jeudi 14 décembre 2023

La ville aux octets de fer

Je vais finir par passer pour un emmerdeur, familièrement dit. Dans un certain sens, c’est plutôt réjouissant ; sous un autre angle : n’est-ce pas aussi la marque d’une avancée en âge ?


On parle d’intelligence artificielle. On pourrait finir par se demander si les deux termes du concept ne sont pas fondamentalement contradictoires.

Toujours est-il qu’il y a un péage urbain à Göteborg. Il prélève ce qui s’appelle une « taxe d’encombrement ». Un de ces trucs qui vous « tracent » quand vous passez quelque part, puis vous envoient une gentille (ou pas) lettre pour vous demander de payer le prix de votre « encombrement ».
Bon. Quoi à redire ? C’est la loi ; pourquoi ne pas s’y plier docilement ?

Mais… tout simplement parce que je me souvenais – j’ai eu un peu de mal à en retrouver trace – que les habitants de la ville, lors d’un référendum strictement légal et officiel, avaient refusé la mise en place de ce dispositif.
Un article de « Egis group » mentionne la chose (egis-group.com). Je cite :

« En dépit des avantages présentés par les programmes de péages, l'acceptation d'un péage routier est généralement faible, comme à Göteborg où, après l'introduction d'un péage urbain, cinquante-sept pour cent des répondants avaient voté contre lors d'un référendum en 2014. Cependant, le choix de poursuivre le programme de péage s'explique par le cofinancement de vastes programmes d'infrastructures dans et autour de la ville. »

J'aime bien ce « Cependant, le choix de poursuivre le programme de péage s’explique... »


Une remarque au début de l’article n’est pas inintéressante non plus : «  force est de constater que le prélèvement d'une redevance routière remonte à très loin ». Eh ! Croient-ils si bien dire ? Ne retourne-t-on pas aux divers octrois d’ancien régime qui sont en partie la cause, pour la France, de la Révolution ? Le mur des fermiers généraux, qui donna cet alexandrin : « Le mur murant Paris rend Paris murmurant… » Mur avec ses différentes barrières…

Mais je l’ai déjà dit quelque part : Paris emmerde les étiquettes (de prix, aussi?) Göteborg aussi, dans un sens (on le voit avec ce référendum) ; mais elle n’a pas fait 1789, 1830, 1848, 1871...

Et ce qui me fait râler là-dedans, c’est qu’ayant égaré une première lettre qu’on m’a envoyée, et ayant donc payé trop tard, je me retrouve avec une prune de 50 euros.
C'est que les octets de fer veillent. Ce sont un peu les pendants (pendants, à tous les sens du terme) des oiseaux de fer du bijou d’André Dhôtel, L’Île aux oiseaux de fer, paru en 1956 (Grasset).
Étrange – faussement étrange ? – petit roman, il met en scène Julien Grainebis (celui des contes du même nom), qui arrive au cours d’un périple sur une île dominée par des oiseaux métalliques, eux-mêmes mus par la mise en place de quelque nouvelle technologie incontrôlée. La chose aurait pu être sans incidence si ces inquiétants passereaux n’avaient eu le permis de tuer à discrétion, fondant sur la proie que tout déviant pouvait devenir. Ah, aussi, sur cette île, des psychologues étaient aux manettes autant qu’ils le pouvaient…


Bon, je ne vais pas divulgâcher. Mais le dénouement du livre me rappelle soudain la manière dont une connaissance de Göteborg justement, cet été, a réussi à renouveler ses papiers auprès de la police suédoise (c’est à la police qu’on fait ce genre de chose en Suède). L’aporie était kafkaïenne ; l’ordinateur, sur lequel une des policières qui l’avait reçue avait le regard fixé, n’en démordait pas : pour obtenir des papiers à jour, elle devait présenter des papiers à jour. Mais ses papiers étaient précisément (depuis peu) périmés. C’est pourquoi elle demandait à les renouveler. Mais non, pour obtenir des papiers à jour, etc.

Je ne vais pas divulgâcher. Mais cette connaissance a obtenu ses papiers…
Ça s’est terminé un peu comme dans le roman de Dhôtel. Lisez L’île aux oiseaux de fer, réédité il n’y a pas si longtemps chez Grasset (Les Cahiers rouges). Il pourrait être, de plus en plus, d’actualité.

Peinture de couverture: Camille Claus

Aussi, un peu par hasard, j’ai écrit un petit article dans le bulletin n° 37 de la Route inconnue (juin 2014), relevant d’étranges convergences entre les inquiétudes de Stephen Hawking et le roman d’André Dhôtel L’île aux oiseaux de fer. Il s’intitulait simplement « André Dhôtel et l’intelligence artificielle ». Ça partait de la lecture d’un texte de The Independent, le premier mai (2014), de quatre éminents scientifiques : Stephen Hawking donc, Stuart Russel, Max Tegmark et Frank Wilczek, sur les enjeux des progrès actuels dans ce qu’on appelle l’intelligence artificielle.
Oui, c’était avant qu’on en parlât autant.

Et les grévistes suédois gagneront-ils face à Tesla qui, semble-t-il, voudrait artificialiser à sa manière leur code du travail ?


Nils Blanchard


P.-S.: J'ai évoqué il y a près d'un mois, le 18 novembre (voir plus bas) des démêlés avec des supérieurs hiérarchiques indélicats. La mode, de plus en plus, est d'aller au travail même quand on est malade, contagieux, d'envoyer ses enfants encore souffrants, dans les établissements scolaires, pour bien propager les virus.
Coutume locale? On déplore en ce moment, dans les deux départements alsaciens, une forte contagion de grippe, de Covid, de que sais-je encore. 

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