Comme promis, retour sur les étranges expériences de gouvernements soutenus par l’extrême droite, sans que celle-ci daigne avoir de ministres, en Suède et en France.
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Farliga förbindelser, Natur & kultur, à paraître en mai 2025 (traduction de Jan Henrik Swahn) |
En Suède, le gouvernement d’Ulf Kristersson est au pouvoir depuis le 18 octobre 2022.
On ne va pas faire ici un historique complet des entrelacements politiques qui ont conduit à ce gouvernement. Notons simplement que cette coalition de droite et extrême droite de Tidö fait suite aux résultats des élections législatives du 11 septembre 2022. Les sociaux démocrates (sortants, d’un gouvernement de coalition fragile) sont arrivés largement en tête avec 30,33 % (et 107 sièges). Les trois partis de droite et centre-droite (qui s’étaient déjà entendus par le passé pour gouverner), avec 19,10 % (68 sièges modérés, de Kristersson), 5,34 % (19 sièges chrétiens-démocrates) et 4,61 % (16 sièges libéraux) avaient donc moins de voix, à eux trois, que les sociaux-démocrates.
Mais Ulf Kristersson, qui avait déjà essayé, sans succès, de former un gouvernement quatre ans plus tôt, avait décidé de rompre le « cordon sanitaire » autour de l’extrême droite (« Démocrates de Suède » – ceux-là, à 20,54 % et 73 sièges) pour prendre le pouvoir (le nombre total de sièges étant de 349).
Donc, le 14 octobre, les accords de Tidö sont annoncés, accords de gouvernement incluant les Démocrates de Suède aux décisions programmatiques sans que ceux-ci participent au gouvernement. (Tous les membres des trois partis lestés de l’extrême droite n’ont pas accepté la chose ; le gouvernement de Kristersson a été investi par le Parlement (Riksdag) avec 176 voix contre 173…)
(Cette manière d’inclure l’extrême droite aux décisions sans qu’elle participe au gouvernement peut rappeler, peut-être, la posture entre deux chaises de la Suède pendant la Seconde Guerre mondiale.)
Ces accords sont censés être remis en cause tous les ans ; ceci étant, les Démocrates de Suède du parlement apportent donc leur soutien, décisif, aux décisions du gouvernement au Parlement.
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Les représentants des 4 partis de Tidö; Wikipedia |
Un article de Wikipedia sur ces accords note qu’ils sont divisés en 7 parties (croissance et économie, criminalité, migrations et intégration, climat et énergie, santé publique, éducation, démocratie et culture). Bon, on s’amusera peut-être à voir cela plus en détail ; ce n’est pas le propos du moment. Disons pour résumer, et faire écho à la vulgarité des temps, qu’on a là une forme de trumpisme (très?) light (parler de « trumpisme » est un peu rapide ; Tidö reste implanté dans une tradition nord-européenne, très difficilement comparable à l’orage imprévisible trumpien (on y garde un souci du droit des femmes, le respect des accords de Paris sur le climat… on n’y attaque pas les minorités de genre – y pense-t-on seulement ? –…)
Ce gouvernement a toujours cours aujourd’hui ; les prochaines élections devraient avoir lieu en 2026.
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D'après Marguerite Gérard, illustration des Liaisons dangereuses, édition de 1796 |
En France, le malheureux (et très habile négociateur, nous a-t-on répété) Michel Barnier a été premier ministre avec l’accord tacite (il n’y a pas eu d’après ce qu’on sait de compromis, de contrat officiel) de Mme Le Pen. Cela a duré du 5 septembre au 13 décembre 2024, peu de temps donc vu que Mme Le Pen a soudainement baissé le pouce. Cela me fait un peu penser à cette fable, que je trouve très politique : Le scorpion et la grenouille. Elle a des origines lointaines, diverses sans doute, mais dans sa forme scorpion-grenouille, elle viendrait (Wikipedia encore) du romancier russe Lev Nitoburg (assassiné en 1937 pour activité "contre-révolutionnaire"…) Ah, et elle apparaîtrait dans le roman Le quartier allemand, de 1933.
(Le « C’est dans ma nature » du scorpion peut faire penser au « Ce n’est pas ma faute » de Valmont, dans Les liaisons dangereuses, bien que ce dernier me semble autrement moins antipathique.)
Dans un cas, un gouvernement est au pouvoir depuis plus de deux ans ; dans un autre il a tenu un peu plus de trois mois.
La suite, à un prochain billet...
Nils Blanchard
Et puis… – Mort de Bertrand Blier, peu après celle de David Lynch. Pourrait-on sortir aujourd’hui un film comme Les valseuses ?
– Triche… J’ajoute l’étiquette « Alluvions », du précédent billet.
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