Il y a quelque temps déjà, Patrick Pluen, dhôtelien aguerri, m’a envoyé sur Le tableau de Savery les commentaires transcrits ci-dessous (NB).
Le thème de la dé-coïncidence (développé par François Jullien) s’applique bien, peut donner une grille de lecture, au Tableau de Savery.
L'auteur apparaît en effet fasciné depuis son enfance par ce tableau, au point d’y vivre en quelque sorte : Si mes parents se mettaient à parler français, alors je me retrouvais dans la partie sombre de la peinture […] S’il était joyeux, j’étais alors avec les hérons qui s’élevaient vers les nues. (p.7) ; et plus loin : Le tableau, la chambre, le jardin étaient exactement comme des poupées gigognes qui s'emboîtent les unes dans les autres pour ne faire qu’un. (p.75) Il y a adéquation, fusion, coïncidence donc, entre l’auteur, le tableau, la maison…
Le paroxysme de l’adéquation me semble atteint lors de la fabrication du cadre avec son père : encadrer, maîtriser, posséder, délimiter… En même temps, l’auteur cite une phrase du père qui correspond bien au tableau : Ce qui n’est pas légèrement difforme a l’air insensible ; d’où il suit que l’irrégularité, c’est-à-dire l’inattendu, la surprise, l’étonnement sont une partie essentielle et la caractéristique de la beauté. (p.79) Le potentiel de la dé-coïncidence, du descellement est déjà là, mais pas encore intégré par l’auteur ?
Le tableau est près de la perfection, dont les proportions s’approchent du nombre d’or (p.89).
Si le tableau est vendu, la coïncidence subsiste, et le tableau finit par retrouver l’auteur par un hasard inconcevable (p.102). Mais cependant ses animaux ne bougeaient plus, ne me regardaient plus comme autrefois… le tableau était un ami mort. (p.107) Comme le souligne François Jullien, trop d’adéquation mène à la stérilité.
Et survient alors une fissure dans le cadre (p.110-111), le signe d’une séparation, le début d’autre chose en même temps... Je devinai ce qui m’avait empêché d’avancer, et en me libérant… j’allais vers de nouvelles perspectives. L’auteur quitte la fusion, désadhère du tableau, accède à la vie…
Ce en quoi on retrouve ce qu’écrit François Jullien : « De ce qu’une fêlure s’esquisse dans l’ajointement des choses, ou plutôt de ce que cet ajointement attendu, fonctionnel, incidemment se défait, de ce qu’un écart se dessine et, par-là, de ce qu’une adaptation est perdue, une adéquation révolue, quelque chose d’inouï, d’inédit, subrepticement émerge : quelque chose qui n’a pas encore de nom peut commencer de se détacher, peut commencer de s’extraire de l’indéfini des possibles, de prendre pied dans l’effectif et d’exister.
Seule une décoïncidence, désolidarisant le soi de cette coïncidence avec soi, peut sauver ce soi promis sinon à l’inertie. Vie du sujet qui, coïncidant avec soi-même comme avec son monde, en suivant le train conforme de sa vie, laisse sa vie s’enliser. »
Patrick Pluen
Triche... - Ajout d’étiquettes du dernier article : Cernay, Julia Eriksson, Helsinki, Finlande.
- Et très bonne année 2025 !
(NB)
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