lundi 11 décembre 2023

Vérité et mémoire / cadre, et Savery

Dans Till sannigens lov, traduit en français par le titre Paula, ou l’éloge de la vérité, de Torgny Lindgren, le personnage principal est « encadreur », réparateur de cadre – y a-t-il un autre mot ?


 
Je vais peut-être faire ici des liens hasardeux. Mais il me semble que dans le roman de Torgny Lindgren, le personnage principal est comme jugé, et mal jugé par la société ; il est trop pauvre pour avoir le droit de posséder un tableau coûteux de Nils Dardel.

Bon. J’ai eu vent d’une certaine actualité télévisuelle récente (je ne possède pas moi-même de télévision) et il semblerait, d’après ce que j’ai compris, que des émissions télévisuelles fissent désormais le procès de personnalités via la ressortie d’anciens « reportages ». Procès ? Lynchage… Lors que la présomption d’innocence est une des bases de l’état de droit !

Ce titre de Torgny Lindgren… L’éloge de la vérité. Qu’est-ce que la vérité ? Sur le plan judiciaire, dans un état de droit : c'est celle établie par un jugement dans les règles.

Là où l’on rejoint nos sujets, c’est que l’on retrouve cette citation de l’auteur (de ses Souvenirs, Acte sud, traduits par Lena Grumbach, 2013 – dans un article de Libération de Claire Devarrieux du 6 novembre 2013) : « Nous n’avons pas une seule mémoire, ai-je dit, nous en avons des milliards. Mes lecteurs et moi, nous n’avons jamais cru en la mémoire. » Moi-même n’irai pas jusqu’à dire que je ne crois pas en la mémoire, mais je me suis beaucoup interrogé sur elle lors de mon travail sur Elmar Krusman, notamment sur la mémoire des témoins.
Il s’agissait là il est vrai d’histoire, pas de justice. Mais les écueils, les problèmes, les précautions à prendre me semblent comparables.


Si je parle de cette histoire d’encadreur, c’est aussi parce que Le tableau de Savery, de Martin Fahlén (cf. la page dédiée sur ce blog) a fait l’objet d’un bel article – qu’il en soit remercié – d’Argoul, le 9 décembre.
Or dans ce livre, le narrateur et son père font office d’encadreurs du tableau familial, ce qui les rapproche. Un chapitre entier de l’ouvrage s’intitule « Le cadre ». Évidemment, le terme de « cadre » dépasse le cadre de son sens premier. On lit notamment, page 71 :

« Mais comment encadrer la peinture ? Cette question revenait régulièrement. Pour trouver le cadre idoine à notre tableau de Savery, Papa et moi visitâmes le Musée national à Stockholm, pour étudier différents cadres du début du XVIIe siècle.
Papa me demanda de faire des croquis à partir de ses commentaires sur les mesures, couleurs et formes. Nous étudiâmes longtemps un cadre après l’autre. Puis finalement il en trouva un beau, bien représentatif de la période, que nous décidâmes de copier. Ensuite, réaliser cet objet nous demanda un pénible et long travail.
Papa considérait qu’un travail manuel, en commun, serait parfait pour mon éducation. »


Je sors un peu du cadre : qu’on ait affaire à des puissants ou pas – qu’on puisse ou pas les encadrer (pardon…) –, éviter le lynchage, respecter la présomption d’innocence, le travail de la justice… ça constitue le cadre de l’état de droit.
Un Elmar Krusman, dans l’Estonie occupée par les nazis, a peut-être été dénoncé, pour communisme, peut-être aussi par quelqu’un qui croyait très bien faire, allez savoir… Arrêté, il a subi des parodies de procès, pour connaître finalement le destin que l’on sait.


Nils Blanchard

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