Rien à voir avec un poisson, si ce n’est que ce qui suit ne relève pas exactement de l’expression « comme un poisson dans l’eau ».
Il s’agit de la concomitance, à quelques heures d’intervalle, ce premier avril, de deux discours passablement circonspects quant à la modernité, ou la façon de l’appréhender.
Évidemment, il faudrait se demander ce qui, au fond, relève réellement de la modernité.
(Je dirais quant à moi une certaine course vers le mur de la société de consommation, et une double conscience de finitude – disons que ça fait isolant – après l’entrée dans l’ère nucléaire…)
Donc, en tout début de ce jour pour commencer, dans l’émission « Les Nuits de France culture », la reprise d’un entretien de 1977 mené par Jacques Paugam dans l’émission "Parti pris", avec le poète et romancier Camille Bourniquel (1918-2013). D’après lui, l’homme contemporain est « rongé par l’insatisfaction permanente ».
D'expliquer : « Aujourd’hui les gens vivent mieux, ils ont des assurances de toutes sortes, des loisirs et des vacances, mais fondamentalement ils ne sont pas heureux. »
Il comparait là l’homme (dans les sociétés occidentales tout au moins) des années 70, pouvant prendre l’avion, disposer de soins hospitaliers assez poussés, que sais-je encore, et ses parents, peut-être grand-parents ou arrière-grand-parents, qui ne disposaient pas des mêmes avantages, et qui cependant paraissaient aux yeux de l’auteur se contenter plus facilement de leur sort.
Difficile de lui donner tort, et c’est d’autant plus vrai en 2023, où l’on ne cesse d’entendre parler de toute part de malheurs, insatisfactions, dureté des temps…
Quelques heures plus tard, on lit sur le blog de Thomas Nydahl, un développement d’un homme qui s’est peut-être, simplement, levé du mauvais pied, ou qui vraiment ne se reconnaît plus dans son époque ; il relate l’apparence de jeunes passants dans la rue qui l’a déconcerté, puis fait appel à Pasolini :
« Pasolini var redan på 1960-talet djupt pessimistisk, han kunde inte annat än instämma om någon hävdade att konsumismen hade segrat. Denna "nya fascism", säger Pasolini, har redan förstört alla klassbestämda värderingar, arbetare och bönder skäms över sitt klassursprung, och "om en gata är full av ungdomar så kan ingen längre - utifrån kroppens utseende - urskilja en arbetare från en student, en fascist från en antifascist..." »
« Déjà dans les années 60 Pasolini était profondément pessimiste ; il ne pouvait faire autre chose qu’approuver si quelqu’un affirmait que le consumérisme avait vaincu. Ce “nouveau fascisme”, dit Pasolini, a déjà détruit les valeurs de classe, les travailleurs et paysans ont honte de leurs origines, et “si une rue est pleine de jeunes gens, plus personne ne peut désormais – à leur apparence corporelle – distinguer un travailleur d’un étudiant, un fasciste d’un antifasciste...” »
Bon, mais que veut-on ? Revenir au Moyen Âge ? Idée de l’instant, parce que la veille (le 31 mars, donc), Bernur notait à propos du nouveau recueil de poèmes de Judith Kiros, Det röda är det gränslösa (qu’on pourrait traduire par Le rouge n’a pas de limites) :
« Det är en bok att slå bo i, att vistas i under flera dagar. Omslaget visar en stygg djävul som sträcker sina skändliga armar mot en kyskt sovande kvinna, och bilden blir en modell som pekar ut en tid där både Djävulen och Gud höll sig närmare människorna än de gör nu (…) »
« C'est ce genre de livre dans lequel il faudrait s’incruster, y séjourner plusieurs jours. La couverture représente un méchant démon qui étend ses bras infâmes vers une chaste femme endormie, et l’image nous montre un temps où Diable et Dieu en même temps se tenaient plus près des hommes que maintenant (…) »
On ne choisit pas son époque ; mais du moins peut-on choisir ses lectures.
Nils Blanchard
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