Des amis m’ont récemment envoyé le n° 42 de Regards sur l’histoire, la Revue de la société d’Histoire et d’Archéologie de Reichshoffen et Environ, à laquelle ils ont participé.
Étrangement, alors que j’ai un peu évoqué ici des camps annexes
(au KL Natzweiler) à proximité de mines (Haslach, Schwindratzheim), on voit
qu’un des articles de la revue porte précisément sur les mines, des deux
côtés du Rhin, mais à une tout autre époque.
Une tout autre époque…
Je n’ai eu le temps de lire de cette revue, pour l’instant, que l’éditorial de Daniel
Fischer. J’en cite le début :
« A peste, fame et bello, libera nos, Domine !
Après deux années de crise sanitaire, voilà que la guerre refait son apparition
en Europe. Il ne manque donc plus que la famine – que le réchauffement
climatique et la montée des prix de l’alimentation pourraient
bien occasionner – pour que le début de cette décennie 2020 ressemble
aux XIVe et XVe siècles.
S’il est toujours hasardeux de comparer différentes époques historiques (…) »
« Hasardeux », évidemment. Je m’y suis néanmoins risqué de mon côté,
dans Elmar Krusman. J’évoquais le besoin de communiquer
l’incommunicable des déportés survivants (je résume beaucoup…) :
« Derrière le refoulement, cependant, le traumatisme était là. Et qu'en faire ;
quelle place a-t-il dans notre société ? Je me risquerai à une
comparaison qui m'est venue, en travaillant à cette étude : avec le
milieu du XIVe siècle. Les gens confrontés à la mort de manière anormale
(violences de la guerre – de Cent Ans –, famines, épidémies – peste
noire – trois fléaux que l'on retrouve au cœur des camps) avaient
dû s'endurcir, et leurs descendants après eux. Mais ce refoulement
avait laissé place à d'innombrables œuvres artistiques, les
danses macabres par exemple... Et l'on retrouve cela dans
l'évocation de rêves nocturnes, chez Michel Ribon, visités par
les morts [Le passage à niveau, La Pensée Universelle, 1972 page 24]:
« Vos corps, vos visages, uniformisés par votre longue descente vers la
mort, sont creusés par l'érosion du sens de ce qu'alors vous vouliez
dire […] Même de vos lèvres légèrement retroussées sur des mâchoires
déjà scellées, ne s'échappent que les mots d'un langage inaudible.
Parfois, vous dansez, seuls, ou en cortèges, le ballet de la claudication et
des dissonances. » »
Tableau (détail) de Bernt Notke, aujourd'hui à Tallinn |
Le Septième Sceau, film d'Ingmar Bergman |
On sait qu’il convient d’être d’autant plus précautionneux quand on touche à
l’histoire concentrationnaire. On connaît les tendances parfois
fondamentalement ignobles de certaines personnes à vouloir
assimiler à toute force cette histoire-là à d’autres.
Mais pour ce qui est des « rapprochements » de thèmes, de lieux,
je ne peux m’empêcher d’évoquer ici à nouveau Michel Lamart, et
son Chaudron fêlé. Voici ce qu’on y lit (page 29, neuvième paragraphe) :
« D’après le mythe, Wotan fut pendu neuf jours et neuf nuits au frêne Yggdrasil.
Il découvrit alors les caractères de l’écriture sacrée appelée “runes”, la sagesse
et les sciences secrètes. D’où l’usage très archaïque de pendre les
condamnés (pratique sacrée). La découverte du verbe, fût-il sacré, passe
par l’expérience d’une mort – celle de la parole. »
Je ne suis pas très sûr que sagesse et « sciences secrètes » fassent
bon ménage, mais c’est un autre sujet. Nous voici dans la mythologie
nordique. Wotan, c’est Odin ; Yggdrasil, l’arbre monde aux trois racines…
J’en reviens à Michel Ribon. Dans mon livre, il est expliqué (pages 94-95)
qu’Elmar Krusman, au camp de Bisingen, était intégré, assimilé aux
Estoniens :
« Les Estoniens avaient dû constituer un groupe important au camp.
[Un article évoque 350 Estoniens sur les 1500 arrivés en octobre 1944
à Bisingen ; la liste d'une autre publication […] comporte, elle,
293 noms (sans E. Krusman, suédois sur le registre d'inscription
du camp). Ils étaient en fait 306 d'après C. Glauning qui se base
sur le registre du K.L. Natzweiler.]
Au-delà de la nationalité, de la solidarité de groupe, de clan, il y a la
proximité culturelle. À propos de Schömberg, Michel Ribon note
[Le passage à niveau, La Pensée Universelle, 1972, pages 112 et 195] :
« Chaque block regroupait, à quelques unités près, une communauté
nationale ; sur le parvis des blocks et à leur pied, les rassemblements
d'hommes se transformaient en rassemblements de mots [...]
Je découvrais que le premier artisanat de l'Homme qui le lie au Monde
est : Parler. »
Elmar Krusman n'a pas dû beaucoup parler suédois dans les camps. »
Nils Blanchard
P.-S. Le 30 mai dernier, Boris Pahor, l’auteur de Pèlerin parmi les ombres, entre
autres – Le jardin des plantes, qui est précisément un des livres dans lesquels
je suis en ce moment –, est mort à l’âge de 108 ans.
Il avait été déporté notamment au KL Natzweiler, et, Slovène de Trieste,
devenue italienne, il avait quelque chose qui le rapprochait peut-être de ces
minorités que j’évoque en ce blog…
Il était né dans l’Empire austro-hongrois, avant la (première) guerre…
On y reviendra.
Argoul évoque hier Elmar Krusman. (Et je reparlerai d’Argoul, à propos
de la Russie, assez vite…)
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