On avait fini le billet précédent sur l’article d’Argoul (en lien de ce blog, page dédiée) sur Le tableau de Savery.
Autocitation de citation : « Le critique n’est pas une buse ; il évoque bien le problème posé par les derniers chapitres du livre de Martin Fahlén : “La magie d’enfance s’est effacée ; ce tableau n’est plus le sien. Il est exposé en public. Son cadre amoureusement collé s’est fissuré, il a vieilli, comme l’auteur.” »
Est-ce exactement cela ? Ce qu’on peut aussi regretter, et tenter de retrouver dans l’enfance, c’est une certaine pureté, en ce sens d’absence de corruption. J’enfonce une porte ouverte, encore faut-il s’entendre sur ce dont on parle exactement. Il ne s’agit pas d’honnêteté intrinsèque de l’enfant. Ce serait même plutôt l’inverse, chez un André Dhôtel, par exemple, avec Georges Leban, invétéré menteur, d’autres.
L'absence de corruption ne concerne pas là non plus celle du monde autour (même si…) Non, je veux parler d’une corruption (encore pourra-t-on dire que le terme est inadéquat) par soi-même : au-delà de la simple corrosion de l’âge, le travail de la mémoire et de la réflexion, leurs changements de cap. En l’occurrence, la mémoire a quelque chose de scientifique allant d’errement en errement, évitant parfois les écueils les plus récents (pas toujours).Un enfant n’a pas me semble-t-il (jusqu’à quel âge?) une mémoire aussi travaillée, et une réflexion, ça va un peu ensemble, aussi reculée. Est-ce une « magie » ?
Hessel Miedema, capture d'écran |
Et là arrive soudain la notion de paradis. Elle me titille depuis quelque temps déjà ; je l’ai évoquée avec Peer de Smit. Et voilà qu’il y a eu – ce n’est pas fini semble-t-il – toute une série d’articles dans le blog Alluvions, en lien de celui-ci, sur l’enfer d’abord, mais aussi le paradis. On y reviendra... Les murs du paradis de l’enfance (le paradis est d’abord un espace clos, me faisait remarquer Peer de Smit) sont cimentés de rêves, contes, naïveté (peut-être), illusions… Mais ils ne sont pas étanches, correspondant avec ce qu’il y a derrière, séculaire pour ainsi dire. Toujours est-il que, dehors, il faut être habillé. À l’intérieur, non. Adam et Eve, quand ils sortent du paradis, sont nus. Ils sont un peu comme ces personnages de Hessel Miedema.
Hessel Miedema, capture d'écran |
Bon mais au Moyen Age, cependant, les choses étaient plus complexes : les morts sont nus au moment de la résurrection (premier étage du tympan ci-dessous), puis ils s’habillent pour aller au paradis (deuxième étage, gauche), restent nus s’ils sont jetés en enfer (droite).
Tympan de la cathédrale de Bourges. Capture d’écran |
Les anges aussi sont habillés de longues tuniques. Le Christ, lui, est torse-nu.
Bon. Mais revient (il faudrait un autre mot, plus « fort », que « revenir ») ce thème de l’enfance parce que j’ai commencé de lire (entre autres…) Vapeurs d’enfance, que j’ai eu récemment, qui est paru récemment aussi, de Michel Lamart (éditions unicités, 2023). Ce livre est composé de beaux textes, personnels, comme des petites nouvelles instantanées, sur l’enfance de l’auteur (avec une dernière partie consacrée à des poèmes). On y reviendra vraisemblablement.
Couverture : Jérémie Lamart |
Il y est question, page 82, de sommeil. Enfant, le lit du narrateur, au sommeil difficile, « craquait comme un gréement martyrisé par les vents de l’océan. (…) Je me débattais dans le noir absolu, jusqu’à ce moment délicieux et effrayant où, renonçant à l’épave du polochon, je me laissais couler dans l’abysse sans fond de la couche (…) »
Le sommeil est aussi ce qui nous relie à l’enfance. On n’y triche pas de la même manière. On y est peu corrompu « par soi-même : au-delà de la simple corrosion de l’âge, le travail de la mémoire et de la réflexion, leurs changements de cap ».
(Auto-citation de porte ouverte.)
La maladie, dans un sens, relie aussi à l’enfance ; je parle là en tout cas des petites maladies sans conséquences. C’est peut-être lié à ce qu’en disait Jacques Brenner : « Le seul avantage de la maladie, c'est qu'elle vous libère de ce que vous teniez pour vos responsabilités. »
Bizarrement, Julia Eriksson, en lien de ce blog, tombe malade juste avant Noël, un certain Noël familial, comprend-on, d’enfance, quoi.
« Men så, vakna klockan nollfyra av att kroppen skakar, frossa och feber, termometerns siffror sakta tickandes uppåt: 38,5 38,6 38,7. Och så besvikelsen och sorgsenheten följt av skulden. Varför kunde jag inte bara vara hemma och ta det lugnt i veckan? (…) En bild: jag liggandes i min ensamma etta på julafton ätandes en apelsin. »
« Mais alors, réveillée à quatre heures le corps tremblant, frissonnante et fiévreuse, les chiffres du thermomètre montant avec assurance : 38,5, 38,6, 38,7. Et là, la déception et la tristesse, suivies de la culpabilité. Pourquoi ne suis-je pas restée simplement à la maison, tranquille, cette semaine ? (…) Une image : je suis couchée dans mon studio solitaire le soir de Noël, mangeant une orange. »
Sorte de prison de la maladie.
(Au moins n’a-t-elle pas affaire, je l’espère en tout cas, à quelque sous-klamminette estampillée Château pour essayer de la culpabiliser davantage.)
God Jul ! Joyeux Noël !
Nils Blanchard
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