samedi 12 avril 2025

De l’amitié – Montaigne

Pour des raisons plus ou moins sérieuses, plus ou moins éloignées de ma petite personne – ajoutez à cela en assaisonnement telle ou telle parution – j’ai un peu réfléchi ces derniers temps à l’amitié. Et, partant – mais est-ce vraiment son corollaire ? – à l’inimitié.
(Ce, indépendamment – quoique… – en grande partie de thématiques qui me sont plus familières : guerre, adversité...)

Hilma af Klint, 1915 - Wikipedia


Questions en vrac, liées à telle ou telle discussion, pensée récentes :

- Un ami peut-il devenir ennemi ; et l’inverse ? N’y a-t-il pas des liens subtils entre l’amitié et l’inimitié ?
- Rompre une amitié, sans explication : n’est-ce pas foncièrement un acte d’inimitié ? Lors que l’amitié est honnêteté.
- Le début de toute amitié ne peut-elle commencer avec la paix avec soi-même ? Mais n’est-ce pas un peu du baratin, sachant qu’un enfant se forge une personnalité en profitant aussi de l’aide de mains amies. Quoique… tutorat, pédagogie, voire fraternité, ce n’est pas la même chose que l’amitié.

Mais allons voir Montaigne ; je sais qu’il a décrit l’amitié avec une certaine… exigence.
Dès le début du chapitre 28 des Essais (« De l’Amitié », édition de Bordeaux de 1595), Montaigne part de l’image d’un peintre de ses connaissances, qui place des tableaux rares au milieu de fatras disparates. Eh ! Le hasard n’avait pas complètement tort de me pousser à illustrer ce billet de tableaux de Hilma af Klint.



Bon, mais Montaigne de commencer à définir une amitié véritable, encore une fois, passablement exigeante. Il prévient : «  Il faut tant de rencontres à la bastir, que c’est beaucoup si la fortune y arrive une fois en trois siecles. » (Il évoque là son amitié avec Etienne de La Boétie.
C'est que la véritable amitié ne saurait se confondre avec « la volupté ou le profit, le besoin publique ou privé », ni « ces quatre especes anciennes : naturelle, sociale, hospitaliere, venerienne, particulierement n’y conviennent, ny conjointement. » On le disait avant, l’amitié est autre chose que les différentes relations familiales, autre chose aussi que l’amour (ce que Montaigne appelle « l’affection envers les femmes ». Là, Montaigne est de son temps, qu’il imprègne d’Antiquité ; la « licence Grecque » est évoquée, mais ne pouvant mener à l’amitié véritable qu’accidentellement. (À noter que chez Montaigne, dans ce chapitre 28 en tout cas, l’amitié entre hommes et femmes est peu probable. Et de par le sujet principal (lui-même), il n’est pas question d’amitié entre femmes.)

Ce n’est qu’après le développement sur l’homosexualité qu’on en arrive à la célèbre tirade du chapitre :

« Au demeurant, ce que nous appellons ordinairement amis et amitiez, ce ne sont qu’accoinctances et familiaritez nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos ames s’entretiennent. En l’amitié dequoy je parle, elles se meslent et confondent l’une en l’autre, d’un melange si universel, qu’elles effacent et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoy je l’aymois, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en respondant : Par ce que c’estoit luy ; par ce que c’estoit moy. Il y a, au delà de tout mon discours, et de ce que j’en puis dire particulierement, ne sçay quelle force inexplicable et fatale, mediatrice de cette union. »

L'amitié (contradiction est vie) tend d’une part vers la raison, a d’autre part quelque chose d’irrationnel ; cette « force inexplicable et fatale ».

Hilma af Klint, 1915 - Wikipedia


Elle est exclusive, par rapport aux autres relations, à d’autres amitiés éventuelles aussi. Elle est presque un projet de vie, mais de vie sage (pas particulièrement au sens moral).
L'ami de Montaigne (La Boétie pour lui) est quelqu’un en qui on peut se fier absolument. « Nos ames ont charrié si uniement ensemble, elles se sont considerées d’une si ardante affection, et de pareille affection descouvertes jusques au fin fond des entrailles l’une à l’autre, que, non seulement je connoissoy la sienne comme la mienne, mais je me fusse certainement plus volontiers fié à luy de moy qu’à moy. Qu’on ne me mette pas en ce reng ces autres amitiez communes : j’en ay autant de connoissance qu’un autre, et des plus parfaictes de leur genre, mais je ne conseille pas qu’on confonde leurs regles : on s’y tromperoit. » De telles amitiés sont-elles facilement envisageables ?

Je rebondis là, avec prudence, sur les relations en camps de concentration. Non tant qu’on pût alors se fier à quelqu’un, mais on n’avait pas le choix d’entrer dans certaines relations. Ainsi des amitiés entre Anise Postel-Vinay, Germaine Tillon, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, d’autres encore bien sûr. Amitiés exceptionnelles.
Il s’agit là de survivantes. Elmar Krusman a-t-il connu l’amitié en camp ? C’est peu probable, de par aussi sa nationalité particulière.

Exclusive, aussi, l’amitié de Montaigne, on l’a compris, par rapport aux autres relations : « L'unique et principale amitié descoust toutes autres obligations. Le secret que j’ay juré ne deceller à nul autre, je le puis, sans parjure, communiquer à celuy qui n’est pas autre : c’est moy. C’est un assez grand miracle de se doubler ; et n’en cognoissent pas la hauteur, ceux qui parlent de se tripler. »

Hilma af klint, Buddha, 1920 - Wikipedia


Bon, mais les illustrations de la peintre suédoise Hilma af Klint tombent bien : elle était férue de théosophie.
Or ça me ramène à une amitié autrefois ratée. On en reparlera peut-être.


Nils Blanchard

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

De l’amitié – Montaigne

Pour des raisons plus ou moins sérieuses, plus ou moins éloignées de ma petite personne – ajoutez à cela en assaisonnement telle ou telle pa...