.

Illustration : Georges Lemoine

Ce n’est pas Le Clézio que je lis en ce moment, mais Julien Green, pour diverses raisons (je Journal intégral…) Or je suis tombé sur un article ancien, de 1982 dans l’Express (entretien avec Sophie Lannes) ; de l’actualité au travers des temps de certaines vues sur la jeunesse :

« Ce qui me déconcerte chez eux, c'est qu'étant jeunes ils ont tout ce qu'il faut pour être heureux : la santé et un avenir sans limites. Or beaucoup se droguent, ce qui me semble un déclin de la liberté individuelle. Il est clair que les jeunes se laissent avoir, comme ils disent eux-mêmes. Peut-être parce que, précisément, ils ne peuvent pas se dire : "Je ferai ceci dans deux, trois ou cinq ans", se demandant sans cesse : "Que va-t-il arriver ?" C'est une question que nous ne nous posions pas en 1920. On croyait, après Locarno, à la paix perpétuelle. Ça donnait une illusion de bonheur. Nous vivions dans ce que les Anglais appellent "un paradis d'imbéciles", mais c'était tout de même un paradis. La vie était normale. Difficile, comme elle l'est toujours, mais on arrivait à se débrouiller. Nous sortions d'une guerre atroce, mais la joie était possible, elle pouvait être parfaite. »

Un paradis d’imbéciles, on y revient…
Et on reparlera d’après-guerres.

Quant à Le Clézio ? Souvenir de ce livre d’enfance, pour le coup, au moment où je me trouve bien loin de bien des rivages.
Les illustrations, voyez-vous ça, étaient de Georges Lemoine, qui a illustré plus récemment des livres d’Héloïse Combes.

Lennart Sjögren ; tenez : un extrait présenté par Françoise Sule, sur le site de l’Institut suédois (du recueil Det röda äpplet (La pomme rouge)) :

« Tu te rappelles  quand  nous étions jeunes / bon, nous étions jeunes alors / si nous avions compris / bon, advienne que pourra / c’est ainsi »


Nils Blanchard

lundi 5 août 2024

Fin juillet, début août / Modiano, etc.

Je parlais au dernier billet, à propos d’une marche dans le Jura, de sensation d’affolement. Depuis, très vite, comme s’il fallait forcément aller si vite pendant les vacances, passé quelques jours à Angers. Déjà « rentré » – où est chez moi ? – après cinq heures de train.

NB - été 2024

Accueilli par le chat vaguement SDF. C’est comme s’il me guettait, qu’il voulait s’assurer que j’étais bien rentré.

Ces heures de train m’ont permis de finir la lecture de Rue des Boutiques Obscures, de Modiano – au moins un prix Nobel français pas trop dominicain (vous savez, cet ordre très en pointe dans l’Inquisition…) –, et surtout, quand même, un très grand écrivain.
Je l’avais emmené (et commencé) pendant ma marche jurassienne.

Il y est question d’un roi de Suède au détour d’un méandre de passé plus ou moins rapiécé du narrateur. Mais il est surtout question de mémoire.

Couverture : Pierre Le-Tan


Le narrateur, amnésique, est en quête de son passé, de fait de son identité, au sens d’abord administratif du terme : son nom, sa nationalité, jusqu’à son image en photographie lui sont problématiques.
Vers la fin du livre, on lit (page 238) :

« Jusque là, tout m’a semblé si chaotique, si morcelé… Des lambeaux, des bribes de quelque chose, me revenaient brusquement au fil de mes recherches… Mais après tout, c’est peut-être ça, une vie…
Est-ce qu’il s’agit bien de la mienne ? Ou de celle d’un autre dans laquelle je me suis glissé ? »

Le vague historien que j’ai pu être dans mon étude d’Elmar Krusman sait de quoi il est question là. (Et on verra encore peut-être cela dans un livre qui pourrait paraître prochainement…) Qui plus est : il s’agit dans Rue des Boutiques Obscures de s’étudier soi-même ; grand Dieu…

Ah, mais Botteghe oscure (Boutiques obscures), c’est aussi le nom d’une revue, fondée et dirigée par Marguerite Caetani, dans laquelle a écrit, entre autres, André Dhôtel (25 grosses livraisons du printemps 1948 au printemps 1960 ; Dhôtel y ayant publié neuf textes). On y lisait des textes en anglais, français, italien… (Je tiens ces renseignements d’un texte d’Emmanuel d’Yvoire, Cahier 10 de La Route inconnue, 2012…) On y reviendra, etc.

(Capture d'écran)


La fin du roman de Modiano se passe en partie en montagne ; Megève… On n’est pas loin du Jura, d’autant plus qu’il y a une affaire de guerre, de passeurs ; vous verrez, articles à suivre…

Mais, « rentré » donc après quelques heures de train, je lis l’article du 31 juillet de Julia Eriksson (blog en lien de celui-ci, etc.) ; elle rentrait alors d’un voyage de trente heures de train, de Biarritz :

« Dagstidningarna har tagit över hallmattan och den stora väskan hinner knappt packas upp förrän den ska fyllas igen. Jag lägger fram allting i högar på bordet. (…) Två veckor av semester har fått huvudet att börja spinna. Jag funderar på vad jag vill göra och vem jag vill vara. Ifrågasätter om jag tappat en del av min kreativitet under våren (…) »

« Les journaux jonchent le sol de l’entrée et j’aurai du mal à pouvoir vider le grand sac avant de le remplir à nouveau. Je dépose tout en piles sur la table. (…) Ma tête tourne après deux semaines de vacances : n’aurais-je pas perdu une partie de ma créativité au printemps ? (…) »

Moi, mon appartement n’a pas été rangé depuis la fin de la dernière année scolaire et universitaire.
Ai-je perdu une partie de ma créativité au printemps, ou à un autre moment ? Je ne sais… Mais il ne me faut pas confondre amoncellement et création… sans quoi, chassé de mon propre logis par mon désordre, j’irai rejoindre le chat dans les rues d’été…


Nils Blanchard

Ricochets et hasards – Conférence à Bisingen ; 3

Le camp de Westerbork (dans la Drenthe ; voir précédemment ici , là ) est difficile à définir : pas vraiment camp de concentration au sens o...